Ce mercredi 3 avril, le film Comme si de rien n’était sort au cinéma.
Cette première réalisation d’Eva Trobisch raconte l’histoire de Janne, une femme indépendante et brillante, qui n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds.
Pourtant, après une réunion d’anciens élèves, Janne est violée par un ancien camarade de promo.
Elle se retrouve alors souvent confrontée à son violeur, contre lequel elle n’engage aucune poursuite.
Pourquoi n’agit-elle pas ? Comment expliquer son silence et sa résignation ?
À l’occasion de cette sortie, madmoiZelle te partage de nouveau le témoignage bouleversant d’une jeune femme dont l’histoire rappelle tristement celle de Janne…
Le 13 janvier 2018
Depuis que c’est arrivé, il y a quelques jours, je suis très confuse, perturbée même. Je me suis réveillée le lendemain matin de cette soirée avec une idée précise, presque une révélation : la veille, c’était un viol.
J’avais justement vu cette vidéo de Lady Gaga sur le viol des étudiantes américaines peu de temps avant. J’ai été marquée par les messages écrits sur les bras des étudiantes violées, et je me suis rendue compte que je ressentais la même chose ce matin-là.
Je me sentais sale, sans aucune valeur ou dignité, indigne d’amour et d’affection.
Un flirt intriguant avec un collègue
Léon (je vais l’appeler comme ça) a 37 ans et un poste important de directeur dans l’entreprise où je travaille. Quelques mois après son arrivée, il a commencé à m’envoyer des e-mails perso tard le soir. Des bêtises, des blagues.
C’est un mec très sympa, beaucoup de gens l’apprécient, moi y compris — à cette époque-là.
Je savais qu’il était du genre à tenter sa chance avec beaucoup de filles. Mais je dois être honnête : du haut de mes 25 ans, j’étais impressionnée et sous le charme. Il m’intriguait, me cherchait, m’attirait étrangement.
Les messages se sont faits de plus en plus explicites. Je savais rapidement ce qu’il voulait. Pas d’attaches, seulement une nuit. Je n’étais pas d’accord, je ne voulais plus de ça surtout que Léon ne m’attirait pas forcément physiquement malgré son charme.
Malgré le charme de mon collègue, c’était non
J’aimais jouer, le chauffer, tourner autour du pot. Mais rien de plus, et je le lui ai fait clairement comprendre à trois reprises avec des textos sérieux.
Sauf que Léon encaissait et revenait à la charge, insistait avec une pointe d’humour. Ça réussissait à me faire rire, mais je me disais que tout était quand même clair : je savais ce que je ne voulais pas, il savait que je ne voulais pas. Ces échanges n’avaient donc pas d’impact, pas de danger.
Et puis un vendredi soir, Léon m’a envoyé comme souvent « Tu t’occupes de moi ce soir ? », un petit message qui n’appelait d’habitude pas d’action concrète, juste une suite de plaisanteries salaces.
Cependant, j’avais envie de passer un peu de temps avec lui, dans une perspective plutôt amicale… mais peut-être aussi plus.
J’étais en effet constamment tiraillée entre mes fantasmes hiérarchiques, de pouvoir et de domination, et mon refus de faire la moindre bêtise avec quelqu’un qui n’en valait pas la peine.
Une partie de moi avait envie d’aller plus loin avec lui, mais je ne voulais pas passer à l’acte. Je ne voulais plus de ce genre de relation sans lendemain. Je lui ai néanmoins proposé un verre pas très loin de chez moi.
Pendant le verre, il a bien tenté des approches mais on a surtout plaisanté et ri. Il avait faim et le bar n’offrait pas de quoi dîner : j’ai proposé de finir la soirée en allant manger chez moi.
Est-ce qu’inviter un ami chez soi est une invitation à coucher ? Je ne l’ai pas pensé mais je crois que lui, si.
Un rapport de force qui mène à un baiser non-consenti
Arrivés chez moi, je lui ai montré mon appartement ; dans la chambre, il m’a attrapée par la taille et m’a assise sur le lit.
J’ai protesté, à moitié sérieuse. Il s’est collé à moi. J’étais paralysée, j’essayais de réfléchir, vite et fort.
Qu’est ce que je voulais ?
Est-ce que je l’avais voulu ? Il m’a attrapée par le menton et m’a embrassée, de force ou par surprise.
Ça y est, on s’était embrassés. J’étais encore plus tétanisée, je ne voulais lui donner aucune raison de continuer. J’étais figée. Il me touchait pourtant et me reprochait de ne pas apprécier le moment, de ne pas me laisser aller.
Je n’osais pas dire non. Je n’ai pas osé dire « arrête immédiatement
». Des mots si simples. Tout mon corps, mon comportement lui criait de s’en aller. Je lui faisais des blagues méchantes, sûrement inconsciemment pour le repousser. Rien n’y a fait.
Il passait sa main sous mes vêtements. Par surprise encore, il a à moitié arraché mon soutien-gorge pour accéder à ma poitrine.
Un sentiment ambivalent pendant le viol
Je pense qu’une partie de moi, que je trouvais sale, y a pris du plaisir, mais une autre partie hurlait « Danger Houston, annulez la mission, barrez-vous de là ! Gros problèmes ! ».
Il devait bien voir que ça se passait mal. Il était susceptible. J’avais peur de le vexer ou d’avoir des problèmes, je me suis fait plus conciliante.
Puis, toujours dans un rapport de force où j’essayais de le repousser à moitié mais cédais à son insistance, il s’est acharné sur mon jean et a fini par mettre sa main dans ma culotte.
Ça faisait mal, il ne le faisait pas bien, j’ai eu presque l’impression qu’il voulait seulement enclencher ce processus biologique qui lui permettrait de toucher au but.
Je me débattais mollement tout en l’encourageant avec des manifestions de plaisir un peu exagérés. Je m’en veux tellement de mon incertitude à ces instants précis.
Il a fini par partir, à 2h du matin, estimant qu’il n’avait plus rien à faire ou à gagner. Il n’est pas forcément parti comme un goujat, il est resté un peu… Parfois il me demandait si j’allais bien.
Je ne savais vraiment pas quoi penser.
Est-ce que c’était un viol ?
Et le lendemain matin, la fameuse question : est ce que c’était un viol ?
Je me suis rendu compte que j’avais dit non au début. Que je l’avais repoussé plusieurs fois. Que j’ai été amorphe, paralysée par la peur, à plusieurs reprises.
Mon corps et mon cerveau ont formulé le non, alors pourquoi c’était arrivé ?
Voilà, c’est quelqu’un pour qui j’avais éprouvé une certaine attirance, il ne m’a pas plaquée contre un mur, il ne m’a pas empêchée de crier.
J’ai presque eu un peu de plaisir à certains moments. Je me suis même excusée d’être si froide.
Et pourtant, je m’en veux de l’avoir invité chez moi car c’était apparemment une invitation à coucher. Je m’en veux de ne pas m’être débattue plus fort, de ne pas avoir dit non plus fort, de ne pas m’être levée tout simplement et lui avoir demandé de partir.
Parce que c’est vrai, je ne sais pas ce que c’est que le viol. J’ai lu beaucoup de témoignages terribles, je l’ai vu dans des films, ça ne ressemblait pas à ça.
« Souvent, face à un stress intense, nous pouvons passer par un état de sidération : notre cerveau doit gérer un trop grand nombre d’informations, nous devenons incapables de réagir, de prendre des décisions… »
Ne pas se battre ne signifie pas consentir
Cet état a été remarqué lors de nombreuses agressions. Muriel Salmona, psychiatre, expliquait au Nouvel Obs que :
« Le viol crée une effraction psychique et balaie toutes les représentations mentales, toutes les certitudes, le cortex se retrouve alors en panne (nous verrons que cette panne est visible sur les IRM). Il est dans l’incapacité d’analyser la situation et d’y réagir de façon adaptée. La victime est comme pétrifiée, elle ne peut pas crier, ni parler, ni organiser de façon rationnelle sa défense. »
Ne pas se débattre ne veut donc pas dire qu’on consent… mais que le stress extrême et soudain de la situation nous paralyse.
Mon frère m’a raconté qu’une fois une fille lui plaisait et il lui plaisait aussi, mais elle avait dit non, pourtant tremblante d’excitation. Il m’a expliqué : « Elle a dit non donc je me suis tout de suite arrêté : ça suffisait ».
Donc ce qui m’est arrivé, c’était un viol ? Ce matin-là, j’ai éclaté en sanglots en pensant à la douleur et la honte. Léon avait osé me dire qu’il me ferait des clins d’œil en réunion. Écœurant.
Aujourd’hui, je ne vais pas porter plainte. J’aimerais, mais j’ai trop peur des éventuelles répercussions dans l’entreprise. Lui est directeur, et la boîte est un milieu tellement codé et sujet aux ragots…
Je ne veux pas, en plus du viol, qu’il puisse gâcher ma carrière. Je lui ai simplement demandé de ne plus me reparler de cette soirée.
C’est donc son quotidien qui est bouleversé, et porter plainte peut faire peur, faire craindre des représailles… Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes explique que « 11% des victimes seulement portent plainte, et 13% déposent une main courante. »
Presque 90% des violeurs ne sont donc pas poursuivis suite au crime qu’ils ont commis.
Domenico, juriste, nous a expliqué que si quand on pense a un viol, on pense tout de suite à de la violence physique, c’est loin d’être le seul cas.
La violence peut aussi prendre la forme d’une conduite capable de gagner la résistance grâce à sa vitesse, l’effet de surprise, ou avec l’usage de mots capables de perturber la victime – c’est d’ailleurs souvent cette absence de contrainte physique complète qui nourrit la culpabilité des victimes, qui se disent qu’elles étaient physiquement capables d’arrêter ce qu’il se passait.
C’est ce que confirme Clarisse, également juriste, se référant à l’article 222-23 du Code pénal :
« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.
Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle. »
Elle précise que l’article 222-22 dispose que le flirt qu’il y a pu avoir entre la victime et son agresseur, tout comme n’importe quel type de relation, ne doit avoir aucune incidence :
« Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu’ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage. »
Domenico explique ainsi qu’on peut dire qu’il y a un crime sexuel si la conduite de l’agent est concrètement capable de compromettre la liberté d’auto-détermination du sujet passif — sa liberté à consentir ou non.
Les difficultés les plus grandes apparaissent quand on doit démontrer des preuves.
C’est difficile pour la victime qui a peur d’être jugée par sa communauté, sa famille, ses amis, qui a peur de perdre sa crédibilité dans la société ou son travail. Mais si la victime trouve la force de dénoncer l’agresseur, il y a une bonne possibilité d’obtenir justice.
Dans le cas d’un « viol sans violence », des psychologues devront déclarer, après un examen de la victime, si on peut parler de contrainte et donc de responsabilité pénale ou pas.
On entend de plus en plus parler de harcèlement sexuel et de viols au travail.
Le harcèlement sexuel au travail est réglementé à l’échelle européenne avec la directive CEE n. 73/2002 que tous les États de l’Union doivent respecter.
La responsabilité de l’entreprise est donc engagée. Dans ce texte on peut lire que le harcèlement sexuel est :
« la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. »
Elle peut ainsi inclure le jeu de domination dont la madmoiZelle qui a témoigné fait état, celui qu’elle a de son côté clarifié avec ses trois textos sérieux, après lesquels son collègue a continué d’insister. Les pressions sexuelles sont généralement liées à des menaces concernant la vie professionnelle ; la victime accepte par peur de perdre son boulot ou d’être discriminée.
Cependant le refus sexuel ne peut jamais être la cause d’une dégradation de sa situation professionnelle, et la victime doit dénoncer le fait au supérieur et aux autorités.
Bien sûr, retourner travailler dans la même entreprise peut par contre être difficile, ce qui fait que beaucoup de victimes préfèrent quitter leur travail et obtenir une indemnisation par le tribunal. Mais porter plainte contre son collègue peut avoir des conséquences également professionnelles contre ce dernier.
Elles peuvent trouver de l’aide auprès d’associations qui aident les victimes de viol, comme un fonctionnaire de police l’expliquait à Sophie Riche :
« Là-bas, les gens les écouteront, leur donneront des conseils, feront en sorte que les victimes se reconstruisent et pourront même accompagner la personne qui ne veut pas aller porter plainte seule. Ex : SOS Viol, SOS Femmes Accueil, ou encore le Collectif Féministe contre le viol. »
Dire non appelle un arrêt immédiat
Cet évènement m’a fait prendre conscience d’un autre viol.
Une fois où j’avais dit non, que ce n’était pas une bonne idée, puis comme il insistait je m’étais résolue, juste une fois, puis j’avais couché avec enthousiasme… en rentrant chez moi, j’avais pleuré toutes les larmes de mon corps, sans vraiment comprendre pourquoi je me sentais si nulle et sale.
Le mot « viol » ne m’avait pas effleuré l’esprit. Je crois que le viol est une chose vicieuse.
Il est important de se rendre compte que dire simplement non, même faiblement, même en souriant, ça doit lever l’alerte. Ça doit l’arrêter, ça doit lui faire se poser la question « Est-ce qu’elle le veut vraiment ? ».
Car en fait, j’avais dit non faiblement et me suis dit que parce que je n’ai pas été plus forte, j’avais été consentante. Mais non, je ne le voulais pas, c’est tout, et je suis en colère aujourd’hui.
Le témoignage de cette madmoiZelle est d’utilité publique, tout comme le film Comme si de rien n’était, qui aborde les phénomènes de sidération et de déni, et qui sort le 3 avril en salles.
À lire aussi : Mon viol, et le policier qui a tout aggravé
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
J'ai donc du mal à comprendre vos messages du type « C'est trop nul on ne peut pas débattre », car je pense avoir clairement expliqué que ce n'était tout simplement pas le lieu. Ce n'est pas un rédactrice qui a écrit ce témoignage mais une lectrice. Elle n'a pas l'habitude, comme nous, d'encaisser des commentaires virulents et notre devoir est de la protéger (surtout sur un sujet aussi sensible).
Pourquoi vous obstinez-vous à vouloir en discuter ici (en sachant que ça peut blesser la madmoiZelle concernée) alors qu'un topic sur le même sujet existe déjà et qu'il permet justement le débat ?
Ce topic restera verrouillé, considérons que ce sujet est clos. Merci de votre compréhension.