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Avec celles qui garantissent l’accès à l’IVG en Argentine coûte que coûte

En Argentine, en attendant la légalisation du droit à l’avortement, des femmes se démènent pour en garantir l’accès coûte que coûte. Rencontre à Buenos Aires avec ces héroïnes.

Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays, à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.

Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des Sénégalaises, puis avec des Libanaises, elle a aussi suivi les débats sur l’avortement en Irlande et sa quatrième étape l’a menée en Argentine !

Tu peux suivre au jour le jour ses pérégrinations sur les comptes Instagram @madmoizelledotcom et @meunieresther, avant de les retrouver ici bientôt !

En Argentine, les députés viennent d’approuver une loi visant à rendre légal l’avortement jusqu’à 14 semaines de gestation, sans conditions particulières. Jusqu’ici, cet acte médical n’est en effet autorisé qu’en cas de viol, de malformation fœtale, ou de danger pour la santé ou la vie de la mère.

Les activistes ont fait le pied de grue toute la nuit devant le congrès et ailleurs dans le pays ce 13 juin, pour mettre la pression à leurs élu·es. Ils et elles attendent désormais le vote du Sénat de pied ferme.

J’ai rencontré trois d’entre elles, au lendemain de ce jour historique. Sur leurs visages, se lisaient encore les traces de la fatigue liée à la nuit blanche passée dans le froid, mais celles-ci étaient couvertes par l’émotion et l’espoir nouveau que ce vote positif a fait naître.

Au-delà de leur détermination sans faille, ces trois femmes ont en commun d’appartenir à des organisations qui visent à rendre l’avortement accessible en Argentine, en dépit de son illégalité qui, prendra peut-être bientôt fin, « ojala* ».

Des médecins qui contournent la loi pour garantir l’accès à l’IVG en Argentine

Estefia est médecin généraliste à Buenos Aires et membre du « Red de profesionales de la salud por el derecho a decidir » : le réseau des Professionnels de Santé pour le droit de choisir.

« Nous avons pour but de réunir les praticiens et praticiennes qui fournissent des informations fiables aux femmes qui ont besoin de recourir à l’avortement, pour que cela se fasse dans des conditions sanitaires sûres. »

Elle m’explique qu’avec une interprétation large de la loi, il est en réalité possible pour les médecins de prescrire un avortement dans n’importe quelle situation.

« La loi parle de « risque pour la santé » : on peut inclure dans cette expression la santé mentale comme le fait d’ailleurs l’OMS. En profitant de ce flou légal et même si officiellement ce ne serait pas l’interprétation privilégiée par le gouvernement, je peux prescrire du misoprostol [ndlr : l’un des médicaments le plus couramment utilisé pour provoquer un avortement]. »

Estefia m’explique en effet que le misoprostol est disponible en pharmacie quasiment partout dans le pays puisqu’il doit être accessible en cas d’interruption « légale » de grossesse.

« Ce qui constitue l’interruption légale de grossesse est laissé au bon vouloir des médecins : ce sont eux qui décident si oui ou non les raisons invoquées par la femme pour son avortement correspondent à celles qui sont indiquées par la loi, et ce sont eux qui font la prescription ou non en conséquence.

Je fais partie de celles et ceux qui considèrent que tout avortement est légitime. »

L’accès à l’IVG est donc largement aléatoire : si ton médecin est pro-choix, tant mieux. Sinon ? Bon courage.

« Ici à Buenos Aires, c’est facile. Mais ça peut être beaucoup plus compliqué par exemple dans le nord du pays et en particulier dans les milieux ruraux. »

Socoristas en red : accompagner les personnes qui souhaitent avorter

Pour pallier ces difficultés d’accès, des associations se proposent également d’accompagner les femmes dans leurs démarches pour obtenir un avortement.

Nadia et Julia sont volontaires au sein de l’organisation Socoristas en red : un réseau de collectifs féministes dont c’est la fonction.

Né en 2012 à l’initiative du groupe La Revuelta, il s’est étendu dans tous le pays, bien que certaines provinces ne disposent pas d’antenne locale à proprement parler.

Je les ai rencontrées juste avant que Nadia n’aille justement retrouver un groupe de femmes confrontées à une grossesse non désirée.

« Nous avons des lignes téléphoniques, c’est par ce biais-là que les femmes entrent en contact avec nous. Lors de ces appels, notre rôle est de les conseiller selon leur situation. »

Elles ont pris la décision d’organiser des réunions avec plusieurs femmes faisant face à des grossesses non désirées en amont des démarches médicales.

« De cette manière, elles constatent qu’elles ne sont pas seules, qu’il existe des tas de raisons différentes pour avorter. Elles se sentent soutenues et cela contribue à lever le stigmate que la société impose encore souvent sur elles. »

Ensuite, les personnes qui font appel à elles sont orientées vers des médecins – Socoristas en Red travaille notamment en partenariat avec le Réseau des professionnels de santé dont fait partie Estefia – ou bien vers le service public lorsque leur cas correspond par exemple à une grossesse résultant d’un viol.

« Dans cette dernière situation, il est possible d’avoir accès à l’ILG [ndlr : interruption légale de grossesse] en faisant une déclaration à l’hôpital, pas besoin de porter plainte ou d’attendre une quelconque condamnation. Heureusement, car le temps de la justice est bien plus long que le temps biologique dont on dispose pour pratiquer l’IVG » explique Julia.

Socoristas en red : un réseau très organisé

Socoristas en RED a entrepris de réaliser des statistiques sur les interventions menées et les personnes conseillées chaque année pour pallier le manque de données disponibles à l’heure actuelle.

« En 2017, nous avons conseillé par téléphone 5871 femmes et accompagné 4783 d’entre elles. »

Qu’arrive-t-il aux plus de 1000 personnes qui n’apparaissent pas dans le chiffre final ?

« Elles sont redirigées vers le service public pour interruption légale de grossesse, décident de poursuivre la grossesse, font des fausses couches… Les raisons sont variables. »

Leur protocole est précis : à partir de la première rencontre collective, chacune des personnes accompagnées remplit des formulaires très complets. Cela permet par exemple de savoir quelles sont les principales raisons qui poussent les femmes à avorter.

Le fait de ne pas vouloir être mère à nouveau (ou à ce moment-là, ou avec ce partenaire-ci), des ressources économiques trop faibles pour subvenir aux besoins d’un enfant, ou un projet de vie qui n’inclut simplement pas de bébé sont les plus couramment invoquées – même si bien sûr elles sont généralement multiples et se cumulent.

Argentine : la nécessité de la légalisation de l’avortement

Avec ce genre de dispositifs, on pourrait imaginer que l’accès à l’avortement est garanti en Argentine et se demander pourquoi il est nécessaire de faire évoluer la loi.

En réalité, la dernière statistique officielle, qui date de 2005, estime à environ 450 000 le nombre d’avortements par an en Argentine : les 5871 prises en charge réalisées par Socoristas en red en 2017 sont donc loin de couvrir les besoins nationaux, même si elles sont essentielles.

Estefia m’explique :

« Pour celles qui ont les ressources financières, qui disposent de l’information car elles sont bien éduquées, il n’y a aucun souci pour avoir accès à l’avortement. Mais pour la majorité de la population en Argentine, l’avortement est illégal, point.

Beaucoup de personnes n’ont aucune idée du fait qu’il est possible d’avoir légalement accès à ces soins en s’adressant au bon médecin. »

Estefia est parfois confrontée à des situations où des personnes essaient de procéder elles-mêmes un avortement, quel qu’il soit, par désespoir, parce qu’elles n’imaginaient pas que c’était possible autrement.

« Le plus souvent, celles-ci utilisent des sondes, des objets qui ne sont pas forcément stériles, avec lesquels elles peuvent se blesser et provoquer des saignement importants. Certaines tentent aussi de s’empoisonner. Ces méthodes mettent leur santé voire leur vie en danger. »

En 2016, selon le ministère de la Santé, 43 femmes seraient décédées des suites d’une « grossesse terminée par un avortement ».

Estefia me met aussi en garde contre les médecins anti-choix qui, lorsqu’ils doivent pratiquer une interruption légale de grossesse (qui correspond à l’un des 3 critères cités précédemment), décident d’en faire une torture.

« C’est une réalité, dans les cas où un avortement par curetage est nécessaire dans le cadre de la loi, il arrive qu’ils décident de « punir » la personne en réalisant la procédure sans anesthésie. »

Connais tes droits pour les faire respecter

L’objectif est donc que l’avortement devienne légal sans conditions, et que l’information à ce sujet soit largement distribuée.

En attendant le vote hypothétique par le Sénat qui viendrait mettre fin à cette situation dramatique, Julia me cite quelques uns des moyens de communication des Socoristas en red pour se faire connaître et éviter un calvaire aux femmes :

« On distribue des flyers, on essaie de se rendre identifiables dans les manifestations et rassemblements féministes, on réalise des graffitis sur les murs avec les numéros de nos antennes… »

Nadia me confirme qu’elles ne risquent rien puisqu’elle n’enfreignent pas la loi : ce qu’elles font est essentiellement de la diffusion d’information à propos de l’accès à un droit humain.

Fort heureusement pour elles et pour le droit à disposer de son corps, Nadia raconte que « ce droit à l’information est garanti par des protocoles internationaux signés par l’Argentine » (qui sont cependant loin d’être respectés partout dans le monde).

Toutes affirment qu’elles continueront de faire ce travail – un « activisme politique volontaire et bénévole » selon les mots de Julia – tant que cela sera nécessaire !

*« Ojalá » signifie en substance « pourvu que », « en espérant que ».

Merci à Margaux Descamps pour son aide à l’interprétation !


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