Le deuil fait partie de ces sujets universels – que nous allons tous et toutes connaître et que nous avons probablement déjà tous et toutes connu, de près ou de loin… Pourtant, dans notre société, la mort et ce qui l’entoure est parfois un tabou.
Dans son ouvrage Vivre le deuil au jour le jour, le psychiatre Christophe Fauré note que le tabou qui entoure la mort contribue à isoler les personnes endeuillées et crée « une subtile exclusion qui, condamnant à vivre dans le silence ce temps de vie si particulier, génère une souffrance supplémentaire, inutile ».
Qu’est-ce que le deuil ?
Dans ce même livre, Christophe Fauré, spécialiste du deuil et des ruptures de vie, explique et raconte le traumatisme créé par la perte d’un proche, ses répercussions physiques, psychologiques, relationnelles… et nous aide à entrevoir la manière dont nous pouvons retrouver le « goût de la vie ».
Lorsqu’une amie très chère m’a conseillé de lire les travaux de Christophe Fauré, je ne m’attendais pas à y trouver autant de clés de compréhension et de réconfort – si le sujet te touche ou t’intéresse, je ne peux que te conseiller à mon tour de te tourner vers l’ensemble de ses ouvrages.
De manière générale, Christophe Fauré souligne que le deuil a plusieurs dimensions : il se traduit par un vécu physique (notre corps parle et exprime la douleur), un état psychologique d’une grande intensité et un évènement social et relationnel (qui remet en question notre rapport aux autres, à soi-même).
Chaque deuil est différent – il n’y a pas de règle : ce serait le degré d’attachement avec le ou la défunte qui déterminerait l’intensité de notre deuil.
Les étapes du deuil
L’ouvrage Vivre le deuil au jour le jour décrit des phases générales dans lesquelles nous pouvons peut-être nous retrouver – mais Christophe Fauré insiste : chaque situation est particulière. Pour le psychiatre, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon d’être endeuillé, « il y a juste ce que l’on vit ».
Selon lui, la première étape serait une phase de choc, de sidération et de déni.
Lors de l’annonce du décès, un certain nombre de mécanismes de « protection psychique » se mettraient en place : d’abord, nous ne reconnaissons pas tout de suite que nous avons perdu quelqu’un que l’on aimait, ni que nous l’avons perdu de manière définitive – on le sait, mais on ne le réalise pas et, parfois, on n’y croit pas.
Dans cette phase, nos émotions peuvent être anesthésiées, mises à distance et c’est parfois déconcertant : pourquoi je ne pleure pas ? Pour Christophe Fauré, ce mécanisme de défense nous « préserve contre la violence d’une trop grande douleur […] et ne cédera que quand on se sentira capable d’y faire face ».
C’est dans cette phase qu’il existe une agitation autour des personnes endeuillées, qui doivent préparer et prendre part à des rituels sociaux – préparer les funérailles, recevoir les condoléances et les marques d’affection de l’entourage…
La colère dans le processus de deuil
Au bout de quelques jours ou semaines, cette agitation disparaît, et la personne endeuillée se confronte au silence et à l’absence de l’être aimé. Des épisodes de « décharge émotionnelle » peuvent alors apparaître : soudain, n’importe où – dans la rue, chez soi, chez le boulanger, on fond en larmes, on se met en colère, … Parfois, l’intensité de ces moments effraie : mais c’est en fait une manière de réguler le flot des émotions.
Christophe Fauré explique que cette première phase du deuil aurait une durée de 3 semaines à 1 mois – lorsqu’elle dure plus longtemps, c’est peut-être le signe que le processus de deuil est bloqué quelque part. Dans ce cas, si vous voulez bien l’accepter, une aide psychologique peut être bienvenue.
La seconde étape du processus de deuil serait une phase de fuite/recherche – qui durerait entre 6 et 10 mois.
Que faire, une fois les funérailles passées, les proches retournés à leur vie quotidienne ? À cette étape, la personne endeuillées a peut-être perdu des habitudes, des points de repères et peut traverser une crise d’identité : qui suis-je sans l’être perdu ?
Face à cette confusion, certaines personnes peuvent essayer de « fuir » la situation pour se protéger – en s’agitant, en s’investissant dans des activités, des associations, en évitant de rester seul…
À l’inverse (ou en même temps), d’autres se tournent vers la recherche de l’être perdu – en préservant des liens ou des choses qui nous liaient au défunt-e, en écoutant ou relisant d’anciens messages, en s’entourant de ses affaires, … Cette recherche peut être marquée par un sentiment d’attente : quelque chose va arriver.
Plus souvent qu’on ne le croit, cette phase est également marquée par une « perception du défunt » : celui ou celle qui est parti est toujours là. On l’entend, on le sent et, parfois, on croit le voir.
Au cours de cette phase, les réactions de l’entourage ont une importance particulière et nos proches peuvent avoir du mal à savoir quelle réaction adopter : la personne en deuil a besoin de l’aide de son entourage et pourtant, elle le rejette parfois… et lui en veut de ne pas comprendre ce qu’elle vit et ce dont elle a besoin.
Pour Christophe Fauré, la troisième étape serait une phase de déstructuration
et apparaîtrait presque un an après le décès.
À ce stade, les proches ont repris le cours de leurs vies et la personne en deuil se confronte de plein fouet à l’idée que la personne perdue ne reviendra plus – c’est là, à cet instant du processus de deuil, que la douleur peut être la plus intense.
Parfois, les personnes en deuil ont alors la sensation de faire machine arrière : ce que je vis est pire qu’aux premiers jours. C’est pourtant le contraire : même si c’est difficile à entrevoir, c’est une étape « normale » du processus de deuil.
La culpabilité dans le processus de deuil
Au cours de cette phase, d’autres choses se jouent : nos émotions liées au deuil, mais aussi nos émotions liées à des ruptures passées, à toutes les fois où nous avons perdu quelque chose… Nous nous confrontons à un tsunami d’émotions.
Des sentiments de colère peuvent alors apparaître – avec généralement 4 cibles principales : Dieu ou la destinée, la médecine, le défunt ou soi-même… Parfois, il existe également un ressentiment à l’égard des autres qui, eux, continuent à vivre.
C’est également dans cette étape que peut apparaître la culpabilité : je n’étais pas là lors du décès, je n’ai pas eu le temps de lui dire que je l’aimais, j’aurais dû me rendre compte que quelque chose n’allait pas… On culpabilise à propos de ce que l’on a fait ou pas fait, de ce que l’on a dit ou pas dit et, parfois, de ce que l’on a pensé ou pas pensé… En somme, selon les mots de Christophe Fauré, « on se reproche l’impossible ».
Cette culpabilité traduit l’idée d’une faute que nous aurions commise – et pour laquelle nous devrions être punis. De manière parfois inconsciente, les personnes endeuillées peuvent alors s’interdire toute joie, tout bonheur… et, par exemple, s’en vouloir la première fois qu’elles riront de bon cœur après la disparition de l’être aimé.
Cette culpabilité permet malgré tout de maintenir une forme de lien avec la personne disparue – c’est pour cela qu’il est d’autant plus difficile de s’en défaire.
À cette étape, il est important de comprendre d’où vient cette culpabilité et de s’interroger : jusqu’où doit-on payer ? Est-ce que l’être aimé souhaiterait que nous nous fassions souffrir de cette manière pour lui ?
Nommer et comprendre notre culpabilité, notre colère et les émotions que l’on traverse nous aidera à nous libérer un peu de leur emprise… et à penser à ce qui est aujourd’hui en notre pouvoir, à ce que l’on peut faire pour réparer ce qui peut être réparé. Par exemple, si on culpabilise de ne pas avoir assez dit à l’être disparu qu’on l’aimait, on peut alors s’attacher à exprimer notre affection à nos proches.
Le vécu dépressif du deuil
À ce stade du processus de deuil peut apparaître le « vécu dépressif du deuil ». Nous avons lutté depuis des mois (parfois même avant le décès lorsque celui-ci est lié à une maladie) et nous sommes épuisés physiquement et psychologiquement. Des symptômes peuvent naître : des troubles du sommeil, une perte d’appétit, une perte d’intérêt pour le quotidien, un retrait social…
Le « vécu dépressif du deuil » est différent d’une dépression clinique (notamment par l’intensité des symptômes) – mais la dépression clinique peut en être une complication (en cas de doute et de manière générale, votre médecin traitant saura vous orienter vers des professionnel·les qui pourront vous aider).
De manière contre-intuitive, l’apparition du « vécu dépressif du deuil » signale le bon déroulement du processus… et peut se chevaucher avec la dernière étape : la phase de restructuration.
Celle-ci s’impose lentement, sans que la personne en ait conscience, sans faire de bruit. Au fil du temps, on entrevoit le début d’un retour à la vie – parfois, ce début peut faire peur et susciter des résistances (et même une « culpabilité du survivant »).
On sait que cette phase a débuté lorsque l’on note des changements dérisoires ou plus importants – on s’est autorisé à rire, à profiter d’un instant… à construire un nouveau projet, une nouvelle relation.
L’impact du deuil sur nos vies
Cette restructuration peut être complexe et avoir des impacts sur différents aspects de nos vies.
- Nos relations aux autres ne sont plus tout à fait les mêmes, nous voulons parfois sortir de notre étiquette de « celui ou celle qui a perdu un parent/un·e conjoint·e/un frère/une sœur », il peut être difficile d’accepter de risquer de perdre à nouveau quelqu’un…
- Notre relation au défunt évolue également – j’arrive peu à peu à me connecter à des images heureuses de lui ou elle, à passer des heures ou des journées sans me sentir coupable de ne pas penser à lui ou elle,…
- Notre rapport au temps – certaines dates « anniversaires » viennent réactiver des douleurs,…
- Notre relation à nous-mêmes et nos certitudes peuvent aussi être impactées : je sais aujourd’hui que tout peut s’arrêter. Cette idée peut créer de la peur, mais elle peut aussi être un tremplin et me mener à apprécier la vie d’une nouvelle manière.
En somme, Christophe Fauré explique qu’avec le temps et le processus de deuil, on s’apaise – mais le deuil ne se termine pas : on n’aura pas « plus jamais mal ». Le deuil sera comme une cicatrice qui est là – parfois, on ne la voit pus… et parfois, on ne voit qu’elle.
Pour le psychiatre, la résolution du deuil sera liée au sens que nous pouvons donner à ce que nous venons de vivre : nous avons traversé un ouragan, et nous en sommes sortis. Que faire à présent ?
Selon ses mots, « quand je réaliserai que je ne lutte plus contre le fait que cette personne que j’ai aimée est bel et bien morte et que je ne cherche plus à me protéger de cette réalité, je comprendrai que le plus gros de mon deuil se trouve derrière moi. Ce sera seulement quand je serai parvenu à inscrire ma perte dans l’histoire de ma vie que je commencerai à saisir la véritable nécessité d’avoir eu à accomplir ce travail de deuil ».
Comment aider un ou une proche en deuil ?
Le psychiatre termine son ouvrage par des conseils pour l’entourage de personnes en deuil. D’abord, Christophe Fauré propose de laisser la personne en deuil faire son propre chemin, aller à son propre rythme, traverser ses propres émotions.
Si vous ne savez pas quoi dire, quoi demander, offrez simplement un espace de parole (ou de silence, d’ailleurs) : demandez-lui par exemple ce qu’il se passe pour elle, où en est-elle physiquement, matériellement, socialement, psychologiquement et spirituellement ?
Si respecter le silence ou offrir une écoute à la personne est important, proposer une aide pratique peut également être précieux :
- à court terme, on peut proposer d’aider à faire des démarches (préparer les funérailles, effectuer une démarche administrative, loger des proches…)
- à moyen et long terme, on peut proposer de garder les enfants de la personne ponctuellement, l’accompagner faire des courses, l’inviter à dîner, être présent·e lorsqu’elle souhaite se recueillir, planifier des sorties
- et, à tout moment, lorsque l’instant s’y prête, lui rappeler qu’elle peut être accompagnée (par des associations, des lieux d’écoute et/ou des professionnels).
Ce que l’on peut faire, c’est simplement faire de son mieux, faire savoir à la personne que l’on est présent·e si elle le souhaite et éviter d’en faire un sujet tabou.
Tu as une expérience à partager sur le sujet ? Rendez-vous dans les commentaires.
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