Article initialement publié le 22 novembre 2022.
On pouvait avoir envie de croire à l’avènement des mannequins de toutes les morphologies sur les podiums, vu le succès de certaines tops plus size, comme Ashley Graham, Paloma Elsesser, Precious Lee, ou encore Jill Kortleve. Pourtant, elles n’étaient sûrement que les exceptions qui cautionnaient la règle de la minceur fortement recommandée pour réussir sur les podiums. Comme des cautions #BodyPositive, elles permettaient d’apaiser les demandes croissantes du grand public pour davantage de représentativité au sommet de la mode. Car, à leur côté, continuait de régner ce qu’on surnomme la taille 0 aux États-Unis, soit du XS ou un 34 Français.
Attention, cet article ne vise pas à bodyshamer qui que ce soit. On peut être très mince et en bonne santé. Le souci n’est pas d’être mince. Ni même d’être mince et mannequin. Cet article interroge comment l’industrie de la mode remet en avant de façon monolithique la minceur comme seul standard de beauté valable, ce qui peut avoir des effets délétères sur une partie du grand public.
La mode a tenté de dire adieu au règne de la taille zéro
Pourtant, un élément majeur donnait à penser qu’on allait dans le bon sens : les groupes de luxe les plus puissants du monde que sont LVMH (Louis Vuitton, Dior, Fendi, Celine, Givenchy) et Kering (Gucci, Balenciaga, Saint Laurent, Alexander McQueen, Bottega Veneta) ont co-signé une charte pour améliorer les conditions de travail et mieux protéger le bien-être et la santé des mannequins.
Cette charte d’LVMH & Kering stipule notamment qu’on ne peut pas faire travailler des mineures de moins de 16 ans, que les mannequins doivent faire plus qu’une taille 32, et disposer d’un certificat médical attestant de leur bonne santé. Comme elle émane de poids lourds de l’industrie, cette charte aurait pu avoir l’effet d’aligner les pratiques vers le mieux. Sauf que peu de moyens seraient mis en place pour vérifier qu’elle est bel et bien appliquée, comme nous l’expliquait l’association française de défense des mannequins Model Law.
La tendance mode Y2K, terreau du retour à l’esthétique heroin chic
D’autres signaux inquiétants se multiplient depuis que l’Occident s’est déconfiné et que les défilés de mode physiques ont repris. Sur les podiums, le regain d’intérêt pour les tendances des années 2000 (#Y2K) invitent à recourir à des mannequins ayant la silhouette en vogue dans ces années-là, c’est-à-dire mincissimes, pour donner envie de croire à nouveau au port des micro-jupes, pantalons à taille ultra basse et des crop tops papillons. On peut aussi penser à Kim Kardashian qui raconte son régime pour perdre plus de 7 kg afin de rentrer dans la fameuse robe de Marilyn Monroe pour le Met Gala 2021. La rumeur veut aussi qu’elle ait dissout ses implants et/ou injections volumatrices des seins et des fesses pour afficher une silhouette plus fine.
Sur TikTok, Instagram et Twitter, nombreux sont les fans de mode et de célébrités à remarquer une forme de retour à l’esthétique « heroin chic » des années 1990 : glamourisation d’une minceur permise et/ou entretenue par le recours à des drogues. Kate Moss en était par exemple l’une des figures de proue involontaires, surtout depuis que le tabloïd Daily Mirror l’a affichée en plein reniflage de cocaïne en 2005. Certaines personnes s’échangent même des astuces de détournement de médicaments prévus pour le diabète afin de s’en servir pour maigrir (#Ozempic sur TikTok notamment), tandis que les contenus pro-anas regagnent en popularité derrière un hashtag comme #thinspiration.
Sur les podiums, les mannequins maigres règnent à nouveau en masse, des mises en beauté accentuent volontairement les cernes ou créent des rivières de larmes au khôl ou en paillettes. De quoi rappeler aussi une série très populaire comme Euphoria, où drogues et beaux vêtements font bon ménage, tandis que l’esthétique soft emo grunge si cher à tumblr revient également en force chez une partie de la jeunesse.
Alors que le Met Ball 2023 rendra hommage à Karl Lagerfeld, grossophobe notoire, plusieurs médias s’accordent donc à dire que les silhouettes minces sont en passe de redevenir le canon de beauté dominant, après quelques années de règne du look BBL (pour Brazilian Butt Lift), à la Kardashian. C’est ce qui permet au New York Post de titrer « Bye-bye booty : l’héroïne chic est de retour ».
Une poignée de mannequins grande taille en caution bodypositive
Le média donne notamment pour exemple la mise en avant de silhouettes très minces starifiées par les défilés de mode, comme Bella Hadid au défilé Coperni. À noter que la marque voulait justement que cette collection soit un hymne à « toutes les femmes » d’après sa note d’intention, certes, mais c’était loin d’être visible sur son podium où les tops dépassaient rarement la taille 44. Globalement, sur cette dernière fashion week printemps-été 2023, sur les 327 marques présentent aux calendriers officiels, seules 30 (9%) mannequins faisaient plus d’une taille 20 états-unienne (ou 48 en France).
En fait, même la taille 44, chiffre repère à partir duquel on parle de mannequin plus size ne correspond pas toujours à la réalité des rares tops à percer sur ce créneau. En effet, comme le relève une professionnelle du secteur auprès du Guardian, il arrive souvent que, pour les shootings photos de vêtements grande taille, les mannequins choisies soient trop minces (parce qu’elles font du 40-42, ce qui suffit à être considéré comme mannequin curve), et qu’on ait recours à du rembourrage afin de donner le change.
Preuve supplémentaire, s’il en fallait, que s’arrêter aux vitrines de la mode que sont les défilés, les campagnes de pubs, et éditoriaux de magazine ne traduit pas forcément de changement profond de l’industrie. C’est là toute la différence entre la diversité de façade — où il est facile de jouer sur les représentations et de s’autoproclamer #bodypositive — , et de vrais efforts d’inclusion, visibles dans les tailles vraiment présentes sur les eshops et surtout les boutiques physiques. Bref, la minceur et la diet culture n’était jamais parties, elles étaient juste mal cachées derrière l’esthétique « slim thick » ou BBL, comme le résumait Nora Bouazzouni la journaliste cuisine et société dans un thread éclairant :
« Aucun standard de beauté ne nous émancipera ; c’est le principe même du standard. Il emprisonne. Il fait souffrir. Nos corps ne sont pas des standards. Ils ne doivent pas être érigés comme tels, ni récompensés par une tape sur la tête, un boulot ou des likes parce qu’ils correspondent à la norme en vigueur ou qu’on les y a fait correspondre à coup de TCA, de squats ou de bistouri. »
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Crédit photo de Une : Blumarine
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Les Commentaires
Je ne vois pas en quoi ça aide les grosses a aimer leur corps c'est même pire et plus vicieux : mais si vous pouvez être grosse et vous aimer, regardez ces mannequins, ces influenceuses, vous voyez c'est possible ! mais attention, il faut être une 'bonne' grosse, pas une grosse qui a des bourrelets et les seins qui tombent n'exagérons rien !!!
Faut arrêter l'hypocrisie à un moment, 'tous les corps sont beaux sur un tapis rouge ' ben non moi je suis grosse et c'est pas pour ça que j'ai envie de voir des mannequins qui me ressemblent
ca ne veut pas dire qu'on ne peut pas s'aimer etc ca veut juste dire qu'on verra jamais des meufs de 40-50 ans de la vraie vie sur les podiums, c'est un spectacle ce n'est pas ça que ça veut montrer