Je me suis longtemps cachée derrière l’idée que la fête des Mères est une création pétainiste pour masquer mon oubli persistant de cette célébration : « Enfin, tu ne veux quand même pas tomber dans ce piège réac inventé par Pétain ? » ai-je souvent répété à ma mère le lundi matin suivant, un peu honteuse d’avoir zappé l’occasion.
Je partais ensuite dans une diatribe contre l’esprit commercial de cette fête, argument qu’on peut ressortir aussi pour la Saint-Valentin et bientôt, j’en suis sûre, pour le 8 mars, qui dans quelques années aura été totalement absorbé par les marques qui ont bien flairé que le féminisme fait vendre.
Récemment, j’ai appris que mon argument tombait complètement à l’eau : même s’il a joué un rôle dans sa mise en œuvre, le maréchal Pétain n’a pas, un beau jour, sorti la fête des Mères de dessous son képi !
Aux origines du Mother’s Day
C’est d’abord aux États-Unis qu’il faut aller pour en savoir plus sur l’origine de la fête des Mères, ou plutôt du Mother’s Day, qui a été créé au début du 20e siècle par une institutrice de Philadelphie, Anna Jarvis, qui voulait rendre hommage à sa mère décédée.
La journée a des fondements très religieux ; l’initiative s’étend en quelques années et le Congrès américain vote l’instauration du Mother’s Day le 8 mai 1914. Cette nouvelle célébration aura lieu chaque deuxième dimanche de mai.
Au sortir de la Première Guerre mondiale, la France emboîte le pas : à Lyon, en juin 1918, on célèbre pour la première fois la fête des Mères. Avant cela, dans quelques villes ici et là, comme à Artas, petit village de l’Isère, on décerne déjà le prix de « Haut mérite maternel » à deux femmes ayant eu neuf enfants. Chacune.
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Récompenser les mères de familles nombreuses, ce n’est pas juste un beau geste sympa pour dire « beau boulot ! », cela fait partie à l’époque d’une vraie stratégie nataliste pour repeupler la France, plutôt à la traîne par rapport aux autres pays européens.
En 1920, le gouvernement français instaure la Journée nationale des Mères de familles nombreuses. Des Médailles de la famille française sont même décernées (cette distinction est d’ailleurs toujours remise aujourd’hui aux familles ayant élevé au moins quatre enfants qui en font la demande).
Célébrer les mères, enfin, les femmes (c’est la même chose, vous l’aurez compris)
C’est sous l’Occupation que la fête des Mères va être déployée. Le 25 mai 1941, voilà ce qu’on pouvait lire sur une affiche pour la célébration de la fête des Mères, conservée au Mémorial de Falaise :
« Ta maman a tout fait pour toi. Le Maréchal te demande de l’en remercier gentiment. »
Il n’y a pas de « sinon… », mais l’idée est assez claire : les enfants de l’époque n’allaient pas y couper.
Le régime de Vichy n’a pas créé la fête des Mères, mais il a dessiné les contours de sa version actuelle : « Pour la première fois, elle devint véritablement une fête nationale, célébrée dans toutes les écoles, et accompagnée de compétitions où les mères les plus prolifiques furent récompensées par des médailles d’or, de bronze et d’argent », écrit l’historien Eric T. Jennings.
C’est ainsi qu’est né le passage obligé de chaque enseignante et enseignant fin mai, leur défi annuel tant redouté : faire fabriquer un petit objet moche à une trentaine de mouflets pas très doués de leurs dix doigts.
L’idée, sous Vichy, est certes de célébrer la maternité, mais surtout de célébrer une certaine idée de la femme, la vraie : celle qui se dévoue à sa famille, qui s’occupe des enfants. On distille l’idée que la place d’une femme est au foyer à s’occuper de la marmaille et de la popote, peu importe ses aspirations profondes. Et bien sûr, elle le fait pour la France, gardienne de la moralité de notre jeunesse, du respect et de l’avenir du pays.
C’est cet esprit-là qu’on a retrouvé il y a quelques jours dans un tweet de François Bayrou qui fleure bon l’incitation à pondre — pas parce qu’on le souhaite, qu’on veut des enfants, mais pour la patrie, pour la Frônce, la compétitivité et la sauvegarde de notre pays :
Quelques années après la Libération, pas question de renoncer à la fête des Mères. Elle est finalement inscrite dans la loi le 24 mai 1950 et sa date désormais fixée au dernier dimanche de mai (ou au premier de juin en cas de Pentecôte) :
« La République française rend officiellement hommage chaque année aux mères françaises au cours d’une journée consacrée à la célébration de la “fête des Mères”. Le ministre de la Santé publique et de la population est chargé, avec le concours de l’union nationale des associations familiales, de l’organisation de cette fête. »
D’ailleurs c’est la même année qu’émerge la fête des Pères, mais son histoire n’est pas celle d’une grande célébration de la figure paternelle : elle est juste le fruit d’un brillant coup de pub du fabricant de briquets Laminaire, comme le raconte Ouest France.
En quelques années, toutes les marques, de l’électroménager à la bijouterie, se sont emparées de la fête des Mères, non sans évidemment, la bonne dose de sexisme qui va bien :
Voilà, vous en savez désormais un peu plus sur cette grande célébration de nos daronnes. Vous regarderez sûrement un peu différemment les cadeaux que vous avez offert petite (puisqu’ils traînent encore sur l’étagère de la cuisine depuis toutes ces années), ou vous resterez perplexe devant le tableau de gommettes que vous tendra fièrement votre progéniture.
Et peut-être même que, comme moi, vous perdez votre joker qui vous permettait d’oublier d’acheter des fleurs sans trop culpabiliser.
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