Après le sublime Ava sorti en 2017, la réalisatrice française Léa Mysius propose une incursion dans l’atmosphère sensitive, étrange et bouleversante des Cinq Diables. On y suit Vicky, une petite fille étrange et solitaire vouant un amour fou et exclusif, presque maladif, à sa mère, Joanne (Adèle Exarchopoulos). Un jour Julia, la sœur de son père, fait irruption dans leur vie. Grâce à un étrange phénomène, Vicky découvre les secrets de son village, de sa famille et de sa propre existence.
Alors que le film est toujours en salles, on a rencontré Léa Mysius.
Madmoizelle. Les Cinq Diables est un film très étrange, à cheval entre le réalisme et la magie. Il aborde beaucoup de thèmes. Pour vous, c’est un film sur quoi ?
Léa Mysius. C’est un film de famille, de magie et de transmission. Mais je pense aussi que c’est un film d’amour, ou du moins un film qui dit que l’amour ne doit pas être possessif. C’est un film qui raconte qu’aimer, c’est laisser l’autre vivre, aimer et être aimé.
Comment avez-vous pensé la mise en scène et l’écriture des personnages ?
L’écriture s’est faite comme une mosaïque. Tout est parti de la relation entre Vicky et Johanne. Contrairement à Ava qui était un seul jet, je n’ai pas écrit Les Cinq Diables de façon linéaire. Ici, mon idée était plutôt d’écrire des scènes, de les faire travailler ensemble pour que les couches du passé et du présent se mélangent. En épousant le point de vue de Vicky, on découvre le passé et surtout les autres personnages, et ce jusqu’à la fin du film.
Ava racontait l’histoire d’une jeune femme perdant la vue. Les Cinq Diables, celle d’une petite fille à l’odorat magique, dont l’histoire est liée au feu. Pouvez-vous nous parler du rapport de votre cinéma aux sens et aux éléments ?
J’aborde le cinéma de manière très physique. Le côté sensuel et charnel du cinéma m’intéresse. Dans Ava, je parlais d’un sens très cinématographique – la vue. Et là, ce qui m’intéressait, c’était de m’attaquer à un sens invisible. Comment filmer l’invisible ? Il s’agit des odeurs, mais aussi du passé, des secrets… Cette association odeur et souvenirs permet aussi au film de basculer dans le genre et de lui donner cette dimension magique.
Lors de sa première apparition, Julia a le visage tuméfié. Pourquoi ?
Je ne donne pas d’explications de ce qui s’est passé. Ça relève de son mystère. L’idée était surtout de cacher et de révéler petit à petit. J’aimais bien que son visage soit un peu abîmé et qu’on ne voit pas tout de suite qu’elle est très belle. Il y a aussi un côté film de genre. Quand quelqu’un arrive avec le visage tuméfié, on se dit tout de suite que c’est un méchant. En fait, c’est tout le principe du film : le rapport aux odeurs, au passé, aux souvenirs… Il s’agit de se demander comment montrer les images cachées derrière les images qu’on montre.
Justement, cette dimension magique. Était-elle à l’origine du projet du film ? Pourquoi ?
Je tenais à cette idée de petite fille un peu étrange, solitaire, qui fait des petites potions magiques. Et puis, il y a quelque chose dans la magie qui renvoie à la magie du cinéma, où on crée de nouveaux systèmes de croyance. Ici, j’ai créé une magie. De plus, la magie est universelle, elle est partagée par tous les hommes. Par exemple, j’ai grandi dans une campagne française où la magie était très présente !
En représentant une famille racisée, vouliez-vous évoquer l’histoire française post-coloniale ?
Je voulais avoir une famille d’aujourd’hui, une famille moderne, et je me dis j’en ai marre que ce soit toujours les mêmes gens qu’on voit au cinéma, c’est pour ça que j’ai choisi cette famille métisse. Dans mon film, ce n’est pas un sujet en soi : c’est une famille, ils ont des problèmes de famille comme tout le monde, sur lesquels la couleur de peau n’influe pas. En revanche, je parle de la France contemporaine et je veux vraiment que ce soit des problématiques françaises, sociales, politiques. Donc je ne peux pas non plus faire comme si tout allait bien et qu’il n’y avait aucun problème. C’est pourquoi je montre qu’il y a du racisme et de l’homophobie dans le village, un climat étouffant qui montre un état de fait, ainsi que la passivité de tout le monde. Je trouvais ça important, surtout dans le contexte actuel où la parole de l’extrême droite est banalisée.
Pouvez-vous nous parler de l’expérience de tourner un film avec Adèle Exarchopoulos ?
Adèle est une excellente bonne comédienne, qui a beaucoup de technique mais aussi cette liberté permettant de la diriger comme une non-professionnelle. Je dirige beaucoup sur le corps – je travaille beaucoup sur la posture, la voix, les intonations… Elle m’a permis de la diriger comme ça, et elle proposait aussi des choses, avec une palette très large. Elle a quelque chose de très physique. En plus, elle est tout le temps juste, ensuite c’est à toi d’ajuster en fonction du personnage. D’ailleurs, on l’a trouvé ensemble !
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Crédit de l’image à la Une : © F Comme Film – Trois Brigands Productions
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