Les témoignages sont à glacer le sang. Dans une longue enquête, publiée jeudi 27 avril, le quotidien britannique The Guardian dévoile comment des prédateurs utilisent les réseaux sociaux, et en particulier ceux du groupe Meta, pour identifier des jeunes vulnérables qu’ils « préparent » au trafic sexuel, via différentes techniques de manipulation extrêmement bien rodées, puis exploitent grâce aux plateformes, où ils trouvent victimes et clients.
Un phénomène loin d’être isolé
L’enquête s’ouvre sur l’histoire terrible de Maya, une jeune fille de 12 ans, victime de trafic sexuel. Son proxénète, âgé de 28 ans, l’avait contactée sur Instagram. Au départ, il la complimentait, lui répétait qu’elle était jolie, la mettait en confiance. Après quelques échanges, il lui demande des images d’elle nue, et l’adolescente obtempère. Pourquoi se méfier de cet homme qui redouble d’attention à son égard et ne cesse de lui dire des mots doux ? Il lui promet même de l’argent en échange de ces images.
Peu de temps après, ils se rencontrent en personne. Les choses prennent alors une tournure différente : l’homme lui demande si elle accepterait de l’aider à « faire de l’argent ». Elle lui cède ses identifiants Instagram, et le proxénète transforme le compte de Maya en vitrine pour vendre ses services sexuels à une multitude d’hommes qu’elle satisfera ensuite dans les motels alentour. Elle ne sait plus comment dire non, et voit son mac régler, en DM, tous les détails logistiques de ses passes.
Son histoire est loin d’être une exception. Dans bien des cas, les réseaux, par leur côté multimodal (compte public, messages privés…) servent à la fois à identifier des mineurs isolés, à faire la publicité de leurs services sexuels, et à négocier des transactions :
Selon l’Office des Nations Unies contre les drogues et le crime, Internet est utilisé par les trafiquants d’êtres humains comme un « terrain de chasse numérique », leur permettant d’accéder à la fois aux clients et aux victimes potentielles, les enfants étant ciblés par les trafiquants sur les réseaux sociaux.
How Facebook and Instagram became marketplaces for child sex trafficking, Guardian, 27/04/2023
Les chiffres sont là : en 2020, selon un rapport de l’organisme américain à but non lucratif Human Trafficking Institute, Facebook est la plateforme la plus utilisée par les trafiquants sexuels pour « préparer » et recruter des enfants (65 %). En deuxième position, Instagram suivi de Snapchat. Mais, comme le révèle le Guardian, malgré ce qu’elles affirment, ces plateformes (Meta en tête) peinent à identifier et à empêcher les criminels d’utiliser leurs réseaux comme terrain de jeu. S’agit-il d’un manque de moyens… ou de volonté ?
Le rôle de Meta
Pendant deux ans, le Guardian, a donc interviewé plus de 70 sources, pour tenter d’identifier pourquoi et comment ces plateformes ont pu devenir de telles plaques tournantes du trafic de mineur. Les journalistes du quotidien britannique ont rencontré des survivantes, consulté des documents judiciaires, interrogé Meta, des auteurs condamnés, des professionnels de la protection infantile, des modérateurs de contenu en ligne, afin de comprendre « comment des prédateurs sexuels utilisent Facebook et Instagram, et pourquoi Meta peut si facilement nier toute responsabilité légale pour le trafic sexuel qui prend place sur ses plateformes ».
Concernant ce deuxième point, ce qui ressort de l’enquête est surtout la complaisance légale dont le géant d’internet bénéficie. En effet, s’il existe une obligation légale de reporter auprès du NCMEC (National Center for Missing & Exploited Children) tout contenu incluant des images pédopornographiques, ou représentant des abus sexuels sur mineur, il n’est pas obligatoire de signaler des suspicions d’ESEC (exploitation sexuelle d’enfants à des fins commerciales). Ce qui signifie donc que le NCMEC ne peut que s’en remettre à la bonne volonté des plateformes quand il s’agit de repérer ce genre de comportements en ligne.
La loi déresponsabilise les plateformes
Par ailleurs, Meta est protégé par le Communications Decency Act, dont l’article 230 prévoit que les services internet interactifs (comprendre les réseaux sociaux et les entreprises qui les possèdent) « ne doivent pas être traités comme les éditeurs du contenu posté par leurs utilisateurs. Cet article (qui date de 1996, ndlr) a été inclus pour garantir la libre circulation de l’information tout en protégeant l’expansion de l’industrie tech » au moment de son déploiement à l’aube des années 2000. Mais, de fait, cet article exempte les plateformes de toute responsabilité vis-à-vis du contenu qui y circule.
L’enquête rapporte aussi la parole de modérateurs, qui expliquent se sentir impuissants et peu épaulés face aux cas d’exploitation sexuelle de mineur, avec le sentiment que leurs signalements sont vains, et que les utilisateurs et utilisatrices qui en sont victimes restent bien souvent livrées à elles-mêmes, faute de sanctions concrètes prises par la hiérarchie. Les instructions transmises aux modérateurs semblent aussi floues, quant aux critères à guetter, selon Meta, pour justifier un signalement.
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