Au début de sa vingtaine, Alicia vit une grossesse non désirée. Elle est confrontée à un gynécologue peu prévenant qui lui montre « l’embryon à l’écran lors de l’échographie, alors que [son] choix d’avorter était très clair ». Le jour de l’opération, « il n’a pas du tout eu des gestes délicats », bien au contraire.
Mais ce n’est que des années plus tard, à bientôt 30 ans, qu’Alicia fait ce constat en comparant ce souvenir à la façon dont se déroule sa première consultation avec une sage-femme. Et elle n’est pas la seule à avoir fait la découverte de cette alternative avec joie.
Paloma*, 29 ans, s’était résignée à ne plus voir de gynécologue qu’en cas de force majeure, après un premier rendez-vous avec une praticienne austère et une auscultation brutale effectuée dans le plus grand silence — « Je ferme la porte du cabinet et je m’effondre en larmes », se remémore-t-elle.
Nombreuses sont celles et ceux qui témoignent ces dernières années, sous le hashtag #Payetonutérus notamment, de propos culpabilisants ou d’actes maltraitants. Elles constatent qu’une fois la porte du cabinet franchie, on ne leur donne que très peu la possibilité de réfléchir à ce qu’elles veulent.
Toutes les personnes ayant témoigné pour Madmoizelle pensaient qu’il fallait en passer par là. Cette fatalité a été bousculée par la découverte que les sages-femmes, depuis 2009, peuvent assurer le suivi gynécologique de toutes les personnes en bonne santé, de l’adolescence à la périménopause.
Entre bouche à oreille ou recommandations en ligne sur des forums, comptes Instagram ou sites dédiés comme Gyn&Co, elles se sont tournées vers ces soignants et soignantes, en quête de pratiques plus respectueuses de leur corps, de leur consentement, et d’une meilleure écoute.
« Elle explique chaque geste et acte qu’elle s’apprête à faire et demande le consentement avant de toucher n’importe quelle partie du corps » décrit Delphine, de Toulouse. « Ma sage-femme a dit quelque chose qui a révolutionné ma vision des choses », raconte pour sa part Manon, 28 ans, qui ne souhaitait plus de contraception hormonale mais craignait de ne pas avoir d’autre option à cause de son diabète :
« Elle m’a dit “Au pire, on met un stérilet au cuivre, et si ça ne te convient pas, on pourra changer”. Pourquoi personne ne m’a dit ça avant ? »
Les sages-femmes, forcément plus bienveillantes ?
« Devenir sage-femme suggère qu’on fait le choix d’un temps d’échange plus long, que notre métier ne soit pas que de la technique », explique à Madmoizelle Élise Audienne-Roy, sage-femme libérale à Nantes depuis une quinzaine d’années.
« Notre formation est axée sur le fait que l’on s’occupe de femmes en bonne santé. Quand on rencontre une patiente, elle n’est pas considérée par le prisme de la pathologie. On pose beaucoup de questions car on est formés et formées à l’écoute, à la psychologie. »
Une oreille qui fait toute la différence ainsi qu’une attention portée aux détails.
« Sur ma table gynécologique, j’ai un oreiller. Ça permet à la patiente d’avoir la tête un peu inclinée, ce qui favorise l’échange, le contact visuel. Je peux voir sur son visage si elle est toujours d’accord avec les gestes que j’effectue. »
Dès que le domaine de compétence des sages-femme a été élargi à la prévention, aux dépistages puis aux IVG médicamenteuses, Élise Audienne-Roy s’y est formée avec enthousiasme. Pourtant, elle ne se place pas dans une posture de « sachante ».
« Contrairement à une certaine vision obsolète de la médecine, qui part du principe que de par leur formation, les soignants et soignantes savent ce qui est bon pour la patiente, nous privilégions ce que souhaite la personne en lui donnant toutes les informations nécessaires pour faire un choix éclairé. »
L’idée est donc de sortir des pratiques patriarcales infantilisantes et dogmatiques et de rendre la patiente actrice de sa santé.
Par exemple, l’examen gynécologique est complémentaire mais pas systématique — ici, les patients et patientes ne sont pas perçues que par le prisme de leur utérus.
Élisabeth s’en est rendue compte, quand à 66 ans, sa médecin généraliste l’a pressée de réaliser un frottis pour un contrôle de routine. Elle se rend chez une sage-femme, sa gynécologue étant partie à la retraite. Elle y découvre une approche « plus humaine, toute en délicatesse ».
Surtout, sa praticienne lui affirme qu’elle n’aura plus besoin de refaire cet examen à l’avenir car qu’il n’est plus essentiel, passé un certain âge, d’imposer un contrôle permanent des corps des femmes. La retraitée explique à Madmoizelle :
« Je ne dis pas que la prévention n’est pas nécessaire, mais plutôt qu’il y a une mesure à tout et c’est la seule à me l’avoir dit. »
Une pénurie de gynécologues médicaux en France
Les sages-femmes libérales sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses — elles étaient 20% à avoir ce statut en 2012, on en compte 34% en 2021, selon les statistiques du Ministère des Solidarités et de la Santé. Une activité motivée notamment par l’envie de consacrer plus de temps aux patientes et d’assurer un suivi tout au long de leur vie.
Une possibilité née en 2009, des conséquences d’une pénurie de gynécologues médicaux. Un manque croissant qui s’explique par la suppression, entre 1987 et 2003, de cette spécialité.
Selon le Conseil National de l’Ordre des Médecins, le nombre de gynécologues médicaux en France est passé sous la barre des 1000 en janvier 2019. Treize départements ne comptaient aucun gynécologue médical au 1er janvier 2021.
La formation a pourtant rouvert, mais le nombre de places en internat semble trop peu suffisant pour pallier la vague de départs à la retraite. Ce qui rend la prise de rendez-vous avec un ou une gynécologue de plus en plus compliqué et favorise la consultation d’une sage-femme. Éléonore*, 25 ans, se désole :
« Souvent, les gynécologues n’acceptent pas de nouvelles patientes. Lors de mes études, j’ai changé de ville tous les deux ans. C’était difficile de repartir à zéro à chaque fois, de trouver de nouveaux praticiens ou practiciennes, et de n’avoir au mieux un rendez-vous que dans 6 mois… »
Elle découvre l’existence de réseaux de soignants et soignantes « safe », et LGBTI+-friendly, et apprend du même coup qu’elle peut confier son suivi gynécologique de routine à une sage-femme. Une information qui fait petit à petit son chemin et se démocratise.
Élise Audienne-Roy tient à rappeler que les sages-femmes sont désormais là pour assurer le premier chaînon du parcours de soin.
« C’est tout à fait notre rôle d’être dans la prévention, le dépistage et que les gynécologues soient un second recours, si pathologie il y a. Comme pour un ou une généraliste : lorsqu’il ou elle dépiste une anomalie, il ou elle envoie la personne examinée chez un ou une spécialiste. »
Ainsi, les sages-femmes sont de moins en moins cantonnées dans nos imaginaires à une fonction subalterne. D’ailleurs, Delphine, 25 ans, l’affirme :
« Pour moi consulter une sage-femme c’est aussi, en tant que féministe, un moyen de montrer qu’elles existent et qu’elles valent quelque chose. C’est une forme de soutien, de sororité même, face à une médecine patriarcale dominante. »
Un métier de femmes (à 97%), qui porte la voix des femmes, en somme, comme le conclut Élise Audienne-Roy.
« Les hommes n’ont pas ces espaces pour parler de leur vie sexuelle, sentimentale et de leur corps. C’est une réelle chance pour les femmes d’avoir ces consultations, il faut s’en saisir comme telle ! »
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* Les prénoms ont été modifiés
Crédit de une : @nci / Unsplash
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