C’est une décision de justice qui a déclenché la colère et l’indignation des féministes au Chili. Le 28 décembre 2022, la justice a annoncé l’annulation de la condamnation à 20 ans de prison de Martin Pradenas pour plusieurs viols et agressions sexuelles qui concernent cinq victimes, âgées de 13 à 21 ans au moment des faits. La Cour suprême, plus haute instance judiciaire du pays, a accepté le recours en annulation et a pointé « un manque d’impartialité de la part d’un des juges ». L’un d’eux, Leonel Torres, a en effet commenté l’affaire sur sa chaîne Youtube pendant le procès en cours, qualifiant l’accusé de violeur.
Un nouveau procès doit donc avoir lieu. D’ici là, Martin Pradenas restera en détention provisoire.
Le suicide d’Antonia Barra
L’affaire débute en 2019, à travers l’histoire de l’une des victimes de Martin Pradenas. Le 18 septembre, une jeune femme de 21 ans, Antonia Barra, passe quelques jours dans la ville de Pucón avec son amie Consuelo. Elle fait la rencontre de Martin Pradenas, alors âgé de 28 ans, lors d’une fête. Les caméras proches du lieu ont montré qu’il l’a longuement harcelée avant de parvenir à quitter le lieu avec elle, visiblement en état d’ébriété. Les images ont depuis été rendues publiques dans les médias chiliens. Le lendemain, Antonia Barra a envoyé un message à Consuelo, affirmant qu’elle a été violée par Martin Pradenas.
Ce n’est qu’un mois plus tard que la jeune femme, confrontée par son ex-petit ami, a été forcée de parler du viol qu’elle a subi. Au lieu de la soutenir, il a non seulement insulté la jeune femme, mais a aussi enregistré leur échange téléphonique à son insu, et l’a transmis à d’autres personnes, dont Martin Pradenas, qui aurait alors menacé Antonia Barra. Quelques jours plus tard, la jeune femme s’est suicidée.
Justicia para Antonia : une mobilisation pour obtenir justice
C’est grâce à la famille d’Antonia Barra que l’affaire a été médiatisée dans les mois qui ont suivi. En ayant connaissance de l’enregistrement de son ex-petit ami dans lequel elle raconte avoir été violée par Martin Pradenas, Alejandro Barra, son père, a convoqué la presse pour faire connaître les raisons du suicide de sa fille et réclamer justice. « Aujourd’hui je pense à combien de filles sont comme ma fille, qui, par honte d’être exposées, d’être visées, ne dénoncent pas », déclarait-il en 2020. « Il faut applaudir une fille pour avoir osé dénoncer un criminel ! Voilà ce que je veux […] Je dis aux filles : si quelque chose comme ça vous arrive, dites-le. Ne pensez pas qu’on va vous prendre pour cible, qu’ils vont sortir sur les réseaux, parce que tout ça peut être résolu. Tout, sauf la mort. »
L’histoire d’Antonia Barra est symptomatique de l’opprobre jeté sur les victimes de violences sexuelles, y compris de la part de leurs proches.
En juillet 2020, Martin Pradenas a d’abord été assigné à résidence en attendant son procès, puis a finalement été placé en détention préventive au centre pénitentiaire de Llancahue de Valdivia. En février 2021, les enquêteurs ont obtenu un délai supplémentaire pour poursuivre leurs investigations. La découverte d’un ordinateur contenant plusieurs milliers de photos pornographiques que Martin Pradenas avait supprimées a en effet changé la donne. La mère de Martin Pradenas a en outre avoué avoir détruit l’ancien téléphone de son fils afin de faire disparaître des messages compromettants.
Sous le pseudonyme d’« Andrea », Martin Pradenas avait aussi réussi à intégrer un groupe Whatsapp rassemblant des personnes soutenant la famille d’Antonia Barra et menant des actions pour réclamer justice. Cela lui a permis de connaître l’avancement de l’affaire.
Un autre événement a rendu l’histoire d’Antonia Barra d’autant plus symbolique des injustices et des préjugés que subissent les victimes de violences sexuelles. Un mois après le suicide de la jeune femme, le collectif Las Tesis s’est fait connaître avec la performance Un violador en tu camino (« Un violeur sur ton chemin ») d’abord devant un commissariat de Valparaiso. Une chanson devenue connue dans le monde entier comme un symbole des luttes féministes.
Une décision incompréhensible pour les victimes et leurs proches
Le 6 août 2022, le tribunal de Temuco a rendu son verdict et condamné Martin Pradenas à 20 ans de prison pour plusieurs viols et agressions sexuelles. Le parquet avait requis 41 ans de détention.
Plus de deux ans plus tard, l’annulation de cette condamnation est accueillie avec beaucoup de colère et d’incompréhension. Des rassemblements devant la Cour suprême se sont tenus dès le lendemain du verdict. Membre de la direction nationale de la Red Chilena contra la Violencia Hacia las Mujeres, Lorena Astudillo dénonce une décision qui ne remet pas en question les preuves apportées par l’accusation, mais va tout de même contraindre les victimes et leurs proches à revivre un nouveau procès aussi éprouvant :
« Nous comprenons que la Cour suprême doit contrôler et veiller à l’impartialité des juges, mais elle doit aussi rendre la justice. »
Pour Alejandro Barra, la décision drastique prononcée par la Cour suprême est une preuve qu’elle se préoccupe davantage de ce que peut dire un juge que du sort des victimes : elle « oublie tout le déséquilibre que la loi produit chez les victimes, chez les témoins ».
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Crédit photo : Red Chilena contra la Violencia hacia las Mujeres (Twitter)
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Les Commentaires
Maintenant courage aux victimes et au proches qui font devoir subir un autre procès.