Ce qu’il reste aujourd’hui de l’agression sexuelle que j’ai subie à 9 ans, ce sont des souvenirs très clairs, des moments, des images, devenus des symboles malheureux. Si on évoque les iris, ou si l’on prononce le mot « architecte », je risque de faire rapidement dévier la conversation pour me protéger. Pourtant, les iris sont si beaux.
Parler de ma première relation sexuelle est également un fardeau, cette relation n’a eu lieu que parce que je voulais me prouver que je n’avais et que je n’aurai pas de problème sur ce plan-là.
Subsiste aussi la culpabilité de ma mère. À qui je réponds que tout va bien quand elle me pose la question. À qui je dis que je ne ressens rien de vif lorsque j’y pense, alors que je voudrais lui coller mon poing dans la mâchoire à cet homme, juste un bon coup, juste pour lui dire : « je suis plus forte que toi ».
Mon père sait ce qu’il s’est passé mais on n’en a jamais parlé. Ma sœur sait aussi, et bien qu’elle n’ait pas été victime, elle ressent les choses aussi fort que moi. Mon frère, lui, ne sait pas.
Porter plainte à 19 ans pour une agression sexuelle subie dans l’enfance
J’ai pu en parler à des amies, très peu, et que je ne vois plus depuis longtemps. La mère de l’une d’elle a une fois prononcé des paroles extrêmement blessantes et qui banalisaient totalement les actes pédocriminels. Elle me reprochait de ne pas avoir été là pour elle et sa fille dans un moment très dur de leurs existences. Elle considérait que ce que j’avais vécu n’était pas assez grave pour expliquer mon incapacité à les soutenir.
J’étais, à ce moment-là, à 19 ans, en plein dans les démarches de dépôt de plainte pour agression sexuelle. Je devais raconter les faits, dans les détails les plus précis possibles, à la police et à mon avocate. J’avais demandé à ma mère de ne pas m’accompagner, je ne voulais pas qu’elle entende.
C’est une lettre de la compagne de l’époque de mon agresseur qui m’a décidée. J’ai su grâce à elle que je n’étais pas seule, nous étions 7, et quelques-unes s’étaient fait entendre. Mais j’étais la seule à ne pas avoir passé les 10 ans de prescription. Les autres ne pouvaient porter plainte qu’au Civil et moi encore au Pénal.
Le plaidoyer de mon avocate sonnait très juste. Le plaidoyer de son avocat était à vomir, « c’était de l’amour ». Mon agresseur a finalement été condamné à une interdiction de sortie de sa ville de résidence pendant 5 ans, et à me verser une indemnité financière qui a finalement couvert les frais d’avocat.
Mon avocate m’a expliqué qu’au regard de l’âge de mon agresseur, le juge n’avait pas été plus sévère. Encore aujourd’hui, je trouve cette peine bien mince. J’avais la possibilité de faire appel et en l’occurrence de demander plus d’argent, mais je n’en ai rien fait. Le plus important pour moi était réalisé : la reconnaissance de la justice et de tiers. Et surtout, je voulais rapidement passer à autre chose.
Devenir mère après des violences sexuelles
Aujourd’hui, j’ai 31 ans. Je suis en couple depuis 5 ans avec mon futur mari, et nous avons décidé de concrétiser cette envie que nous avons d’avoir un enfant ensemble. J’ai arrêté la pilule il y a 4 jours.
Le lendemain soir de cette décision, nous démarrons un film, arrive une scène de viol, je ferme les yeux et lui demande de changer de chaîne. Trop tard. Je vais faire autre chose, histoire de me changer les idées et d’apaiser mon esprit. Rien y fait.
Ce que je ne craignais plus arrive. Ce à quoi je pense régulièrement, tout en me disant que je suis bien assez forte pour que ça ne m’atteigne plus, ressurgit avec une intensité que je n’aurai pas soupçonnée. Ce soir-là, le lendemain d’une décision que je considère comme l’une des plus attendues dans ma vie.
Je n’ai pas été victime de viol. J’ai été victime d’attouchements. Mais n’importe quelle situation d’agression sexuelle, qu’elle soit fictive ou non, peut apparemment me faire réagir très fortement, avec un mélange violent de colère et de tristesse, et une question lancinante : « pourquoi je n’ai pas su me défendre ? ». Plus de 20 ans après.
Comment protéger mon futur enfant des actes pédocriminels ?
En plus de ces ressentis extrêmes, s’ajoutent des questions qui tournent incessamment. Comment vais-je protéger mon futur enfant sans le ou la surprotéger ? Comment vais-je arriver à ne pas imposer à mon foyer un hyper-contrôle oppressant ? Comment vais-je pouvoir faire confiance à une tierce personne à qui je confierai la responsabilité de cet enfant ? Comment dans son éducation vais-je trouver la juste mesure entre prudence et méfiance ?
Comment lui faire comprendre que ce sont sa sécurité et sa santé qui comptent avant tout, peu importe les conséquences pour son entourage, et notamment pour nous, ses parents, qui sommes responsables de son bien-être. Un élément que je n’avais pas intégré à 9 ans, pensant préserver « l’équilibre » présent autour de moi grâce au silence.
Ce n’est qu’un extrait de ce qui traverse ma pauvre cervelle en ce moment. Je voudrais tant ne pas projeter mes craintes et mes blessures sur l’être dont je souhaite l’épanouissement plus que tout.
Je pense me tourner vers une aide thérapeutique, mais je n’ai pas encore franchi le pas. J’avais déjà fait trois tentatives vers mes 18 ans, avec trois thérapeutes différents. J’étais poussée par ma mère et mon père, mais je n’ai jamais donné suite après chaque premier rendez-vous. Et en attendant, je commence par partager mes questionnements ici.
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