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Société

Comment briser la chaîne de la misogynie, enseignée de mère en fille ? 

Avec « Briser la chaîne » (éditions Leduc, 2024), la militante féministe Camille Lextray expose avec brio les mécanismes qui entretiennent la misogynie et la rivalité entre femmes. 

Mais pourquoi certaines femmes défendent-elles des agresseurs ? Pourquoi d’autres nous enseignent-elles des réflexes misogynes ? Pourquoi la rivalité féminine existe ? Ce sont les questions que décortique la militante Camille Lextray, derrière le compte instagram @hystérique_mais_pas_que. Passée par les collages féminicides et travaillant dans une ONG féministe, la militante nous livre ces réflexions pour permettre à chacune, d’à son tour, briser la chaîne. 

Dès l’introduction, vous parlez de votre expérience  dans le collectif des collages contre les féminicides et de la violence de certaines femmes contre le mouvement. Pourquoi la violence venant des femmes, envers d’autres femmes, quand on est féministe, heurte particulièrement ? 

Camille Lextray : J’avais cette idée naïve, avant de rentrer dans le féminisme, que la violence patriarcale était le monopole des hommes cisgenres. En me confrontant à des femmes tout aussi violentes et misogynes, je n’étais pas du tout préparée et je ne savais pas quoi leur répondre.

Comment avoir une discussion avec des personnes qui sont à la fois des victimes et des bourreaux ?

Camille Lextray

J’avais besoin d’écrire ce livre pour comprendre d’où vient cette pensée, pour la combattre et ne pas laisser ce champ à l’extrême droite. C’est un sujet très actuel, avec des figures politiques comme Marine Le Pen et Giorgia Meloni, ou encore la mouvance des tradwifes qui défendent la place traditionnelle des femmes. 

Si le patriarcat tient en place, c’est parce que des femmes coopèrent à ce système. C’est une des thèses centrales de votre livre, pourquoi le font-elles ? 

Camille Lextray : La première raison, c’est la survie, avec la peur des répercussions, en cas de rébellion. Les femmes font face à des représailles si elles décident de sortir du cadre qu’on leur a donné. Typiquement, le procès d’Amber Heard a été un exemple international de comment les femmes sont punies si elles osent se rebeller contre l’oppression patriarcale. Enfin, certaines femmes ont vécu des violences qui sont trop dures à admettre, et où il est parfois plus facile à gérer de refouler et de nier d’être une victime. 

Un premier exemple que vous donnez, c’est la figure clé que sont les mères. Paradoxalement, elles sont obligées de devoir prendre en charge l’éducation des enfants, mais forcées par survie d’enseigner le script genré, comment ce paradoxe est-il possible ? 

Camille Lextray : Le fait de croire à la répartition genrée donne un cadre à l’existence, rassure. Sortir de ce cadre de femme et de mère est un saut dans l’inconnu, et remet en question un des fondements mêmes de la société, c’est-à-dire la famille. On le voit très bien avec l’extrême droite qui parle de « droit » à rester à la maison pour les femmes. Elle dit que c’est un droit à défendre et que les féministes attaquent une liberté, alors que c’est l’inverse. Cet exemple touche un point crucial qu’est l’impossibilité de se projeter dans une société où les femmes ne sont pas des mères. 

Le deuxième exemple, c’est celui de la «pick me », ou « la fille pas comme les autres ». Pouvez-vous nous expliquer ce rôle genré, et comment est-il construit de toute pièce ?

Camille Lextray : La « pick me » est la fille qui ne rentre pas dans le groupe des filles et traîne avec des garçons.  C’est un réflexe de défense logique de se dire que les filles sont considérées comme un groupe stupide et inintéressant et qu’on ne veut pas s’y identifier. Au lieu de se dire que la description est fausse et qu’on se trompe sur les femmes, on a envie de prouver qu’on est plus intelligente, qu’on est mieux que ce qu’on attend des femmes. Le problème, c’est que c’est le cas de toutes, nous sommes mieux que ce que la société attend de nous.

En dénigrant les autres femmes, on rejoint le camp des dominants et on a l’illusion de pouvoir contourner les violences. On a l’impression d’être leurs égaux, mais en fait pas du tout. 

Camille Lextray

Dans votre livre vous dites : « Quand les femmes représentent des femmes, les hommes représentent le monde », à propos du rôle de l’expertise. Pourquoi les femmes sont considérées comme moins compétentes pour expliquer un sujet ? 

Camille Lextray : Je pense que l’idée dans cette phrase, c’est que l’on confine les femmes à des sujets très précis, et les sujets d’expertises des femmes ne vont pas être vus comme des sujets politiques, mais comme du développement personnel. Il y a ce refus de l’expertise des femmes qui vont avoir le statut de témoin, comme si elle ne pouvait pas avoir de recul critique, comme si elles étaient obligatoirement dans le sensoriel, là où les hommes sont perçus dans la réflexion et la raison.

Il y a des études qui expliquent que lorsqu’on interagit avec quelqu’un dans un magasin, on réagit différemment, selon le genre de la personne. Si c’est un homme qui répond, on va beaucoup plus le croire, respecter sa parole et ne pas chercher à parler à quelqu’un d’autre. Quand c’est une femme, il va y avoir une présomption d’incompétence. 

Pour conclure, quels sont les petits réflexes du quotidien, des trucs très simples, qui peuvent nous permettent individuellement et collectivement de briser la chaîne ? 

Camille Lextray : Le but du féminisme est de prendre une place dans la société qu’on ne nous autorise pas. Il faut éviter de rentrer dans une logique de développement personnel, et d’agir seulement individuellement pour se faire du bien. Il faut repenser collectivement comment est-ce qu’on peut construire le féminisme, notamment dans les espaces intimes. Par exemple, comment est-ce que je fais pour que ce ne soit pas toujours les hommes qui soient assis à table et les femmes qui débarrassent ? On doit aussi rester vigilante avec les femmes qui nous entourent, aux dynamiques de boys club, d’exclusion et de fantasme de rivalité. Il faut se sensibiliser collectivement. 


Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.

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