Oseriez-vous porter des bijoux en porcelaine, a fortiori bariolés ? « C’est un matériau difficile mais tellement beau que je me suis obstinée à trouver des solutions aux contraintes », explique à Madmoizelle Louisa Cabanettes, 34 ans, créatrice de la marque Du Rébecca dont c’est la spécialité. Lancés en novembre 2022, ses bagues, boucles d’oreilles, bracelets et colliers sont comme autant de petites œuvres d’art à porter, des talismans à emporter partout avec soi, et qu’on aimerait bien collectionner. Après avoir grandi à Paris, elle s’est installée il y a deux ans du côté d’Annecy, où elle sculpte, peint, et émaille à la main en petite série ses bijoux inspirés notamment par l’architecture art déco. Et comme les grigris qu’elle propose sont plutôt à contre-courant de ce qu’on trouve habituellement sur le marché en ce moment, Madmoizelle a voulu en savoir plus sur son processus créatif, sa dimension artisanale, et ses inspirations pour confectionner ces trésors de porcelaine plus solide qu’il ny’ paraît.
Interview de Louisa Cabanettes, créatrice des bijoux en porcelaine Du Rébecca
D’où vient le nom de votre marque Du Rebecca ? Et Pourquoi vous n’avez pas choisi de donner votre propre nom à votre marque comme c’est souvent le cas ?
C’est une bonne question ! Je dirais que c’est par une forme de pudeur. Je trouve ça trop engageant de donner son propre nom à sa marque, comme s’il s’agissait d’y consacrer son identité toute entière. En revanche, je voulais un nom fort, qui ait du sens et me parle. Dans la vie je suis sensible aux discriminations, et pour moi une façon d’y remédier est de combattre les stéréotypes qui surviennent dès le plus jeune âge. « Faire du rébecca » est une vieille expression française qui veut dire « se révolter, résister ». C’est le sens que je mets derrière cette expression, qui est aussi dans l’énergie et le mouvement. Et phonétiquement, j’adore que le nom ne soit pas trop docile, trop lisse, avec des consonnes fortes.
En quoi vos études d’ingénieur urbaniste, votre master à HEC, et vos expériences en restauration et modernisation de bâtiments patrimoniaux vous ont inspiré pour créer votre propre marque de bijoux ?
Durant mes études j’ai abordé les notions de patrimoine, d’architecture, et d’art dans la ville, dans le territoire. Ce sont des concepts qui m’ont passionnée. Après mes études j’ai choisi de travailler sur des opérations de rénovation de « Grandes Dames » de la Belle Époque, de beaux bâtiments très fréquentés qu’il fallait restaurer et adapter à l’évolution des usages. J’ai adoré analyser les décors de façades, les ornements d’huisseries, etc. Je les considère comme des petites œuvres d’art qui peuvent embellir le quotidien de tout le monde, pourvu qu’on y prête attention. Je pense que tout ça a beaucoup influencé mon imaginaire et que ça se ressent sur mes bijoux ! D’ailleurs je les considère aussi comme des petites sculptures ornementales qu’on peut emporter partout avec soi.
Je précise que je pratique le modelage depuis mon enfance, donc une vingtaine d’années. C’est une façon pour moi de déconnecter mon cerveau de la démarche « logique » ou « cartésienne » qu’on apprend en études, et de le rendre beaucoup plus libre, le connecter uniquement à mes mains et mon imagination.
On peut craindre que ces bijoux en porcelaine soient lourds ou fragiles. Que répondez-vous à ce sujet ?
C’est un matériau difficile mais tellement beau que je me suis obstinée à trouver des solutions aux contraintes.
J’ai fait pas mal de recherches pour limiter le poids (des essais sur beaucoup de terres différentes, le volume, les zones d’émail). Le résultat est vraiment satisfaisant : mes pièces pèsent entre 3 et 8 grammes. Les gens sont toujours très surpris par la légèreté quand ils touchent à mes bijoux pour la première fois ! J’ai deux modèles phares qui sont un peu plus lourds : la Mascaronne (23 grammes) et les grandes Klax (17 grammes). Mais ça reste très largement supportable, y compris aux oreilles.
Sinon, il faut savoir que la porcelaine est moins fragile qu’elle n’y paraît. On est habitué à la faïence en vaisselle, donc à des assiettes ou tasses qui s’ébrèchent facilement. Mais la porcelaine est une terre beaucoup plus solide, qui résiste bien aux petits chocs. J’ai compris que le risque était ciblé, au moment de la pose et du retrait du bijou. Il suffit alors d’être précautionneux·se à ce moment précis, par exemple en tendant une serviette de bain sur son lavabo.
Quel est votre processus de création pour fabriquer vos bijoux en porcelaine moulée, sculptée, poncée, émaillée et peinte à la main ?
Tout le processus est assez long ! Je commence par faire des recherches. Je m’inspire des décors que j’ai observés, dans mon précédent métier, dans la rue, ou dans des livres. Quand un motif ou un détail me plaisent, je les garde précieusement en tête, et je les sculpte en miniature, en les réinterprétant. Ça fait que j’ai dans mon atelier comme une petite bibliothèque de petits motifs, une petite collection.
Quand j’ai une idée plus globale de sculpture qui commence à bien se démarquer au dessin, je passe rapidement à l’esquisse en volume. Je suis plus à l’aise en modelage qu’en dessin. Je cherche la forme, les détails, le sens, j’y intègre des éléments de ma collection de motifs. Et puis rapidement, ça devient un peu technique. Il faut penser par exemple aux étapes suivantes de fabrication, notamment au moule. Je dois aussi prévoir comment la sculpture s’accrochera au support métallique, en adaptant la pièce sans que ça altère sa cohérence esthétique.
Une fois la matrice parfaitement aboutie, je fabrique le moule, et s’ensuivent pas moins de douze étapes de fabrication pour chaque bijou, dont jusqu’à trois cuissons à haute température qui durent de longues heures, voire journées. Entre les cuissons, j’interviens sur les pièces à la main, avec des petits outils et au pinceau. J’aime beaucoup car chaque étape est différente et nécessite une gestuelle et des outils spécifiques. C’est très varié, je ne m’ennuie jamais.
En tout, il faut compter entre une et deux semaines pour fabriquer un bijou.
D’où vient votre palette chatoyante de teintes ? Et craignez-vous que cela puisse être un frein à l’achat pour certaines personnes frileuses d’oser la couleur en bijou, que ce soit trop clivant ?
Je suis très attirée par les couleurs vives et lumineuses, elles me donnent de l’énergie. Ma palette est inspirée d’un service de vaisselle Villeroy & Boch des années 70 qui s’appelle « Acapulco », je l’adore et le collectionne. Mais je suis consciente que mon esthétique peut être clivante. Je me rends bien compte que ce que je crée est différent de ce qui est en vogue en ce moment : du métal, lisse, des formes organiques, épurées. Moi, je fais tout l’inverse, je propose un matériau inhabituel, des détails très fins, et plein de couleurs ! Mais ça ne me dérange pas du tout de faire un pas de côté. Au contraire, ça me donne une grande liberté de ne pas respecter les codes. Et par extension, je trouve que les personnes qui portent mes bijoux s’affirment aussi un peu à contre-courant, et ça me plait beaucoup.
Pour ceux qui préfèrent les bijoux plus sobres, je propose une version « Blanc & Or » pour chaque modèle ! C’est aussi très élégant, et ça fait bien ressortir le relief des sculptures.
En quoi le mouvement Art déco vous inspire ?
J’adore les lignes et les reliefs de la période Art déco, le travail de dissection d’un volume pour lui donner une apparente linéarité. Je trouve qu’il y a une certaine créativité dans le traitement du mouvement ! Par exemple, dans les bas reliefs, je vois souvent des personnages dont l’anatomie est lissée (comme les muscles par exemple, qui ne sont pas détaillés). Ça peut donner l’impression qu’ils sont un peu statiques, ou faussement dynamiques. Et à l’inverse, je ressens une vraie énergie dans les jeux de lignes, et les jeux de profondeurs. Ça rythme le regard, ça donne une autre forme de mouvement. Je suis très admirative du travail des artistes de cette époque.
La figure de la Mascaronne fait partie de vos sujets phare. D’où vient-elle et qu’est-ce qu’elle représente pour vous ?
La Mascaronne, c’est vraiment une figure de pouvoir ou d’autorité féminine. Un genre de déesse qui nous protège. Pour info ce mot n’existe pas vraiment, j’ai simplement féminisé le mot « mascaron » [motif ornemental constitué d’une figure grotesque ou fantastique en ronde-bosse ou en bas-relief, décorant par exemple les devantures de portes ou les orifices de fontaine, ndlr]. En tant que féministe, le simple fait de créer et de porter une telle sculpture me fait plaisir. Esthétiquement et symboliquement, j’ai été influencée par beaucoup de choses : les allégories d’Alphonse Mucha pour le couronnement végétal, des motifs architecturaux pour certaines fleurs ou feuilles, les ex-votos & icônes chrétiennes pour les rayons. Je pense qu’elle peut parler à beaucoup de monde justement parce qu’elle emprunte plein de références différentes.
Plus qu’un rôle ornemental, les bijoux peuvent représenter pour certaines personnes de véritables talismans. Est-ce que quelque chose que vous ressentez avec vos propres bijoux et que vous souhaitez véhiculer ?
Oui, complètement ! Un mascaron est un visage sculpté qu’on voit souvent au-dessus d’une porte d’immeuble, d’un pont, etc. Il est le protecteur du lieu. J’aime beaucoup l’idée que mes bijoux puissent être les gardien·ne·s des personnes qui les portent. C’est autour de cet imaginaire que je les crée. Je trouve que la vie est parfois rude, et que c’est ok de se raccrocher à des petites croyances qui embellissent notre quotidien et nous renforcent.
Par exemple, j’ai plein de grigris dans mon atelier, de petites curiosités gardées au fil des années. Je trouve ça inspirant et sécurisant.
Votre motif Klax peut évoquer aussi bien un coquillage qu’une fleur. En quoi cette ambiguïté entre le végétal et l’aquatique vous inspire-t-elle ?
En fait, c’est l’ambiguïté tout court qui me plait, peu importe le sujet. J’aime bien l’idée du doute, qui laisse de l’espace à la libre interprétation de chacun·e. Ça permet aux autres de se connecter de leur propre façon à mon travail, et ça rend la démarche plus riche et intéressante. Par exemple, j’adore quand des personnes me disent que mon univers leur évoque des choses qui n’ont rien à voir avec mes inspirations. J’adore qu’on puisse créer des liens auxquels je n’aurais pas pensé.
Quel est le conseil que vous auriez aimé avoir avant de vous lancer ?
D’emprunter son propre chemin et d’être résiliente. De faire Du Rébecca, finalement !
Sur qui rêvez-vous de voir vos bijoux Du Rebecca ?
La musicienne et autrice-compositrice-interprète Irene Dresel, l’actrice Philippine Leroy Beaulieu, l’acteur Ncuti Gatwa, le rappeur A$AP Rocky. Et depuis l’au-delà : l’artiste Niki de Saint Phalle.
Outre sur l’eshop Du Rébecca toute l’année, vous pouvez également retrouver les bijoux de collection en porcelaine sculptés et peints à la main de Louisa Cabanettes au Marché de Noël de l’Impérial Palace Annecy du 15 au 17 décembre 2023.
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