Il y a dix ans, les protections menstruelles réutilisables et lavables se coltinaient une image un peu hippie et ringarde. Dans le pire des cas, on n’en avait même jamais entendu parler.
Il y a quelques années, c’était les marques de coupes menstruelles (ou cups) qui pullulaient sur tous mes réseaux sociaux — après que cet objet a gagné en notoriété, notamment grâce à la vidéo de Sophie Riche et Marion Seclin pour Madmoizelle. Et, de fait, je me suis acheté une cup.
Aujourd’hui, pas un jour ne passe sans que je ne voie une publicité en ligne me vantant la dernière culotte menstruelle bio, confortable, avec un joli design et portée par des modèles qui ne sont pas forcément blancs, minces et épilés. Je vous le donne en mille : j’ai aussi craqué pour quelques sous-vêtements menstruels.
Il a suffi de quelques années pour que les serviettes lavables, sous-vêtements de règles et autres coupes menstruelles deviennent incontournables sur le marché de l’hygiène menstruelle où le jetable dictait pourtant sa loi : les protections réutilisables sont désormais visibles et trouvables facilement en grande surface, et plus cantonnées aux rayons des magasins bio. De plus, leur utilisation est socialement valorisée.
Selon Libre Service Actualités (LSA), média spécialisé dans l’analyse des tendances du commerce, de la grande distribution et de la consommation, il y a eu un boom des protections réutilisables et surtout un changement de nos modes de consommation.
Pourquoi mise-t-on sur les protections réutilisables ?
L’essor récent des protections réutilisables tient à un ensemble de facteurs, selon Élise Thiébaut, autrice de plusieurs ouvrages sur les règles dont Les règles… Quelle aventure ! avec Mirion Malle. Elle explique à Madmoizelle :
« À partir du moment où on a parlé plus ouvertement des règles, on a osé poser la question du confort et je pense que beaucoup de protections périodiques ne sont pas si confortables qu’elles le prétendent : les parfums ou simplement les plastiques, sans parler des résidus toxiques, ça fait macérer, ça produit des irritations, des inflammations, des vaginoses, des mycoses… »
Au-delà du confort, la composition et les risques pour la santé de certains matériaux utilisés ayant parfois des effets sur le système endocrinien, la spécialiste estime qu’il y a aussi « aussi une prise de conscience écologique chez les jeunes générations » : même si les serviettes et tampons que l’on jette ne représentent vraiment pas grand-chose par rapport à l’ensemble de nos déchets sur toute une vie, l’idée que chaque petit geste fait la différence a fait son chemin. Si porter une cup m’évite que quelques serviettes usagées atterrissent dans la nature, alors banco !
Enfin, la raison économique pourrait elle aussi être une motivation décisive, par exemple pour les personnes étudiantes touchées par la précarité menstruelle — malgré un coût certain à l’achat, les protections réutilisables sont amorties en quelques cycles.
C’est aussi les protections bio qui ont sorti leur épingle du jeu. Celles de marques spécialisées, mais aussi les déclinaisons « vertes » des noms les plus connus : sans additifs, non blanchies, non parfumées, faites en coton bio… Élise Thiébaut analyse pour Madmoizelle :
« Il y a eu une mobilisation autour de la qualité des protections périodiques, la remise en cause de la présence de produits, de résidus toxiques ou potentiellement toxiques, des rapports qui ont confirmé ça, des alertes autour du syndrome du choc toxique, qui ont fait qu’on a commencé, pour des questions d’utilité publique, à se demander si ce n’était pas possible de faire autrement. »
Un retour à l’ancienne ? Vraiment ?
Est-ce un paradoxe de voir revenir le lavable, le réutilisable ? Tandis que l’arrivée dans les années 70 de la serviette jetable, facile à utiliser avec sa bande autocollante, était vendue comme un progrès pour nous faciliter la vie pendant ces quelques jours plus ou moins infernaux chaque mois, la hype autour des serviettes et culottes menstruelles a-t-elle un léger goût de retour en arrière ?
Élise Thiébaut tient à nuancer vigoureusement cette idée :
« Le progrès, c’est un mythe ! Dire que le fait de jeter des choses qu’on lavait précédemment c’est un mieux, que ça nous fait gagner du temps, ou je ne sais quoi, c’est très discutable. Ce sont des arguments marketing qui visaient à valoriser une certaine idée de la féminité, mais pour en même temps renforcer des stéréotypes qui l’accompagnent. »
Loin d’un retour aux sources, l’utilisation des culottes menstruelles d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle d’il y a un demi-siècle — ni en termes de confort, encore moins en termes d’entretien. La comparaison ne tient donc pas.
L’idée « du retour à l’ancienne », Élise Thiébaut le voit comme une tentative de décrédibiliser ces produits :
« Ça fait partie des arguments marketing, car en termes de profit pour les grandes entreprises de l’hygiène menstruelle, il y a mécaniquement une perte dans l’abandon des produits jetables pour passer à des produits réutilisables. »
C’est notamment visible dans le secteur du tampon, qui a particulièrement souffert des polémiques autour de sa composition obscure et dont les ventes ont reculé ces dernières années. Selon une enquête de l’IFOP pour 20 Minutes et la marque Eve and co réalisée en mars 2021, son utilisation a très nettement chuté : de 33% de personnes les utilisant en 2003, on est passés à seulement 19%.
Les marques cuisinent les règles à la sauce féministe
Les protections réutilisables contribuent-elles à changer le regard sur les règles, à participer à la levée du tabou ? Pour Élise Thiébaut, ce serait plutôt le contraire :
« C’est parce qu’on a jeté un autre regard sur les règles, parce qu’on a réinvesti cette expérience qu’on est en mesure aujourd’hui d’envisager un rapport au sang menstruel et donc aux protections périodiques plus décontracté, plus ouvert. »
D’ailleurs les marques — celles du jetable comme du réutilisable — ne s’y trompent pas. Le marketing autour des règles joue désormais une carte plus offensive, plus décomplexée. Elles aussi veulent briser le tabou des règles, montrer qu’on peut tout faire même quand on les a, mettre en valeur des corps moins stéréotypés.
Elles injectent elles aussi des valeurs féministes dans leur communication, notamment via les réseaux sociaux, comme le souligne Chloé Cenard, autrice d’un travail d’analyse sur la représentation des règles dans la publicité française pour l’université de Bologne. Une forme de « femvertising », contraction de « feminism » et « advertising » (en français, publicité), qui ne passe pas inaperçu.
L’exemple le plus parlant reste l’utilisation toute récente de liquide rouge, et non plus du très euphémique filet bleu pour montrer le pouvoir absorbant d’une serviette ou d’un tampon dans les spots publicitaires.
Une manière aussi de capter l’air du temps pour Élise Thiébaut, qui ne cache pas que cette tentative lui semble un peu à la traîne et surtout très opportuniste :
« Ça m’a toujours fait rigoler l’histoire du sang bleu, personne ne les empêchait de le faire avant ! Les marques se font des vertus pour pas cher. »
Et de faire un lien entre un autre objet du quotidien qui incarne aussi le tiraillement entre réutilisable et jetable, les couches pour bébés, en soulignant un paradoxe : « On ne montre pas du marron et du jaune pour montrer le pipi et le caca ! »
Pourtant, rien qu’en nous montrant du faux sang, les marques semblent soudain pleines d’audace, et s’exposent parfois à de la censure.
Des protections réutilisables plus présentes, mais pas encore plébiscitées par tout le monde
Si elles ont le vent en poupe, les protections réutilisables ne sont pas utilisées par tout le monde. Selon l’enquête de l’IFOP pour 20 Minutes et Eve and co, les serviettes jetables sont toujours en tête des moyens utilisés, notamment en début de règles.
Les personnes interrogées privilégient des critères de confort (82%) et de santé (66%) dans le choix de leur protection, qu’elle soit jetable ou réutilisable. En outre, l’enjeu économique et l’enjeu environnemental apparaissent finalement comme assez minoritaires : 34% et 33% des personnes interrogées affirment que ces critères sont déterminants.
Malgré leur bond spectaculaire dans notre quotidien, les protections réutilisables ne dominent donc pas encore ce marché. Et les géants de l’hygiène n’ont certainement pas dit leur dernier mot…
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
J'ai pendant un bon moment utiliser la cup aussi, mais depuis plusieurs mois, je ne suis plus à l'aise du tout avec et je ne comprends pas du tout pourquoi. Du coup, quand j'ai besoin d'une protection interne je suis repassée aux tampons, mais c'est chiant...