Tout le monde a connu cette fille au collège ou au lycée : celle que les mecs adorent parce qu’elle n’est « pas comme les autres meufs ». Elle est très belle mais « naturelle », bien sapée mais pas précieuse, mince et sexy mais mange de la pizza et boit de la bière.
On la surnomme la « cool girl », et si son facteur cool en fait l’objet de nombreux fantasmes chez les garçons comme chez les filles, elle est souvent prisonnière des rôles qu’on lui a assignés.
Et si elle tente d’en sortir, on ne manque pas de lui faire payer. Dans Grand Army, elle s’appelle Joey.
Créée par Katie Cappiello, cette nouvelle série Netflix suit la trajectoire de plusieurs élèves du lycée fictif de Grand Army à Brooklyn, aux États-Unis. Tous issus d’horizons variés, ils luttent pour définir leur identité. Et parmi eux, il y a Joey, notre fille cool.
Incarnée par la magnétique Odessa A’Zion (la fille de Pamela Adlon), Joey est pleine de personnalité. C’est la star du lycée, version 2020 : à la fois pom-pom girl et militante féministe, elle est intelligente, belle, entourée d’une bande d’amis soudés, et très à l’aise dans son corps.
Grand Army, une réflection percutante sur la culture du viol
Joey est clairement l’une des héroïnes principales ; c’est même à elle que la série accorde sa première scène. Pourtant, sa désinvolture a un côté presque agaçant, car Joey est très sûre d’elle, et son féminisme s’accompagne d’une bonne dose de provoc’.
Pour protester contre les doubles standards du code vestimentaire du lycée, elle débarque en débardeur blanc sans soutien-gorge et s’empresse de se renverser de l’eau dessus. Un peu plus tard, elle se fait percer un téton, et envoie la photo du résultat à tous ses amis (nous, à 17 ans, on n’aurait clairement pas osé).
Tout ça ne choquerait pas grand-monde si Joey était un garçon. Et c’est ce qui enrage la jeune femme, qui revendique d’ailleurs sa liberté en s’exclamant : « J’ai le droit de m’amuser. Vous les mecs, vous faites ce que vous voulez. Bah moi aussi. »
Mais elle a beau vouloir s’en détacher, elle est tristement ramenée à l’image qu’on lui a collée : celle d’une aguicheuse. Et lorsqu’après une sortie alcoolisée, deux de ses meilleurs amis la violent, son attitude joueuse lui sera fortement reprochée, comme autant de preuves qu’elle l’avait « bien cherché ».
C’est une expérience similaire que vit Hannah dans 13 Reasons Why, autre teen série de Netflix qui n’avait pas hésité à mettre en scène des agressions sexuelles de manière très frontale. Dans la saison 1, Hannah se retrouve humiliée par ses camarades de lycée, accusée d’être une fille facile après un date de Saint Valentin.
Hannah n’a rien fait de mal, et elle est même violée au cours de la saison, pourtant, c’est elle qui est couverte d’opprobre.
C’est aussi ce mécanisme que décrit Grand Army : les vidéos Instagram dans lesquelles Joey boit de l’alcool ou joue avec un sextoy pour rigoler sont utilisées par ses camarades pour justifier son agression. Un exemple criant de slut shaming.
Grand Army, une déconstruction des préjugés
Grand Army est en fait tirée d’une pièce de la créatrice, intitulée The Slut (la salope, donc). Tout le propos est ainsi de renverser nos idées préconçues sur la liberté sexuelle des jeunes femmes. Notre premier réflexe est d’être énervée par Joey, car c’est ce que la société nous apprend dès le plus jeune âge : les filles qui sont à l’aise avec leur corps sont des traînées.
Mais aucun de ses comportements, aussi provocateurs qu’ils soient, ne constituent une invitation au viol, et cela devient douloureusement clair lors de la scène de l’agression.
Au début de la série, Joey est souvent filmée du point de vue des garçons, qui portent un regard lubrique sur tout ce qu’elle fait, ou des filles du lycée qui la jalousent. Mais lors de la scène du viol, c’est son regard à elle qui est adopté. Les mouvements de la caméra sont secs, nerveux, traduisant la désorientation de Joey et la violence de ce qu’elle subit.
Subitement, cela n’a plus rien d’un jeu.
Grand Army est la dernière série adolescente en date à aborder la question épineuse des agressions sexuelles. Il y a eu 13 Reasons Why, mais aussi Sex Education, qui montrait notamment le choc d’Aimee, harcelée sexuellement dans un bus. Mais Grand Army n’a pas le côté pop et coloré de cette dernière.
Avec un ton beaucoup plus réaliste et des scènes parfois dures et bouleversantes, la série se situe plutôt dans la lignée d’I May Destroy You (OCS) ou Unbelievable (Netflix).
Comme ces shows, elle montre aussi ce qu’il se passe après le viol : le moment où Joey se rend à l’hôpital et se soumet à un « rape kit », pour recueillir des preuves contre l’agresseur en cas de poursuites.
Une procédure qui n’était jamais montrée auparavant dans la pop culture, mais se démocratise depuis un épisode iconoclaste de Grey’s Anatomy en mars 2019.
Et si vous avez peur de vous lancer, on vous rassure : malgré quelques scènes éprouvantes, Grand Army reste une série d’ado géniale, qui brille par son intelligence, ses moments de romance et la fraîcheur de ses personnages, pour la plupart très conscients des problématiques sociales actuelles.
Une série moderne, en somme.
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