Si vous êtes une millennial ou de la “génération X”, vous connaissez peut-être le sketch de Florence Foresti qui téléphone à une de ses copines qui a des enfants. Elle essaye de parler de ses soucis, mais toutes les deux secondes, elle est interrompue par son amie qui essaye de gérer son bambin. « Ben tu vois, nous, c’est pas du tout ça ! » raconte Ophélie, journaliste de 33 ans, sans enfant.
Elle trouve son amie Solène « très à l’écoute, toujours là pour elle ». C’est une de ses meilleures amies depuis le lycée. Elles ont « tout traversé ensemble » et se sont tout raconté : les premières fois, les angoisses des partiels, les premières contraceptions…
Et puis, Solène est devenue maman il y a 3 ans et demi, d’une petite Léonie. Et leurs rythmes de vie ne pourraient être plus opposés : « parfois je reçois un message d’Ophélie tôt le matin », raconte celle qui a repris son travail de chargée de communication 3 mois après la naissance de sa fille.
« Et je me dis qu’elle rentre de soirée, alors que moi j’ai été réveillée par Léonie. »
Elle ajoute :
« C’est vrai que ce qu’elle fait, aller en boîte par exemple, je ne pourrais plus le faire. Mais j’ai quand même un compagnon qui assure derrière si j’ai besoin de sortir un soir, de voir une copine. »
Si elles partageaient tout un groupe d’amis depuis le lycée, ces dernières années, elles se voyaient de toute façon plutôt toutes les deux. Et puis, « on a toujours eu des conceptions différentes de la vie », explique Ophélie.
« Je savais que Solène voulait fonder une famille, elle a le même compagnon depuis 13 ans. Moi, j’ai eu plusieurs copains, et je suis célibataire actuellement ».
Comme cela a toujours été ainsi, ce n’est pas ce premier bébé qui allait tout changer !
First, ne pas juger
Elles estiment que c’est parce qu’il n’y a jamais eu de jugement de part et d’autre que leur relation peut perdurer. Solène dit à Ophélie :
« Je ne pense pas t’avoir dit : “Tu n’es pas mère, tu peux pas comprendre”, ou ce genre de choses.»
Cette dernière estime que c’est juste une nouvelle étape dans la vie de son amie, et qu’elle est à ses côtés comme d’habitude. Aussi parce qu’elle est une habituée des enfants, ayant beaucoup gardé ses neveux plus jeunes.
« Les enfants des autres sont les miens », dit-elle.
De quoi rassurer Solène qui s’est parfois demandé si « ça n’allait pas ennuyer Ophélie de se voir chez [elle], pour une soirée très calme, et qui se termine à 21 heures ».
« Ça aide quand les amies comprennent le chamboulement que représente l’arrivée d’un bébé », estime Anastasia, 33 ans également, et maman d’Adélaïde, 1 an et demi.
« Certain·e·s ne réalisent pas que maintenant, pour se voir, c’est plutôt en journée, qu’il y aura ma fille, et que le temps de conversation sera forcément plus restreint. »
Cela la soulage de voir que sa copine Aline a compris le deal. Amies depuis le lycée aussi, elles ont partagé une chambre d’internat, puis une colocation à Paris, et, entre les deux, une solidarité sans faille pendant des années de prépa, dans deux villes différentes. Avec la vie d’adulte, elles se sont vues moins fréquemment, mais ont continué à voyager ensemble.
Leur relation prend un nouveau tournant depuis qu’Anastasia a déménagé dans le Vercors il y a un an, alors qu’Aline est dans la Vienne. De quoi restreindre encore plus les moments entre amies. Aline prend tout cela avec philosophie :
« Moi j’aime les enfants donc je savais à quoi m’attendre. Même s’il peut y avoir des petites frustrations, du genre : Ah mince je ne lui ai pas raconté ça et ça. En fait, j’ai assez vite réalisé qu’on resterait amies, mais différemment. Pour d’autres, ça leur tombe un peu dessus ».
« C’est vrai que je n’avais pas pensé au fait que ça leur tombait aussi sur la figure sans être trop préparé », répond Anastasia, qui a elle-même eu du mal à « faire le deuil » de sa vie d’avant.
S’organiser des rituels
Alors une fois les vies chamboulées, la relation doit se réinventer, voire s’organiser. Solène avait anticipé cela :
« Je ne voulais pas qu’être mère soit le seul rôle de ma vie. J’ai beaucoup d’ami·e·s et je voulais leur consacrer du temps, et ne pas parler que d’enfants. »
Avec Ophélie, qui habite dans le même quartier à Strasbourg, elles ont institué un rituel, pour être sûres de se retrouver au milieu de leurs emplois du temps chargés : tous les vendredis, elles déjeunent dans le même restaurant syrien. Et quand elles ne partagent pas de mana’iche ensemble, elles s’envoient des messages et des vocaux.
« Ça peut être des messages d’un quart d’heure, je m’assois, je l’écoute, je prends le temps », explique Solène.
Du côté d’Anastasia et Aline, la distance les oblige à se voir sur des temps plus longs, « et c’est pas plus mal », estime la mère d’Adélaïde :
« on a davantage le temps de se parler sans être interrompues par des pleurs, de profiter des soirées ensemble, de faire des jeux de société… C’est peut-être la bonne formule ».
Et si elles ne sont pas trop fans de WhatsApp et compagnie, leur lien virtuel passe par des plateformes de jeux en ligne. Ce qui a été assez salutaire pour Anastasia et son compagnon :
« C’était une bouffée d’air frais pour nous, entre le couvre-feu et notre bébé de quelques mois… »
Un bébé, une bonne raison de se voir
Des premiers mois qui ont été plutôt difficiles pour nos deux jeunes mamans, qui ont justement pu compter sur leurs amies. Solène fait part de sa reconnaissance à Ophélie, qui l’a beaucoup aidée les premières semaines, alors qu’elle était « à deux doigts de la dépression post-partum ».
« Tu venais plusieurs fois par semaine au début, tu m’apportais des madeleines », se rappelle-t-elle.
« On ne parlait pas forcément mais tu prenais la petite et j’allais prendre une douche. Ça me soulageait beaucoup car j’avais du mal à me retrouver seule avec cette petite personne car je ne savais pas ce qu’elle voulait ».
Touchée, Ophélie estime que c’était normal d’accourir pour cette amie qui constitue un pilier de sa vie : « mon plus vieux couple, c’est toi », rigole-t-elle.
Et même dans les bons moments, l’enfant crée « comme une urgence », estime Aline. « On a envie de la rencontrer, de la voir grandir. Donc avoir envie de venir voir le bébé était aussi une “excuse” pour rendre visite à Anastasia ». Surtout, elle trouve cela réjouissant de voir celle qu’elle a connue depuis son adolescence dans un nouveau rôle :
« Je la vois apprendre un peu de langue des signes à son enfant par exemple. C’est quelque chose de très fort, c’est émouvant, c’est rigolo. »
Ophélie est impressionnée par le changement que la maternité a opéré chez son ancienne camarade de classe : « ça l’a apaisée, enracinée, décentrée des insécurités qu’elle avait. Je sens qu’elle cherche à comprendre et régler des trucs. »
Le besoin d’avoir des amis parents
Mais les jeunes mamans ne nient pas que ce « séisme », comme le dit Anastasia, apporte son lot d’angoisses qui poussent à se rapprocher de gens qui vivent la même chose. Un dilemme qui pèse sur la néo-Vertacomicorienne (les habitants du Vercors, je vous ai appris un truc là !) :
« On est déjà tellement débordées que le peu de temps libre qu’on a, on a envie de le consacrer aux sujets concrets sur les couches, la tétine, parce qu’on a besoin d’un avis. C’est bête, parce qu’après je me dis que j’aurais pu prendre ce temps là pour répondre à Aline et caler un futur moment pour se voir. »
Solène le voit plus positivement et se dit qu’elle a surtout gagné des ami·e·s en devenant maman, tout en ne perdant personne :
« je me suis fait des amis parents avec la PMI et la crèche, du coup j’ai l’impression d’avoir une vie sociale plus riche qu’avant. »
Cependant, elle tient à dire qu’elle comprend aussi les amies qui s’éloignent des jeunes mamans « trop dans leur bulle », les potes à qui cela « ne parle pas », qui trouvent que leur copine n’est pas dispo. Elle se trouve simplement chanceuse de partager avec Ophélie une amitié si ancienne, assez « solide et forte » pour que « rien ne change ».
« Enfin ça, c’est avec un seul enfant, c’est plus “simple” », lâche-t-elle après réflexion. « Il faut voir ce que ça donnerait avec deux enfants ou plus. Mais je crois qu’avec Ophélie… ça ira. »
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Image en une : © Unsplash/Sharon McCutcheon
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