Ça vous évoque quoi le tunnel du soir ? Si vous fondez en sanglots avant de vous écrouler au sol à la seule évocation de ce terme, vous êtes au bon endroit. Si vous me répondez : Apéro, je vous hais, même si vous n’avez pas tout à fait tort. Après tout, dans ce tunnel infernal aussi, on passe sa soirée en compagnie de personnes bruyantes qui n’ont pas assez mangé et finissent toujours par pleurer avant de réclamer un dernier coup à boire au lieu d’aller se coucher.
Daronnes, darons, vous n’êtes plus seuls et pour vous le prouver, j’ai décidé de partager avec vous mon tunnel du soir :
17 h 55
J’essaye d’installer mon fils sur son siège vélo, il hurle. Je refuse de le laisser conduire, rapport au fait qu’il a deux ans et que ce n’est pas lui qui pédale, il hurle. Ma fille veut savoir si j’ai prévu de lui filer des bonbons pour le dîner. Ma réponse est la même que d’habitude. Elle hurle.
18 h 10
Je travaille à la maison et il m’arrive parfois d’avoir un geste de compassion envers la moi du futur et de lui préparer au calme un plat qu’elle n’aura qu’à réchauffer le soir même. Mais en général, j’adopte plutôt l’attitude du chacun pour soi et Dieu pour tous et je laisse la Chloé du futur se débrouiller avec la préparation du dîner au dernier moment pendant que deux petits singes s’agrippent à ses mollets en braillant de faim.
18 h 40
Tout le monde a fini son omelette aux légumes et bien étalé du petit-suisse partout. Soudain, mon téléphone sonne. Je me concentre pour entendre ce que dit mon interlocuteur, mais c’est justement le moment qu’ont choisi mes enfants pour se lancer des poignées de yaourt à la tronche.
18 h 42
La situation escalade et mon fils profite que je jongle entre une lingette et mon Smartphone pour subtiliser l’appareil. Le bambin gratifie mon correspondant d’un « AYO ! » enthousiaste avant de se lancer dans une tirade dithyrambique sur les animaux de la ferme, sa passion.
18 h 45
Je viens de perdre un ami, ou un collègue, ou mon comptable ? Il y avait trop de bruit, je n’ai pas saisi l’identité de mon interlocuteur et je ne peux plus vérifier puisque mon fils a embarqué le téléphone pour le jeter dans son bain.
18 h 46
Le garçonnet considère malgré tout que l’habitable n’est pas encore suffisamment rempli. Pour y remédier, il transvase de l’eau directement puisée dans la cuvette des toilettes dans la baignoire.
18 h 47
Je supervise la foule qui barbote gaiement : Ma fille et mon fils donc, mais aussi trois haricots verts, la tête de poupée à coiffer, une vache en plastique et trois flacons vides que mes trésors refusent de jeter, puisqu’ils s’en servent de gourde pour boire leur petite infusion du soir, saveur savon et eau de toilette.
18 h 57
Ma fille s’apprête à vider un tube de dentifrice sur le crâne de son frère. J’évacue l’enfant numéro deux in extremis.
19 h 02
J’aurais adoré me passionner pour les sports de lutte. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Avec les années, j’ai tout de même appris à réaliser des clefs de bras correctes me permettant d’immobiliser un enfant qui se débat en meuglant, alors que j’essaye de lui enfiler une couche et un pyjama.
19 h 25
Le bébé est au lit. Je ne dirais pas qu’il dort puisqu’à ce moment précis, il hurle des Mamaaaaan ! suivi de Ouaf Ouaf et de Bêêêê exaltés. Mais enfin, il est au lit.
19 h 26
Ma fille se plaint de la température du bain. À son âge, elle est parfaitement capable d’en sortir, de se sécher et d’enfiler son pyjama toute seule, mais elle a trop peur que je lui demande ensuite de m’attendre dans SON lit. Cela réduirait ses chances de s’incruster dans le mien.
19 h 27
Alors que je sèche le petit glaçon d’une main et lui enfourne une brosse à dents dans le bec de l’autre, elle postillonne : – a’an e eut o’mir ans on it ? Je fais semblant de ne pas comprendre.
19 h 28
J’entraîne l’enfant qui proteste dans sa chambre. Comme je ne veux pas être une méchante maman, j’accuse son père qui s’est absenté pour la soirée d’être l’instigateur de cette règle injuste qui interdit à la progéniture de squatter le lit de ses parents.
19 h 30
Ma fille a trouvé la solution : je n’ai qu’à, moi, dormir dans son lit.
19 h 31
Ma fille pleure à chaudes larmes et me demande pourquoi je ne l’aime pas.
19 h 32
Pour me faire pardonner, je dois lire trois fois la reine des neiges 2, celui où Elsa et Anna sont emprisonnées dans une forêt magique et sont, pour survivre, obligées de se nourrir de champignons tout aussi magiques. Enfin, le livre ne précise pas ce dernier point, mais cela expliquerait pourquoi elles passent leur vie à converser avec des trolls et des esprits des bois.
19 h 47
Comme je n’ai toujours pas obtenu le pardon de ma fille, je dois maintenant m’allonger avec elle quelques minutes. J’accepte à la condition qu’elle se taise et ferme les yeux.
19 h 48
Je suis en train d’expliquer à ma fille que NON, si on meurt avec papa, elle n’ira pas vivre chez sa meilleure amie. Elle est très déçue.
19 h 49
Mon fils tape violemment sur le mur de sa chambre en criant « MAMAN T’ES OÙ ? » Même si je dispose de preuves concrètes me permettant d’affirmer que mon cadet aussi veut ma mort, lui au moins est trop petit pour l’exprimer clairement. Reconnaissante, je décide d’aller lui rendre visite avant qu’il ne pète son sommier à force de sauter dessus.
19 h 55
Je m’assoupis sur le matelas du grand bébé, alors qu’il me chantonne La ferme de Mathurin en me caressant les cheveux.
20 h 02
Je sens désormais quatre petites mains me tapoter le crâne, une cinquième, très humide, me frotte la joue. Ah non, c’est la langue de ma fille.
20 h 03
Par tous les enfers, mais quelle est cette odeur infecte ?
20 h 10
L’enfant numéro deux a finalement accepté que je lui retire sa couche et court les fesses à l’air dans la chambre de sa sœur.
20 h 22
Je me suis allongée dans le couloir pour me reposer quelques minutes pendant que les enfants communiquent par murs de chambre interposés.
20 h 45
Ça y est tout le monde dort, moi comprise. Cette scène finale se déroule évidemment dans ma chambre et je suis certaine que monsieur Papa sera ravi de rapatrier ses marmots dans leurs lits respectifs à son retour.
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Les Commentaires
Et clairement ce qui aide, c'est que mon mari sort tôt du taf, donc il est à la maison avec elle à 18h15, moi à 18h30, pas de bain tous les jours (tous les 2/3 jours environ), repas de Mademoiselle au plus simple (merci les légumes Picard qui mette 15 min à cuire), et pour nous, on fait les menus à l'avance et on garde les recettes les plus longues pour le weekend.
Mais clairement, on ne répond pas au tél sur ce tunnel (qui est assez con pour appeler un parent à 19h de toute façon ?).