« Lorsque vous rentrez dans une salle de classe, vous ne devez pas être capable d’identifier la religion des élèves en les regardant. » Dimanche 27 août sur TF1, le fraîchement nommé ministre de l’Éducation Gabriel Attal a prononcé l’interdiction du port de l’abaya dans l’enceinte des écoles publiques, au nom du principe de laïcité. Pourtant, le Conseil français du culte musulman (CFCM) ne reconnaît pas ce vêtement comme religieux.
Qu’implique le principe de laïcité, comment et jusqu’où s’applique-t-il ? Éclairage.
Que dit la loi en matière de laïcité ?
Le mot laïcité vient du grec, laos, qui signifie « le peuple ». On doit ce terme à Ferdinand Buisson, cofondateur et président de la ligue des droits de l’homme, proche de Jules Ferry. Il est l’un des architectes du texte fondateur de 1905, sur la séparation des Églises et de l’État.
Les racines de la laïcité, inscrite dans la constitution de 1946 et reprise par celle de 1958, sont donc à puiser dans cette fameuse loi de 1905.
Sur le site vie-publique, la laïcité est résumée ainsi : « un des fondements de la République française » qui « repose sur deux principes : l’obligation de l’État de ne pas intervenir dans les convictions de chacun et l’égalité de tous devant la loi, quelle que soit sa religion ».
L’article premier de la constitution stipule en effet que la République est « indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
Le site de vie-publique poursuit :
Selon le Conseil constitutionnel (décision du 21 février 2013), résultent du principe de laïcité :
- le respect de toutes les croyances et l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion ;
- la garantie du libre exercice des cultes ;
- la neutralité de l’État ;
- l’absence de culte officiel et de salariat du clergé.
Comme le précise le magazine Pour l’Éco, la neutralité de l’État, implique qu’il « ne reconnaît, ni ne finance aucun culte », et qu’il « ne doit pas intervenir dans les affaires religieuses (sauf en Alsace-Moselle, qui faisait partie, au moment de la Loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905, de l’empire Allemand et dans certains territoires d’outre-mer, où les cultes relèvent de régimes particuliers) ».
De son côté, Le Monde dresse une chronologie pour comprendre l’histoire de ce concept à travers les grands textes de lois l’ayant façonné :
1789. Selon l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »
1791. La Constitution confère « la liberté à tout homme […] d’exercer le culte religieux auquel il est attaché ».
1881-1882. L’école « publique, gratuite, laïque et obligatoire » est créée par les lois Jules Ferry.
1905. La loi de séparation des Églises et de l’État établit dans son article 1 que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes […] dans l’intérêt de l’ordre public. » L’article 2 prévoit que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».
Le Monde, « La laïcité : un concept, deux interprétations ». 19 janvier 2016.
Laïcité « ouverte » versus laïcité « républicaine » ou « fermée » : de quoi parle-t-on ?
La définition du mot laïcité n’est pas figée. Ce terme recouvre même plusieurs interprétations et usages contradictoires, comme le souligne Le Monde : « une vision dite « fermée » du concept, c’est-à-dire attachée à la stricte neutralité religieuse dans l’espace public, s’oppose à une vision qualifiée d’« ouverte », au contraire opposée à gommer tout signe d’appartenance religieuse ». Cette deuxième vision est « plus sensible à la liberté religieuse, de conscience et au dialogue interreligieux » précise le média Pour l’Éco.
Le magazine rappelle aussi que la laïcité fermée, dite laïcité républicaine, a été « portée historiquement par les mouvements de gauche anticléricaux au XIXe siècle, qui vise à réduire l’influence des autorités religieuses et la place de la religion dans la sphère publique et politique ».
Que se passe-t-il avec les signalements pour atteinte à la laïcité ?
Depuis la loi de 2004, il est interdit de porter des signes religieux « ostentatoires » à l’école publique. Le texte stipule que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ». Cette loi, mise en place dans le sillon des débats autour du port du voile à l’école, reste flou sur ce qui est considéré ostensible ou non.
Le Monde abonde : « un médaillon arborant une croix chrétienne, un croissant musulman ou une étoile juive est toléré, mais pas un voile, ni une kippa, ni une grande croix portée sur les vêtements ».
Pour accompagner les professeurs sur ces questions, le site éduscol met depuis 2018 à leur disposition un formulaire « atteinte à la laïcité » :
Les personnels de l’Éducation nationale se sentent parfois seuls face à une situation où ils pressentent que le principe de laïcité est remis en cause. Avec le formulaire en ligne « atteinte à la laïcité », ils ont désormais la possibilité de faire part d’une situation dont ils ont été témoins ou d’une difficulté qu’ils rencontrent sur ce sujet qui est au cœur des fondements de l’école républicaine.
https://eduscol.education.fr/
Depuis 2022, à la demande de l’ancien ministre de l’Éducation Pap Ndiaye, les chiffres de ces signalements sont communiqués mensuellement.
Selon Le Monde, « Depuis près d’un an, principaux et proviseurs confrontés à des élèves en abayas (robes longues de tradition moyen-orientale, portées au-dessus d’autres vêtements) ou en qamis (tuniques longues pour les hommes) demandent des « consignes claires » pour savoir si oui ou non ces vêtements manifestent ostensiblement une appartenance religieuse, contraire à la loi du 15 mars 2004 ».
En milieu de semaine dernière, plusieurs médias ont fait notamment état d’une hausse de 120 % des signalements, dont 40 % concernaient l’abaya, toujours selon Le Monde.
Les annonces de Gabriel Attal qui en ont suivi n’ont pas tardé à raviver les débats autour de la laïcité, entre « ceux qui dénoncent une stigmatisation des musulmans et une atteinte à la liberté religieuse et ceux qui se réjouissent que la confession des élèves ne soit pas visible dans les salles de classe », comme le résume Pour l’Éco.
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