Dans la vraie vie, le deuil se fait à huis clos, dans la pudeur et l’intimité de l’entourage où le chagrin s’exprime sans retenue. Les hommages, quant à eux, sont rendus ponctuellement et dans un cercle souvent restreint.
En ligne en revanche, à la mort de célébrités ou de proches anonymes, la douleur de la perte est criée haut et fort derrière des hashtags et des émoticones éplorés, sur les fils Twitter et les murs Facebook – où les profils des disparus peuvent d’ailleurs être transformés en comptes de commémoration à la demande des proches.
Les éloges funèbres sont collectivement relayés et alimentés à l’infini, chacun partageant un souvenir, une photo ou une anecdote qui resteront gravés, non pas dans la pierre, mais sur les murs virtuels des défunts.
Des mémoriaux virtuels
De notre vivant, les réseaux sociaux ont modifié la façon dont on échange. Même avec les morts, ils nous aident à garder le contact. Alors non, Facebook et Instagram ne permettent pas encore de communiquer avec l’au-delà, je vous rassure, mais ces plateformes ont changé la façon dont on se souvient des défunts.
Nos profils font partie de la trace qu’on laisse derrière nous et finissent par constituer un vrai héritage numérique après notre mort. Une fois qu’on aura cané, nos pages deviendront un endroit où nos proches pourront se souvenir et nous célébrer.
D’ailleurs, d’après une enquête sur la mort numérique datant de 2014, 55 % des personnes ont déjà « consulté le compte d’un ami ou d’un membre de la famille sur les réseaux sociaux après son décès ».
C’est par exemple le cas de Stéphane Durand, journaliste ayant récemment obtenu un diplôme de conseiller funéraire :
« Je vais sur Facebook rien que pour voir les photos et les messages d’amis décédés. Les technologies nous aident à gérer le deuil. D’ailleurs, selon moi on ne FAIT pas un deuil, on vit avec. »
Sans remplacer les traditionnels enterrements, cartes de condoléances ou recueillements éplorés au pied de la tombe des défunts, les commémorations sur les réseaux sociaux prennent une place de plus en plus importante dans le processus du deuil.
Anthéa Letellier, doula de fin de vie qui accompagne les aidants et aidants de personnes malades ou les personnes malades elles-mêmes, explique le rôle des réseaux sociaux dans le deuil :
« Avec internet et les réseaux sociaux nous pouvons créer des espaces de mémoires digitales, et garder les comptes de nos disparus. Pour certains et certaines c’est inutile, pour d’autres, c’est primordial. »
C’est le cas, surtout en cas de mort brutale, lorsque les proches n’ont pas pu exprimer ce qu’ils ou elles voulaient quand le ou la défunte était encore en vie. En ouvrant une page commémorative à la mémoire des personnes décédées, en publiant des souvenirs numériques sur leurs murs ou en leur envoyant des messages privés, cela permet de rattraper un peu le coche et de faire comme s’ils et elles continuaient d’échanger.
Et, si les proches décident de laisser les comptes du ou de la défunte en ligne, ces mémoriaux digitaux pérennisent leur souvenir et leur permet de les consulter, comme on consulterait des albums de souvenirs ou des boîtes remplies d’objets importants.
Dans le contexte d’un deuil périnatal (« lorsque des parents perdent leur bébé entre 22 semaines d’aménorrhée et le 7e jour après sa naissance »), ça peut être essentiel. Beaucoup de parents ont utilisé les réseaux sociaux pour « donner une existence sociale à leur enfant ». La psychanalyste et spécialiste en deuil périnatal Marie-José Soubieux expliquait à la plateforme Happy End :
« Pour faire le deuil, il faut avoir des souvenirs, des traces d’existence, on ne peut pas faire le deuil de rien. Dans le cas d’un deuil périnatal, les réseaux sociaux et donc les photos participent à dépasser la grande crainte de l’oubli de l’enfant mort »
Au-delà même des réseaux sociaux, de nouvelles technologies peuvent aussi participer à faire passer la pilule de la mort et à créer des ponts avec les défunts. Stéphane Durand raconte :
« Il existe des QR codes qu’on peut placer sur les tombes et scanner pour avoir accès à des informations sur le ou la défunte. On peut donc savoir qui était la personne enterrée et lire sa biographie, comme on le ferait au cimetière du Père-Lachaise en googlant les noms des personnes célèbres qui s’y trouvent. Avec ce genre de techniques, les morts et les vivants cohabitent un peu mieux. »
Faire le deuil ensemble
« La mort est sociale et on la partage », confie Stéphanie, une endeuillée, à la plateforme Happy End.
Les réseaux sociaux ne permettent pas seulement d’adoucir l’absence des défunts, mais ajoutent aussi une dimension communautaire au deuil, qui s’étend alors au-delà de la famille jusque dans les cercles amicaux de la personne décédée.
Pour Marie Bérengère Salmon, la fondatrice d’Alanna, une plateforme sociale du souvenir, « il y a une vraie demande des familles de créer des mémoriaux en ligne ». Elle poursuit :
« Sur une période aussi difficile que celle de la perte de quelqu’un, c’est important d’interagir avec ses proches. »
Sa toute nouvelle plateforme permet d’ailleurs de répondre à se besoin de rapprochement. Le site permet de créer des pages sur des personnes décédées et d’historiser leur vie, d’organiser des cagnottes pour les obsèques, de retransmettre en direct la cérémonie pour les proches qui n’ont pas pu se déplacer ou encore de laisser des messages d’hommage et de condoléances dans un fil d’actualité à la manière d’une page Facebook.
En s’échangeant des photos et des messages, la famille et les amis peuvent se remémorer des souvenirs en toute intimité. Et puis, en ligne, il n’y a pas de limite temporelle : les posts et images peuvent être consultés ou postés n’importe quand !
Pour Anthéa Letellier, cet aspect collaboratif et communautaire du deuil en ligne est une bonne chose, notamment pour lever le voile sur le tabou de la mort :
« Les réseaux sociaux permettent aux endeuillés de se trouver, de se connecter entre elles et eux. Cela donne lieu à de belles initiatives comme les apéros de la mort, les cafés mortels, les coopératives funéraires, ou encore les collectifs comme AMA (Accompagner la Mort Ajourd’hui).
Le fait que ces intiatives soient présentes en ligne fait que l’information circule mieux, et que, du moins pour les personnes qui choisissent de ne pas fuir le sujet, la mort reprend un peu plus facilement sa place naturelle dans nos vies. »
Finalement, les personnes qui pleurent la mort d’un ou d’une proche trouvent en ligne des espaces de parole et de partage salutaires pour leur deuil.
Mais tout n’est pas si simple. Selon Marie Tournigand, directrice d’Empreintes, une association qui accompagne les personnes en deuil, il existe des bienfaits, mais aussi des risques pour les proches qui ne ferment pas les comptes des défunts et les entretiennent pendant des années.
« Il y a là-dedans un côté mémoriel et rituel qui peut être aidant, mais aussi un côté qui ressemble parfois au maintien artificiel d’une existence, ce qui ne facilite pas le processus qui consiste à se détacher de la personne décédée. »
Cela peut même créer une confusion entre la place des vivants et des morts.
En ligne ou pas, le mieux reste encore, si on le souhaite, de se faire accompagner ailleurs que sur les réseaux pour bien vivre la perte d’un ou d’une proche…
À lire aussi : La durée du congé pour le deuil d’un enfant est enfin allongée
Crédits photos : Anna Shvets et Cottonbro (Pexels)
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Les Commentaires
edit : @Dame de lotus super cette vidéo, je suis assez d’accord avec ce qui est dit sur la perte du carcan des rituels qui au lieu de libérer le deuil comme c’était le but initial à finalement rendu le deuil personnel et non plus collectif.