DARVO, en Anglais, c’est pour Deny, Attack, Reverse Victim and Offender. Autrement dit, en Français, nier, attaquer et inverser la victime et l’agresseur. Une technique de manipulation très utilisée par des agresseurs dans le cadre de violences conjugales, psychologiques et/ou sexuelles, dans le but de se faire passer eux-mêmes pour les victimes.
Vraiment j’ai pas les mots. Le type vient d’être CONDAMNÉ la veille pour violences conjugales et il retourne la situation pour justifier sa gifle. Limite c’est lui la victime. Là c’est trop. https://t.co/gvkGngxvz3
— Elodie Potente (@ElodiePotente) December 15, 2022
Le DARVO ou comment faire passer la victime pour l’agresseur
Cette technique peut rappeler le gaslighting (également appelé retournement cognitif : forme d’abus mental dans lequel l’information est déformée ou présentée sous un autre jour, omise sélectivement pour favoriser l’abuseur, ou faussée dans le but de faire douter la victime de sa mémoire, de sa perception et de sa santé mentale). La méthode DARVO a été conceptualisée dans la fin des années 90 par Jennifer Freyd, chercheuse, auteure, éducatrice et conférencière américaine. Spécialisée dans les abus sexuels ou encore les traumatismes psychologiques, elle mentionne le DARVO pour la première fois dans le trimestriel Feminism & Psychology dédié à la théories et les pratiques féministes en psychologie en 1997. Elle le décrit comme un processus transformant en cauchemar la vie de quiconque essaie de les tenir responsables de leurs propres actions ou leur demandant de changer de comportement. Il se traduit par des attaques perpétuelles dont le but est d’instiller la peur à travers notamment des menaces d’action en justice ou de mises en causes directes et indirectes de la crédibilité des personnes, entre autres :
« On essaiera souvent de ridiculiser la personne qui demande des comptes […] L’agresseur crée rapidement une impression générale qu’il est injustement attaqué et que sa victime est, en fait, l’agresseur. Les rôles et responsabilités sont entièrement inversés […] L’agresseur est agressif et la personne qui tenterait de lui faire prendre ses responsabilités est mise sur la défensive. »
Johnny Depp, Brad Pitt, R. Kelly… Tous des adeptes du DARVO ?
Ça ne vous rappelle rien ? Ces personnes qui, après avoir été accusées de violences conjugales, qu’elles soient psychologiques ou physiques, attaquent leur victime pour diffamation ?
En effet, on peut penser à de nombreuses affaires publiques où, après avoir été accusé de violences, un agresseur se retourne contre sa victime : notamment à Donald Trump qui, après des allégations portées contre lui, se présentait non seulement comme victime d’un complot de la part de ses ennemis. Ou également à R. Kelly qui, condamné en juin dernier à 30 ans de prison pour plusieurs chefs d’accusations dont exploitation sexuelle de mineure et extorsion, se dit également victime de supercherie. Encore plus récemment, des affaires similaires ont fait débat dans la presse. Notamment celle d’Angelina Jolie et Brad Pitt qui a porté plainte pour une sombre histoire d’exploitation viticole alors qu’elle avait demandé l’ouverture d’une enquête sur lui, comme auteur présumé d’agression physique contre elle et deux de leurs enfants.
Mais l’exemple récent le plus emblématique pourrait bien être la bataille judiciaire que se livrent depuis 2017 l’actrice américaine Amber Heard et son ex-mari Johnny Depp.
Après avoir été accusé à plusieurs reprises de violences conjugales par son ex-femme, Johnny Depp décide de poursuivre cette dernière en justice pour diffamation. À travers ce procès ayant eu lieu en 2022, l’acteur tente de laver son nom et demande 50 millions de dollars de dommages et intérêts à son ex-femme, affirmant que c’était en fait elle l’agresseur. Jugés tous les deux coupables de violences conjugales, les procédés utilisés par Johnny Depp font largement penser au DARVO : inversion du rôle de la victime et de l’agresseur, négation des faits… Dans cette affaire qui a notamment coûté une vague de harcèlement à Amber Heard, cette dernière a été tournée en ridicule par les réseaux sociaux, la faisant ainsi passer pour une menteuse et pour une folle.
Décrédibiliser la victime, aux yeux des autres et même d’elle-même, jusqu’à la folie
Là encore, il s’agit d’une situation représentative du DARVO et des violences conjugales. C’est ce qu’explique maître Bonnaggiunta, avocate spécialiste de violences conjugales, de harcèlement ou d’agressions sexuelles :
« Cette inversion des rôles consiste tout simplement à nier l’autre, à rejeter la faute sur lui, à le décrédibiliser et à le rendre responsable de leurs propres mots. C’est une prise de possession psychologique totale, extrêmement violente, au point que la victime commence à croire qu’elle est folle. Et à paraître folle aux yeux des autres, à côté des agresseurs qui savent faire bonne figure, paraître très agréable en société. Parfois, les victimes sont même internées un temps, tellement leur santé mentale se dégrade à force de ces manipulations quotidiennes. Et le plus terrible dans tout ça, c’est que, de l’extérieur, la victime est décrédibilisée. Même les personnes de la famille de la victime ont tendance à donner raison à l’agresseur. Les proches vont se dire que c’est lui qui a raison, que c’est la victime qui n’est jamais contente, toujours de mauvaise humeur, jamais souriante et agréable, voire hystérique dans les moments de colère…Sauf qu’ils ne pensent pas à la violence et à la manipulation qu’il y a eu lieu en amont et qui a causé ce comportement. Lui sait aussi rester très calme, contrairement à la victime déstabilisée à l’extrême, très fragilisée psychologiquement et donc plus en proie à ses émotions »
Un procédé très répandu dans les affaires de violences conjugales
Si nous sommes confrontés le plus souvent à ce genre de situations à travers la presse dans des affaires impliquant des personnalités publiques, le DARVO est un procédé très répandu. En tout cas aussi répandu que le sont les violences conjugales puisque, toujours selon maître Bonnagiunta, tous les agresseurs se disent plus victimes que coupables. Tous, sans exception :
« Au cours de ma carrière, que ce soit lors d’affaires impliquant des violences intrafamiliales ou des violences conjugales, j’ai remarqué que les auteurs de violences conjugales ne se sentaient jamais coupables d’avoir violenté l’autre. Lorsque c’est arrivé, c’était toujours la faute de l’autre. S’il s’est mal comporté, c’est parce que la conjointe ne s’est pas comportée comme il fallait. Il la culpabilise en permanence. C’est un cas qui est systématique, ce n’est pas ponctuel. C’est LE schéma de ce type de violences »
Une récurrence qui s’expliquerait par une origine commune à cette violence, à savoir une faiblesse psychologique de la part des agresseurs qui trouverait ses origines dans l’enfance. Une faiblesse que l’on retrouve d’ailleurs autant chez l’agresseur que chez la victime :
« Les agresseurs et leur victime ont pu par exemple subir des violences dans leur enfance, qu’elles soient psychologiques, physiques ou sexuelles, ne pas recevoir assez d’affection… C’est une blessure très ancrée, mais qui peut se régler en thérapie. Le problème est que, étant donné que les agresseurs sont incapables de se remettre en question, ils ne reconnaitront jamais qu’ils ont besoin d’aide, et donc n’entameront jamais de thérapie »
Un manque inquiétant de formation des professionnels
Alors, comment faire pour être sûr de bien différencier la victime de l’agresseur, dans une situation délicate où les deux personnes s’accusent de mentir ? Tout simplement en se renseignant sur ce type de technique qui, comme ne cesse de le rappeler l’avocate, est un schéma très répandu, pour ne pas dire systématique.
Le problème, c’est que cette ignorance quant au DARVO concerne également les professionnels, qui sont eux-mêmes quotidiennement confrontés aux victimes, ou encore à devoir prendre en charge ces dernières. Un problème inquiétant selon maître Bonnagiunta, auquel il faut remédier le plus rapidement possible :
« L’agresseur fera toujours bonne figure devant un juge. Le juge va donc plus le croire que croire la victime qui, comme on l’a dit, est plus en proie à ses émotions. Il faut donc former les juges pour qu’ils arrivent à voir derrière ce masque de manipulation, les faire prendre conscience de cette inversion des rôles qui n’est pas encore dans l’air du temps malheureusement. La plupart du temps, ils ne comprennent pas la situation et se fient à l’attitude, à la posture, et souvent ils se font avoir aussi. En renversant la culpabilité, on peut instrumentaliser tout le monde : les proches, les juridictions, les enfants aussi, ce qui arrive souvent. »
Une prise de conscience collective à avoir donc. L’autre solution, former les professionnels et les institutions afin qu’ils soient aptes à analyser le plus objectivement possible les enjeux qui se trouvent derrière ces situations. Le plus tôt possible évidemment, afin d’éviter que les mêmes situations se répètent encore et encore.
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Crédit photo de Une : Captures d’écran TikTok.
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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