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Agathe Pinet et Myriama Idir, cofondatrices du Prix Utopie // Source : Jeanne Lucas
Arts & Expos

Comment le Prix Utopi·e décloisonne l’art contemporain pour les artistes queer

Agathe Pinet et Myriama Idir ont cofondé le prix d’art contemporain dédié aux artistes LGBTQIA+, Prix Utopi·e. Madmoizelle les a rencontrées pour qu’elles expliquent leur démarche alors que s’expose le travail des 10 finalistes de la deuxième édition aux Magasins Généraux (Pantin) du 23 au 28 mai 2023.

Peut-on atteindre l’utopie dont on rêve ? Telle est la question qu’on pourrait se poser quand on s’intéresse au Prix Utopi·e, le premier prix LGBTQIA+ dans l’art. Quand on rencontre ses deux cofondatrices, Agathe Pinet, 25 ans, et Myriama Idir, 48 ans, elles n’ont de cesse de dire que le projet, qui en est à sa deuxième édition en 2023, est encore perfectible, pourrait être encore plus égalitaire, avec une humilité confondante. Pourtant, leur manière de soutenir exclusivement des artistes queer en fait déjà beaucoup, et ce, de façon la plus égalitaire possible, puisque les 10 finalistes accèdent aux mêmes récompenses, dans un souci d’égalité : une dotation financière de 1000 €, une exposition aux Magasins Généraux (à Pantin, du 23 au 28 mai 2023 pour cette deuxième édition), une résidence artistique de deux semaines, ainsi qu’un cycle d’expositions dans trois galeries différentes durant l’hiver. De quoi contribuer à tisser des solidarités entre des artistes, trop souvent pris isolément comme une caution queer dans une expo, mais aussi entre des galeries qui ont peut-être plutôt l’habitude de se voir comme concurrentes.

Alors que s’ouvre l’exposition des 10 finalistes (Maïc Baxane ; Nelson Bourrec Carter ; Aëla Maï Cabel ; Jordan Roger Barré ; No Anger ; Audrey Couppé de Kermadec ; Naëlle Dariya ; Sido Lansari ; Elijah Ndoumbe ; Kianuë Tran Kiêu) aux Magasins Généraux, Agathe Pinet et Myriama Idir explique à Madmoizelle leur démarche.

Interview d’Agathe Pinet et Myriama Idir, cofondatrices du Prix Utopi·e

Madmoizelle. Pouvez-vous vous présenter ?

Agathe Pinet. Je suis Agathe Pinet, cofondatrice du Prix Utopi·e et aussi chargée de production pour les Magasins Généraux.

Myriama Idir. Je suis Myriama Idir, cofondatrice du Prix Utopi·e. Et voilà, je suis entre autres organisatrice d’événements, surtout en arts urbains.

Quels ont été vos parcours respectifs avant de fonder le Prix Utopi·e ?

AP. J’ai fait un master en management du marché de l’art, où l’on s’est rencontré avec Myriama. Entre mon Master 1 et mon Master 2, j’ai fait une année de césure où j’ai travaillé avec une personne qui s’appelle Marine Van Schoonbeek, où j’ai commencé à faire de la production. Puis j’ai fait mon stage de fin d’études aux Magasins Généraux en production, avec une personne qui s’appelle Claire Gayte qui est formidable et je suis restée après. Et en parallèle, on commençait à faire d’Utopi·e ce que c’est maintenant. On a commencé à bosser dessus alors que j’étais en fin d’études.

MI. J’ai un parcours singulier, j’ai toujours alterné parcours universitaire et expérience professionnelle. Je suis ainsi un peu dans la voie autodidacte parce que je suis issue du mouvement Hip-Hop, de la pratique de la danse, de la pratique du graffiti. J’ai toujours alterné : j’ai fait un parcours histoire de l’art, ensuite j’ai travaillé surtout en lien avec les politiques de la ville dans les quartiers, puis j’ai suivi plusieurs formations et diplômes. Comme Agathe, j’ai tendance à vite m’ennuyer, alors j’avais envie de reprendre mes études. J’habite à Metz où ma dernière expérience était au sein de la Cité musicale, pour la danse contemporaine, les musiques classique et lyrique. Et j’avais envie de reprendre des études pour me tourner un peu plus sur le graffiti et le marché de l’art. D’où l’inscription au MBA marché international de l’art, où j’ai rencontré Agathe, parce qu’on s’inscrivait dans les mêmes ateliers, on traitait des mêmes sujets sur les luttes féministes, sur les inégalités dans la culture. On travaille super bien ensemble, donc c’est dans ce contexte qu’a pu naître Utopi·e.

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Né·e en 1984 en région parisienne, Maïc Baxane (@maic.baxane) vit et travaille à Paris. Ell·e dessine et produit ses affiches-images sous forme de multiples aux couleurs franches, des visuels jouissifs qui placent les corps en leur cœur, bousculent et redéfinissent les représentations qui nous entourent, esquissant d’autres mythologies. Impliqué·e et partie prenante des communautés queer, son travail de design graphique et d’illustration participe à la création de messages et de signes pour nos luttes, nos revendications, nos imaginaires. C’est depuis une subjectivité queer et féministe aussi, qu’ell·e travaille l’autoportrait, outil d’exploration à de multiples fins. / 📸 @lucileboiron

Qui est venu vers qui pour proposer le Prix Utopi·e ? Comment a émergé l’idée, concrètement ?

AP. C’était le deuxième confinement, je squattais chez des potes, je m’ennuyais un peu, donc j’avais beaucoup de temps pour réfléchir. Je voulais vraiment faire un projet dans l’art pour changer ce qui me semblait vraiment problématique, notamment après un projet qu’on avait fait ensemble sur les inégalités de genre dans le milieu de l’art. Et, en parallèle, je voulais aussi m’investir davantage pour la communauté LGBT et c’est un moment où j’assumais de plus en plus que j’en faisais partie. C’était un moment où tout concordait : ça me semblait logique de faire un projet pour les artistes queer dans l’art. Quant au format du prix, c’est d’abord parce que j’imaginais que ça serait un one shot, un seul événement. Naïvement, je ne pensais pas du tout que cela représenterait autant de travail, jusqu’à ce que j’en parle à Myriama. Au départ, elle devait me donner 2-3 conseils, et petit à petit, elle a fini par rejoindre complètement le projet.

MI. Oui, ce qui était super dans ce parcours universitaire, c’était de pouvoir découvrir dans chaque groupe d’étude des chiffres, de créer des sortes de statistiques et de mieux nous rendre compte des profils de vente, d’accès pour les artistes, etc. Ça nous a permis d’aiguiser aussi ce regard qu’on porte toujours un peu plus sur ce secteur-là. Et quand Agathe m’a présenté son idée d’Utopi·e, vu mon expérience pour monter des projets, je voulais l’accompagner alors qu’elle le porte elle. À ce moment-là, dans nos vies perso, on avait toutes les deux envies de s’engager davantage pour la commu LGBT+. Porter cette initiative représentait aussi une forme de coming out professionnel, mais aussi en partie personnel.

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Jordan R̶o̶g̶e̶r̶ est né en 1996 et est diplômé de l’Ensa de Bourges en 2021. Il a volontairement barré son nom de famille suite à l’excommunication familiale qu’il a subi il y a quelques années par les témoins de Jéhovah.
Dès lors, il voue un culte à sa propre colère. Ses œuvres, toujours militantes, se dressent en réaction à l’hétéropatriarcat, aux inégalités de classes et questionnent plus généralement la Religion, ses amours, ses icônes et la Famille.
Jordan utilise des codes connus de toustes pour les détourner de leur statut originellement conçu. Ses doigts d’honneurs se matérialisent dans un travail pluridisciplinaire qui se nourrit d’un champ lexical gay. Un château de princesses en flammes, une chorale de sirènes, une fausse page wiki en céramique, un travesti dans une robe de mariée. Des doigts d’honneurs couleurs pastels recouverts de paillettes et affublés de phrases chocs espérant pouvoir endoctriner le plus de brebis possibles. / 📷 @muuditaga

En parlant de coming out, avez-vous l’impression qu’être out en tant qu’artiste, galeriste, ou en institution peut nuire à une carrière aujourd’hui ?

MI. À ce sujet, pour un exposé, nous avions émis une petite critique concernant la feuille de route de la mission diversité-égalité du ministère de la culture : beaucoup d’efforts sont faits, mais restent encore trop binaires. C’est très focalisé sur la parité femme-homme.

AP. Ce sont des questions qu’abordent notamment Isabelle Alfonsi dans son livre Pour une esthétique de l’émancipation : construire les lignées d’un art queer, ou encore l’association Contemporaines. On a tendance à penser séparément les questions de parité, de diversité, et de queerness, alors qu’elles peuvent souvent s’imbriquer, comme l’illustre notamment le travail de l’artiste non-binaire Audrey Couppé de Kermadec qui parle des personnes noires et queer. On manque encore d’intersectionnalité sur ces questions-là. Après, est-ce qu’être out peut nuire professionnellement aujourd’hui, cela dépend de beaucoup de facteurs : est-on en début, milieu ou fin de carrière, est-on artiste, critique, directeur·ice d’une institution, dans quel territoire on évolue… Les coming out trans, non-binaire, lesbien ou gay n’ont pas les mêmes répercussions.

MI. Et puis il n’existe pas vraiment de chiffres qui pourraient nous permettre de répondre de façon précise à cette question. Chiffrer cette réalité pourrait permettre d’apporter des réponses concrètes en cas de problème, et de mesurer des progressions. Mais beaucoup d’artistes ne veulent pas être catégorisé·es. Plein d’artistes ne veulent pas non plus s’incrire sur le marché de l’art, qui peut être très violent. L’une de nos volontés à travers le format du Prix Utopi·e, c’est de contribuer à donner un coup de boost aux gens pour qu’ils aient envie d’acheter des œuvres d’artistes queer.

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Audrey Couppé de Kermadec est un.e journaliste, un.e écrivain.e, un.e artiste visuel.le et performeur.euse non-binaire et afrodecendant.e. Son travail explore des sujets allant des traumatismes de l’enfance à la santé mentale, en passant par les normes de genre et l’expérience d’être une personne noire touchée par le sexisme. Originaire de Guadeloupe et de Martinique, l’artiste antillais.e utilise son art comme un acte d’amour de soi et un lieu sûr pour montrer sa vulnérabilité. Ses œuvres se veulent hybrides et mêlent le dessin digital, les textes personnels, les photos argentiques et les pistes sonores oniriques pour tisser des collages intimes et politiques. / 📸 @nantene_traore

Justement, quelles autres volontés vous ont donné envie de lancer un prix, plutôt qu’une galerie par exemple ?

AP. J’étais encore étudiante, je n’aurais jamais eu le temps, ni les compétences, ni la confiance pour ouvrir une galerie dont il aurait fallu s’occuper à temps plein, contrairement à un prix dont j’ai pu commencer à m’occuper sur mes pauses déjeuner, les soirs et les week-ends. J’avais de l’expérience dans la création d’événements, donc c’était davantage dans mes cordes aussi. Et puis, cela entrait dans ma réflexion de : comment faire d’un prix qui est un format historiquement inégalitaire, qui met en concurrence des artistes, quelque chose de plus égalitaire et positif ? Idéalement, on aimerait soutenir beaucoup plus que 10 finalistes à la fois, mais nous n’avons pas les financements aujourd’hui pour faire plus. Aujourd’hui, les dix finalistes accèdent aux mêmes dotations financières, lieux d’expositions, et à une résidence.

MI. Et c’est aussi comment on peut intervenir sur tous les champs de lutte et dans tout le secteur, avec les institutions et les structures qui existent déjà. Travailler avec l’existant, c’est souvent plus malin d’un point économique, logistique, etc.

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Kianuë Tran Kiêu est un·e artiste asiofuturiste non-binaire et transdisciplinaire. Son travail est traversé par 3 grandes notions: le sanctuaire émotif, le mysticisme résilient et les luttes queer et antiracistes. Ses œuvres se matérialisent dans un univers poétique et onirique, inspiré de ses imaginaires de replis. Elles soulignent l’importance de faire mémoire collective, de réclamer son héritage queer et d’être moteur de sa narration. Kianuë réfléchit la libération des corps queer et racisé·e·x de tout contrôle, la réappropriation d’une spiritualité trans décolonisée comme rite de résilience, ainsi que la sensibilité comme puissance de révolte, de résistance et d’autodétermination politique. / 📷 helio_or_heaven

Que révèle le nom de ce prix de votre idéal, de vos ambitions, et de votre vision de l’art queer ?

MI. Peut-être que le propre d’une utopie, c’est d’être inatteignable, mais on met tout en œuvre pour s’en approcher le plus possible. L’exposition Résistance des fluides de la première édition du Prix Utopi·e a permis à plusieurs galeries de se rappeler qu’elles étaient aussi des lieux de vie, capable d’accueillir des performances, des réflexions, mais aussi un sentiment de communauté. Quelques galeristes avaient pu l’oublier à cause du Covid. J’espère qu’on contribue à réinjecter un peu d’utopie dans tous les différents territoires de l’art qu’on croise.

AP. Ce prix qui nous fait travailler avec les structures qui existent déjà nous permet aussi de nouer des collaborations extraordinaires, avec des personnes merveilleuses. Comme avec Isabelle Alfonsi & Cécilia Becanovic de la galerie Marcelle Alix qui nous ont énormément aidé à faire le cycle d’expositions en galeries l’an dernier pour la première édition du Prix Utopi·e. Humainement, professionnellement, artistiquement, c’est vraiment un rêve.

MI. J’ai eu l’habitude de travailler avec l’existant, et j’ai toujours trouvé ça fructueux. Notre volonté avec Utopi·e, ce n’est pas de s’imposer sur un lieu défini, mais plutôt de se demander comment on peut partager un bout de programmation sans que vous ayez peur qu’on vous vole votre métier ou votre poste dans la structure.

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Elijah Ndoumbe est un·e artiste multidisciplinaire, réalisateur d’images en mouvement, tisseur de rêves, et collaborateur. Iel travaille sur des méthodes de connexion artistique, de sensibilité et de pensée disruptive. Dans sa·on processus de création Elijah fait appel à l’ensemble de ses sens, ainsi les sensations du souffle, du corps, de l’espace, du désir, de la musique et du mouvement deviennent des éléments clés dans la production d’images. Ndoumbe a été artiste en résidence à Black Rock Sénégal et a exposé dans l’exposition collective Black 40 Rock organisée par Kehinde Wiley à la Biennale de DAK’ART 2022. Iel fait partie du programme CPH:LAB (2022-2023), a exposé à la Biennale Africaine de la photographie à Bamako (2022-2023), et développe actuellement un projet avec des artistes entre la France, le Sénégal et les États-Unis.

Que vous a appris la première édition du Prix Utopi·e qui vous sert particulièrement pour la deuxième ?

MI. Ma plus grande crainte pour la première édition, c’était que je ne voulais tellement pas blesser les gens. Je voulais être la plus respectueuse possible de la pratique de chaque artiste, mais aussi des gens qui se sont engagés avec nous, les galeristes, le public. Tenter d’être à la hauteur du manifeste d’Utopi·e qu’on avait écrit.

Les galeries ont-elles été compliquées à convaincre ? Le succès de la première édition a-t-il aidé pour la deuxième ?

AP. Ça n’a jamais été un problème majeur de convaincre les galeries d’accueillir le projet. Isabelle Alfonsi & Cécilia Becanovic de la galerie Marcelle Alix ont été les premières galeristes que j’ai appelés car j’avais eu un bon contact avec elles pour un projet quand j’étais en Master 1. C’est grâce à elles aussi qu’on a pu convaincre facilement d’autres galeries pour la première édition. Pour la deuxième, on n’a pas eu de problème non plus, on cible bien, et si cela ne coïncide pas pour des questions de timing, c’est ok. On amène une autre façon de travailler, pas du tout dans la concurrence.

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Nelson Bourrec Carter est un artiste et réalisateur Franco-Américain. Sa pratique qui lie film, photographie et installation, s’articule autour des liens tissés entre territoires fictionnés et paysages réels, et les questionnements identitaires qui leurs sont inhérents. Ses tropismes sont ceux de ses origines familiales, françaises et afro-américaines, de son identité queer, ainsi que des narrations qui ont forgé son regard sur cette triple culture. Ses images sont empreintes des grandes mythologies américaines, autant documentaires qu’hollywoodiennes, et chacune de ses pièces s’appuie sur ces ressources autant qu’elle en interroge la structure. Ses films ont été montrés dans des festivals tels qu’Entrevues Belfort ou Vila do Conde, à la Cinémathèque Française, mais également dans des centres d’arts comme le MacVal, le Jeu de Paume ou le MoMA.

Comment sélectionnez-vous les membres du jury ?

AP. Pour la première édition, on a commencé par Isabelle Alfonsi & Cécilia Becanovic de la galerie Marcelle Alix, puis le curateur Thomas Conchou, Raphaël Gatel qui a été un de nos profs, l’artiste chercheur·e queer de La Réunion Brandon Gercara, et l’artiste plasticienne franco-gabonaise Myriam Mihindou. On voulait des corps de métier, des expériences, des âges différents. Même chose pour cette deuxième édition. Il est arrivé que des personnes contactées nous disent ne pas être queer et donc ne pas se sentir légitime pour participer en tant que jury. Mais justement, on veut ouvrir ces questions-là, et ça nous arrive de proposer à des personnes vraiment alliées.

MI. On a aussi conscience qu’on sollicite des personnes qui vont prendre du temps pour lire les dossiers, c’est pourquoi on s’y prend bien en amont. Chaque membre du jury regorge de bienveillance, d’implication, de conseils, c’est génial. Cette année, il s’agit de Julie Crenn (docteure en histoire de l’art, critique d’art (AICA) et commissaire d’exposition indépendante) ; Camille Kingué (membre de l’association Contemporaines) ; Clément Postec, (conseiller artistique, commissaire d’exposition et cinéaste) ; Adeline Rapon (artiste et photographe) ; Emilie Renard (directrice du centre d’art et de recherche Bétonsalon) ; H·Alix Sanyas Mourrier (artiste et membre de la collective Bye Bye Binary).

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Sido Lansari est né et a grandi à Casablanca, au Maroc. Il a travaillé à la Biennale de la danse et la Biennale d’art contemporain de Lyon pendant ses études de communication culturelle. En 2014, il s’installe à Tanger et rejoint l’aventure de la Cinémathèque de Tanger dont il en est le directeur jusqu’en septembre 2022. Actuellement au Post-diplôme Art à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Lyon, il y développe un projet sur L’Ahzem, premier mouvement queer maghrébin en France. Sa pratique artistique s’articule autour de questions liées à l’identité, au genre et aux sexualités en explorant les angles morts de la mémoire, du point de vue de l’héritage linguistique, artisanal ou archivistique. À travers des médiums comme la broderie, la photographie et la vidéo, il interroge un récit collectif pour construire une réflexion et une mémoire individuelles. En 2018, il est artiste résident à la Friche la Belle de Mai à Marseille. Il y développe Les Derniers paradis, son premier court-métrage, Grand Prix 2019 du Festival Chéries-Chéris à Paris. Il crée en 2020 divine, fanzine participatif et pluridisciplinaire en ligne, qui favorise la contribution d’artistes d’univers multiples en leur offrant un espace d’expérimentation de la pratique artistique domestique dans un contexte de pandémie.

Vous avez reçu combien de candidatures entre la première et la deuxième édition ?

AP. On écarte les dossiers de personnes qui seraient encore étudiantes, ce qui fait qu’on considère vraiment avoir reçu environ 230 dossiers complets pour 2022, et 260 pour 2023. On fait un premier tri, puis on en envoie environ 50-60 aux membres du jury.

Comment se compose votre modèle économique ?

AP. Pour la première édition, le jury n’était pas rémunéré, mais cette année oui. Le Prix Utopi·e est financé par du financement participatif, les Magasins Généraux qui nous mettent aussi à disposition un lieu et du staff très précieux, le ministère de la Culture, la DRAC Île-de-France (Direction régionale des affaires culturelles), et cette année aussi par l’ADAGP (Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques).

MI. Et cette année, quand cela a un sens par rapport au travail d’artistes en particulier et leurs mediums, il nous arrive de solliciter des entreprises privées pour une aide à la production, par exemple pour l’impression de tirages photos. Il faut que ça ait du sens et qu’on ait des valeurs communes.

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Aëla Maï Cabel est né·e en 1995. Iel fonde sa pratique sur l’échange des savoir-faire et savoirs, travaillant notamment la céramique, la performance, l’édition, les ateliers de partage, la cueillette et le glanage. Son travail se compose d’un ensemble de pièces se présentant sous la forme d’installations. Si ce terme générique vient préciser des postures historiques dans l’histoire de l’art, iel se connecte ici tant aux savoirs ancestraux qu’aux économies du partage, lui donnant la possibilité ouverte (ou offerte) de faire advenir, à présent, un futur. Iel nous invite à nous relier à des forces, celles de la nature ou de la cosmogonie, de travailler de plus près les notions d’autonomie et d’autogestion, de questionner les féminismes comme pensée écosophique et enfin d’aborder toutes matières (argile, textile, teinture, laine, bois) comme la zone sensible d’un territoire de rencontres, de trouvailles et d’enchantement. / 🖊 Extrait de biographie écrite par Claire Laporte, Centre d’art Ultra association. 📷@[17841442452887743:@aury.hanne]

Pourquoi c’est important pour vous de récompenser les 10 artistes finalistes de la même manière ?

MI. On voulait proposer quelque chose d’égalitaire, ou plutôt de juste. On prend vraiment le temsp d’étudier les dossiers, et on en choisit dix parce qu’on souhaite donner une vraie dotation, mais si on disposait de davantage d’argent, peut-être qu’on aurait pu monter à 20 finalistes. Il a fallu qu’on tranche, qu’on positionne un curseur réaliste par rapport à nos moyens, pour choisir un nombre de finalistes nous permettant d’allouer une somme honorifique. Mais ça nous semblerait plus juste d’avoir une dotation allant au-delà d’un SMIC, c’est ce qu’on souhaite pour la suite. Au vu du nombre de dossiers d’artistes qui postulent, ça semble inspirer confiance. On a reçu beaucoup de remerciements aussi pour avoir créé un prix au service de nos luttes.

AP. Les artistes viennent aussi en sachant qu’iels ne vont pas être discriminé·es, mégenré·es, ni être la seule personne queer qui servirait alors de caution. C’est reposant de se savoir au sein de sa communauté. Et puis récompenser dix artistes de la même manière, c’est aussi proposer une autre manière de travailler, en dehors de l’hyper concurrence, mais aussi de cette manie qu’ont certaines galeries d’avoir un ou une artiste poulain sur lequel elles vont beaucoup miser, pour qu’il soit hyper côté. On espère que ça puisse donner des envies à d’autres personnes de lancer des projets un peu plus égalitaires. On ne dit pas que c’est parfait, mais c’est notre tentative de proposer quelque chose d’autre, d’alternatif, de plus égalitaire.

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Chercheuse et artiste, No Anger tient le blog A mon geste défendant. Elle a obtenu, en 2019, un doctorat en science politique. Elle participe aux luttes féministes, queer et antivalidistes. Souhaitant exprimer la puissance de son corps loin des assignations validistes qu’elle subit au quotidien, No Anger se crée une nouvelle peau, par la danse et l’écriture. Son travail suit donc ces deux axes qui se mêlent parfois dans ses performances : elle écrit des textes qui accompagnent la danse, la complètent. Elle croit beaucoup en la possibilité de réinventer artistiquement son corps et sa sexualité. / 📸Arsène Marquis

L’exposition aux Magasins Généraux s’accompagne de toute une programmation culturelle très riche. Pourquoi c’est important pour vous de montrer l’art, mais aussi de le réfléchir, de le poétiser, de le danser, et de le fêter ?

AP. Le cœur du projet, c’est de présenter des artistes LGBT+ avec un engagement fort dans leur travail. Cela peut prendre plein de formes d’expressions artistiques différentes, et puis c’est super intéressant de prolonger cela autrement, sous d’autres primes. C’est aussi une manière de convier, visibiliser et payer d’autres artistes, venant d’autres disciplines, et de croiser les publics. Ce sera intime, doux, intense et apaisant.

MI. On n’est pas juste dans la monstration, on s’interroge aussi sur la manière dont on parle de tout ce travail venant d’artistes queer. On développe des outils ensemble, et on veut toucher à une vérité de l’histoire de l’art, longtemps confisquée aux artistes queer dont l’identité de genre ou la sexualité a pu être mise sous le tapis.

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Naelle Dariya est autrice, performeuse et comédienne. Après des études de lettres, elle suit une formation intensive à l’École du jeu et travaille régulièrement sous la direction d’Alexis Langlois, Paul B. Preciado et Yann Gonzalez dans des films résolument queers. Son expérience de vie est souvent motrice dans son processus d’écriture de récits d’autofictions. Ses créations, qui sont des critiques acerbes du cistème, abordent les thématiques de la reproduction sociale et de l’intersectionnalité. Elle use d’un humour incisif, où personne n’est épargné.e. Parallèlement, aux côtés de son ami river, cinéaste et militant, iels ont fondé le collectif SHEMALE TROUBLE qui promeut les cultures trans et queers dans le milieu de la nuit. / 📸 @bogdanchthulusmith

Avez-vous l’impression qu’il y ait des tendances dans l’art contemporain à vouloir capitaliser sur certaines facettes de l’identité des artistes : après une vogue féministe, puis afro, passerait-on au queer ? Qu’en pensez-vous ?

MI. Peut-être, mais, je le prendrais sous une autre lecture aussi : on inspire ! À un moment donné, quand plusieurs artistes ouvrent des portes et des initiatives, cela donne des idées, à d’autres artistes et des institutions qui peuvent vouloir s’en inspirer. Ce n’est pas toujours bien fait, cela demande de la sincérité, du travail, des moyens, et du temps.

AP. Oui, suite à l’assassinat de George Floyd et au regain d’intérêt pour Black Lives Matter, cela s’est ressenti dans ce qu’exposait le milieux de l’art. Peut-être qu’on arrive à une mode du queer, et que ce sera encore autre chose dans 6 mois. Mais j’essaye de rester optimise dans la mesure du possible, et de me dire que si d’autres personnes s’emparent de nos combats, cela contribue à nous visibiliser. Là où ça devient très dérangeant et très révoltant, c’est quand ce sont ces mêmes personnes qui s’enrichissent au détriment des personnes concernées. Si demain une personne cis-hétéro fait une énorme expo et donne beaucoup d’argent à des artistes vraiment concernés tandis qu’elle reste en retrait, tant mieux. Mais bon, c’est rarement ce qu’il se passe en réalité. Après, les représentations ont de l’intérêt et des limites : plus on voit la communauté, mieux c’est, mais il faut aussi que l’argent et les droits reviennent à la communauté.

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Myriama Idir et Agathe Pinet, les cofondatrices du Prix Utopi·e, photographiées par @byjeannelucas

Dans quelle mesure un prix comme Utopi·e contribue non seulement à la visibilité, mais aussi à l’inclusion, et à la pérennisation des artistes queer dans le milieu de l’art contemporain ?

AP. Ça ne dure peut-être qu’une semaine aux Magasins Généraux, mais c’est un symbole fort d’avoir dix artistes exclusivement queer exposé·es dans une grande institution culturelle francilienne. Ensuite, on remet ça trois fois en deux mois dans différentes galeries. Cette répétition de visibilité apporte beaucoup. Avoir dix artistes qui nous représentent, nous, ça a un impact culturel, social et politique important.

Avez-vous déjà prévu de faire une troisième édition du Prix Utopi·e ? Quel est le conseil fraîchement appris que vous avez déjà hâte d’appliquer ?

AP. Bien sûr que oui ! Ce que je retiens notamment, c’est que personne ne va nous offrir une place, il faut la créer nous-même. Si le Prix Utopi·e a émergé, qu’il a reçu autant de candidatures, qu’il a pu en faire une deuxième et en recevoir encore plus, c’est qu’il a une raison d’être. On a besoin de prendre de l’espace en tant qu’artiste queer si l’on veut que la société évolue. Il faut y aller, arrêter d’avoir peur, avoir confiance en nous, y croire à fond et défoncer les portes, et s’entourer de personnes qui veulent nous accompagner dans ce sens-là.

MI. Je retiens aussi de ne pas confondre patience et attentisme. Personne ne va venir nous chercher parce qu’on aura attendu poliment en silence. Il n’y aura pas de ticket gagnant du loto, ni de grand mécène tombé du ciel, c’est à nous de provoquer les rendez-vous décisifs, de créer les opportunités. On veut garder l’énergie de la première et la deuxième édition, sans insouciance. On est au bon endroit, au bon moment.

Utopi.e, le premier prix LGBTQIA dans l'art // Source : Prix Utopi·e

Rendez-vous aux Magasins Généraux (1 Rue de l’Ancien Canal, 93500 Pantin) du 24 au 28 mai pour retrouver les œuvres des 10 artistes sélectionnéxes pour l’édition #2 du Prix Utopi·e. Une programmation accompagnera l’exposition, de la soirée d’ouverture au week-end de clôture : performances, lectures, DJ sets, conférences…

Soirée d’ouverture mardi 23 mai de 18h à 23h.


Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.

Les Commentaires

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Avatar de Perseperse
21 mai 2023 à 21h05
Perseperse
J'ai eu l'honneur et le plaisir de bosser avec une des co-fondatrices, qui m'a énormément inspiré lors de notre temps pro partagé : je suis tellement heureuxe de voir que son engagement dépasse tout ce qui pouvait être préssenti de ma part à l'époque ! Les initiatives inclusives aux ambitions réellement militantes surgissent autour de nous et c'est émerveillant. J'ai aussi partagé largement les appels à projets du prix Utopi-e autour de moi : n'hésitez pas à en faire de même : le développement de la pratique artistique de la commu queer naît parfois en toute discrétion et notre réseau regorge d'artistes intimes qui ne publient pas forcément leur talent !
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