Mon premier « petit copain » arrive quand j’ai 15 ans. Il me quitte deux jours après notre « premier baiser ». Il me dit qu’il a embrassé une autre fille entre-temps.
Mon premier « vrai copain » arrive quand j’ai 16 ans. Je le quitte trois ans après notre « première fois », parce que je ne l’aime plus. Il m’écrit une longue lettre pour m’expliquer que je suis une salope.
Mon troisième « amoureux » arrive quand j’ai 19 ans. Il me violente psychologiquement, verbalement et physiquement pendant des années. Après que je l’ai quitté et que j’ai révélé ces violences, il me bloque sur les réseaux sociaux.
Mon dernier « compagnon » arrive quand j’ai 23 ans. Je développe une douleur chronique à la vulve et nous ne pouvons pas « faire l’amour ». Il se plaint que son sexe souffre du manque de pénétration.
Un retour contrasté au célibat
Quand j’ai 24 ans, c’est terminé. Je redeviens célibataire. Je me crois hétérosexuelle. Je cours après les hommes. J’en rencontre des dizaines via les applications de rencontre. Je sors faire la fête et je ramène des inconnus dans mon lit. Je les presse de me pénétrer et de m’aimer mais c’est un échec. J’ai encore mal à la vulve. Je multiplie les infections urinaires et les mycoses vaginales. Je m’attache à des personnes qui me fuient. J’attends chacun de leur signe de vie avec beaucoup d’inquiétude. Je me plains de mon célibat et j’en suis malheureuse.
Au même moment, le mouvement #MeToo, qui a déferlé en 2017, m’apprend que moi aussi, j’ai subi des violences sexistes et sexuelles. Je me souviens des agressions passées. Du partenaire qui a retiré son préservatif en douce pendant un rapport, sans mon consentement. De mon « amoureux » de 19 ans qui m’a jeté une valise à la figure en pleine nuit, alors que je dormais chez lui.
À lire aussi : Comment je survis aux hommes randonneurs : mon premier mois dans les Pyrénées
Ma découverte de la sologamie
#MeToo ne décourage pas les agresseurs. En mars 2018, je subis une tentative de viol dans les toilettes d’une bibliothèque parisienne. En septembre, un collègue me harcèle sexuellement et je quitte mon emploi après l’avoir dénoncé. Je développe une phobie et une haine des hommes. Je les évite tant que je peux et je me forme à l’autodéfense féministe. De plus en plus d’associations dispensent des cours et des stages dans plusieurs villes françaises. Le jour où j’apprends à mettre KO un humain, à réagir face à des violences verbales et à me libérer d’un étranglement, je retrouve de la force. Je sors dans la rue et je n’ai plus peur. Je subis de moins en moins de harcèlement. Je dégage une confiance en moi qui effraie, au moins temporairement, les agresseurs.
Dans mon intimité, je découvre le concept de « sologamie » : des femmes se marient avec elles-mêmes, en Amérique du Nord, et revendiquent leur célibat. Moi aussi, je passe de plus en plus de temps seule. Je vis seule, je travaille seule, je voyage seule et je me masturbe seule. Je m’investis dans mes relations amicales et familiales. Je crée un podcast « pour les célibataires qui n’ont besoin de personne », que j’appelle justement Sologamie. Des centaines d’inconnu·es m’écrivent pour me remercier et témoigner de leur célibat. L’épisode dans lequel j’interroge l’autrice Ovidie au sujet de sa grève du sexe fait un carton.
Politiser mon célibat
Les années passent et je me débarrasse progressivement de mes douleurs chroniques à la vulve (cette maladie s’appelle la vestibulodynie) et de ma dépendance affective. Je m’attache de moins en moins aux rares hommes avec qui je couche. Je travaille longtemps sur moi avec des livres, des podcasts, des psychologues et des amies pour découvrir que non, je n’ai pas besoin d’eux. Je n’ai pas envie d’être en couple, ni de partager mon appartement, ni d’avoir des enfants.
Ce long chemin de célibat – presque cinq ans aujourd’hui – me permet de questionner ma soi-disant hétérosexualité. Je comprends que je suis pansexuelle et non hétéro. J’ai toujours été attirée par des personnes indépendamment de leur genre. Je vis des aventures avec des femmes depuis l’école primaire… J’ai toujours présenté ces relations comme de l’amusement, des « blagues », alors qu’elles me plaisaient vraiment.
Je ne me suis pas encore mariée avec moi-même (c’est un sacré budget). Mais j’ai créé un podcast, j’ai commencé un tour de France à pied et j’ai emménagé à Cherbourg, en Normandie, sans partenaire à mes côtés. J’ai désinstallé les applications de rencontre de mon téléphone depuis longtemps. Je ne drague plus personne.
Ma sologamie me laisse du temps et de l’espace mental que je consacre à lire, écrire, dormir, faire du sport, cuisiner, avoir des idées et voyager. Je me souviens avec douleur des heures, des jours, des semaines (des années, en fait) que je passais auparavant à penser à des hommes, à échanger avec eux et à discuter de ces relations avec mes amies. Notre société sexiste et capitaliste nous enjoint, petite fille, à trouver le prince charmant pour compléter notre existence. Mais il n’existe pas, nulle part.
La sologamie m’a sauvée des violences sexistes et de l’hétérosexualité en tant que système politique. Elle s’est imposée à moi, pour ma santé mentale et physique. Et aujourd’hui, je vais bien.
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires