Si vous ne connaissez pas encore la lithothérapie en beauté, laissez-moi vous éclairer. Pour la faire courte, il s’agit d’une pratique visant à utiliser les prétendues vertus vibratoires et énergétiques des pierres précieuses et fines pour soigner sa peau ou compléter sa routine.
OK, ça sonne un peu nébuleux comme ça, mais en gros, chaque pierre possèderait des propriétés spécifiques qui permettraient de cibler une problématique particulière. Le jade serait par exemple rééquilibrant, quant l’howlite agirait comme décongestionnant.
Cela peut paraître assez intéressant voire fascinant quand on s’y penche. Mieux : lorsque l’utilisation des minéraux est associée aux bons gestes (un massage facial avec une pierre par exemple), on peut totalement se prendre au jeu et avoir l’impression que c’est une pratique plutôt efficace.
Eh oui : j’y croyais dur comme fer, au point que je recommandais même cette pratique à mes proches et que mon rituel du soir était ponctué par 5 minutes de Gua Sha (une technique inspirée de la médecine traditionnelle chinoise qui vise à se frotter une pierre plate de jade ou de quartz sur le visage pour booster la microcirculation). Mais il s’avère que l’effet de ces petits gestes du quotidien tenait davantage de l’action manuelle de frottement — et à mon niveau d’auto-persuasion — qu’aux bienfaits réels des pierres.
En même temps c’est un peu normal, puisque ces gemmes n’ont en fait, ABSOLUMENT AUCUNE vertu sur la peau ni même sur la santé ! Bien évidemment. Je me suis fait blouser.
La lithothérapie, une belle arnaque
Si la lithothérapie est utilisée depuis seulement quelques années dans la cosmétique occidentale, la manipulation de pierres pour soigner les maux du corps est une pratique qui date d’il y a longtemps.
Cette méthode a d’ailleurs fait partie des plus plébiscitées jusqu’au 16e siècle pour guérir certains problèmes de santé récurrents, d’après l’ouvrage baptisé simplement Lithothérapie de Pierre-Yves Boudard. Mais elle a été réellement exploitée (de façon commerciale) autour des années 1970, selon le même auteur — période où la vague ésotérique New Age ouvrait les esprits et les portefeuilles des croyants.
Depuis, dans le sillage du retour de la sorcellerie, des oracles et d’autres pratiques ésotériques, de nombreux sites Internet dédiés et manuels sur le sujet ont vu le jour. Le hashtag #crystaltok vantant les vertus des pierres, est par exemple devenu très populaire sur TikTok.
Chacun croit bien ce qu’il veut, me direz-vous. Mais le problème, c’est que cet élan pour la lithothérapie dépasse parfois les frontières de l’entendement.
Dans le livre baptisé Ces pierres qui guérissent, l’auteur, Philip Permutt, vante les mérites des gemmes pour vaincre le VIH et d’autres maladies nécessitant un traitement spécialisé médical. Inconscient ? Non, dangereux.
Plusieurs scientifiques, dont Christian Chopin, directeur de la recherche au CNRS, spécialisé en minéralogie, s’accordent à dire que les pierres n’ont aucun pouvoir notable sur le corps humain. Il s’est exprimé clairement sur la question auprès du Figaro Santé :
« C’est grotesque. Le monde minéral est caractérisé par son inertie : à la différence du monde vivant, il ne produit pas spontanément d’énergie (hormis les substances radioactives…). Vouloir parer les minéraux d’“énergies bénéfiques” ou d’une quelconque vertu thérapeutique par l’effet d’ondes spécifiques est du charlatanisme. Il n’y a tout simplement aucune interaction possible entre les cristaux et le corps humain. »
OK, donc toutes les minutes passées dans ma salle de bain à me frotter le visage avec une jolie pierre en quartz n’ont servi à rien — en tout cas, le fait qu’elle soit en quartz n’a pas de valeur ajoutée. C’est plutôt le geste, ainsi qu’un éventuel effet placebo, qui ont pu améliorer mon glow.
La lithothérapie, pratique commerciale trompeuse
Contactée par La Voix Du Nord, la Direction générale de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) explique clairement que la vente de pierres bienfaitrices repose sur une pratique commerciale trompeuse :
« Toute allégation publicitaire doit pouvoir être justifiée par l’annonceur, (y compris) les propriétés prêtées aux minéraux […] à défaut de pouvoir être prouvées scientifiquement, de telles allégations sont susceptibles d’être qualifiées de pratiques commerciales trompeuses. »
Elle poursuit :
« Les allégations thérapeutiques infondées (évoquant la prévention ou la guérison d’une maladie humaine) sont particulièrement lourdes de conséquence et litigieuses […] cela peut être qualifié en exercice illégal de la médecine ».
Car oui, on parle ici purement et simplement de placebo… mais surtout d’arnaque qui peut avoir de lourdes conséquences sur les personnes qui tombent dans le panneau.
Pourquoi un tel succès de la lithothérapie en beauté ?
Lorsqu’on a des problèmes de peau (ce qui est mon cas), on s’en remet à toutes sortes d’astuces dans l’espoir de voir, un jour, notre épiderme devenir miraculeusement plus net. Ça peut devenir plus qu’un complexe : une forme d’obsession.
Après avoir essayé de nombreuses méthodes, des remèdes de grand-mère parfois agressifs et des solutions plus drastiques, la possibilité que la lithothérapie puisse effacer mes boutons et cicatrices en stimulant la micro-circulation du sang et en apportant à ma peau les « bienfaits » des pierres m’a parue être une piste de solution de plus à essayer. Après tout, qui ne tente rien n’a rien, non ?
Mais pourquoi en suis-je arrivée là ? Eh bien, étant journaliste beauté je m’intéresse au concept de beauté holistique. Grosso modo, ça signifie que l’on prend soin de soi aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur, de façon globale. Et je ne suis pas la seule : d’après l’Ifop, 98% des Françaises s’accordent à dire que la beauté n’est pas qu’une question d’apparence extérieure.
Et si la beauté holistique tend à faire ses preuves (puisque qu’elle repose sur des principes plutôt évidents, du style « pour avoir une belle peau il faut boire assez d’eau pour être hydratée »), la lithothérapie, que l’on associe souvent à ce mouvement, est une belle arnaque qui joue sur notre besoin de croyance.
D’ailleurs, une autre étude Ifop menée en collaboration avec le magazine Femme Actuelle révèle que les Français et plus particulièrement les millennials seraient passionnés d’ésotérisme, notamment du côté des femmes :
« Alors que 52% des hommes disent croire aux parasciences, deux tiers des femmes croient à au moins une discipline, soit 63% des sondées. »
Et les femmes étant la cible principale de l’industrie de la beauté, il n’est pas étonnant de voir une parascience comme la lithothérapie s’y inviter.
Mais pourquoi croit-on à des choses non prouvées, voire totalement réfutées ? D’après la psychologue Camille Voisin, tout cela vient d’une envie… d’espoir.
« Cela détermine un besoin de croyance, une ouverture vers tous les possibles, de l’espoir. Croire en une possibilité, voir au-delà des limites de ce qui est su, démontré, attesté. Dans toute démarche thérapeutique/de soin, il y a nécessairement la notion d’espoir et de croyance pour s’engager dans une démarche de changement ; le risque c’est quand cette croyance tombe dans l’arnaque, ou dans l’idée d’une solution miracle ou magique. »
Pourquoi le monde de la beauté a plongé à pieds joints dans la lithothérapie
On vous le dit souvent : l’industrie de la beauté fait partie des plus florissantes au monde, brassant plusieurs centaines de milliards d’euros par an — elle talonne d’ailleurs de près celle du pétrole.
Le secteur cosmétique doit constamment se renouveler afin de proposer des produits semblant toujours plus efficaces et répondant à certaines tendances du moment.
Biotechnologie, gadgets 2.0, recherches sur l’efficacité de certaines molécules et actifs… On est assez loin de l’image frivole qu’évoque cette industrie basée sur l’apparence et le bien-être. C’est d’ailleurs pour cette raison que c’est un domaine plutôt pérenne. Rappelons quand même que même si les ventes de maquillage et de cosmétiques ont drastiquement chuté depuis le début de la pandémie, cette machine reste ultra rentable !
Car il faut bien comprendre que le marketing de la beauté repose sur trois éléments majeurs inhérents à notre façon de consommer. Il y a d’abord l’envie de croire (que certaines techniques et innovations vont nous changer la vie) ; l’envie de se faire plaisir en achetant des choses qui nous tapent dans l’œil (combien d’entre nous on déjà craqué sur un packaging sans même se soucier de l’efficacité d’un produit ?) ; et pour finir l’envie de prendre soin de soi en testant de nouvelles techniques et astuces… plus ou moins prouvées.
En soi, la lithothérapie représente un peu tout ce que nous cherchons à obtenir de la beauté : ça nous permet d’avoir l’impression de faire quelque chose d’utile pour notre peau, c’est joli, ça a l’air précieux… Mais à ce sujet, rappelons que l’essentiel des pierres de jade et de quartz présentes sur Internet à des prix défiant toute concurrence sont en fait des fausses d’après Jean-Marc Triboulet, un praticien spécialiste en médecine traditionnelle chinoise interrogé par le Huffpost :
« Travailler le jade est complexe et onéreux. La quasi-totalité des rouleaux vendus ne sont pas en jade. S’ils l’étaient, il en coûterait plusieurs milliers d’euros. Le plus souvent les rouleaux sont en serpentine reconstituée. ».
On comprend donc très facilement pourquoi les marques de cosmétiques n’ont pas tardé à promouvoir les bienfaits des pierres associés à une routine beauté bien élaborée.
À voir si aller constamment au-devant des besoins des consommatrices, leur en inventer de nouveaux et suivre frénétiquement les dernières tendances (quitte à vendre des produits aux vertus relatives, voire inexistantes, comme les pierres) ne sera pas une stratégie qui peut faire perdre aux marques leur crédibilité à terme.
Comment ne pas se faire avoir par le bullshit en beauté
Là est toute la question ! Car ce genre de pratiques commerciales proches de l’arnaque, il y en a toujours eu et il y en aura encore bien d’autres à l’avenir.
Pour éviter de dépenser des dizaines, voire des centaines d’euros dans un objet ou un produit qui fonctionne peu ou pas du tout, vous devez miser sur trois notions importantes…
Opter pour des produits qui ont vraiment fait leurs preuves
L’avantage avec la beauté, c’est qu’elle regorge de techniques et de produits aux résultats prouvés — c’est le cas, par exemple, du double nettoyage, une méthode qui met d’accord de nombreux experts de la peau.
Au lieu d’investir votre argent dans un objet ou un produit reposant sur un concept nébuleux qui n’a pas encore fait ses preuves, mieux vaut donc vous en tenir à ce qui fonctionne pour votre type de peau ou encore à des produits dont les avis sont globalement bons (en faisant attention à tout le contenu sponsorisé déguisé que vous pouvez trouver sur les réseaux sociaux, car la vie est une jungle).
Attendre les études avant de se lancer
Au lieu d’investir votre argent tout de suite dans des produits à la mode et les innovations beauté du moment, armez-vous de patience et essayez, tant que faire se peut, d’attendre que des études concrètes paraissent sur le sujet.
Parce que c’est un domaine scruté à la loupe, les scientifiques mettent les bouchées doubles pour détecter rapidement les arnaques et promesses mensongères qui peuvent garnir les étagères des boutiques spécialisées.
Certes, faire une étude, ça prend généralement du temps. Mais attendre de vraies preuves d’efficacité pourra vous faire économiser un joli paquet d’argent. La littérature scientifique regorge de recherches concordantes sur les bienfaits anti-âge d’un principe actif comme le rétinol, par exemple.
Partir du principe que tous ces produits ne sont pas d’une utilité majeure
Masque à LED, spatule exfoliante, Gua Sha… Les outils promus par l’industrie de la beauté ne sont, en réalité, absolument pas d’une importance capitale dans votre vie et moins largement dans votre routine.
Ils peuvent être de bons compléments à des soins quotidiens de la peau basés sur trois principes simples : le nettoyage, l’hydratation et la protection solaire. Tout le reste, finalement, est superflu.
Et c’est important de s’en rappeler quand on a envie de craquer pour un énième outil aux promesses parfois démesurées — aussi brillant et précieux semble-t-il…
À lire aussi : WTF beauté : comment une spatule exfoliante m’a emmenée dans le futur
Crédit de l’image de une : Monstera / Pexels
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Les Commentaires
Et par rapport à l'effet placebo, il y a pas mal de choses qui ont été dites, mais je trouve que la notion de choix est importante. Par exemple ma belle-soeur est tout à fait consciente qu'il n'y a que du sucre mais ça lui fait du bien d'en prendre quand même. En revanche, je me rappelle de ma SF qui m'a dit une fois qu'elle savait très bien que ça ne servait à rien de m'en prescrire