Le 18 janvier 2019
En septembre 2018, madmoiZelle faisait le point sur la clause de conscience, potentielle entrave à l’accès à l’IVG (lire ci-dessous).
Ce tweet du médecin et auteur Martin Winckler m’a fait comprendre que le sujet est toujours d’actualité, je repartage donc cet article !
Le 13 septembre 2018
La clause de conscience est au cœur de l’actu depuis que le Président du Syndicat des gynécologues et obstétriciens de France a expliqué y avoir recours au micro de Valentine Oberti, pour l’émission Quotidien.
À lire aussi : Le représentant des gynécologues est anti-IVG. En France. En 2018.
Faisons le point sur cette disposition de la loi et le débat qui l’entoure.
La clause de conscience, qu’est-ce que c’est ?
Cette disposition légale permet à un médecin de refuser de pratiquer un acte médical allant à l’encontre de ses convictions personnelles ou professionnelles, tant que la santé ou la vie de la patiente n’est pas en danger.
Elle s’accompagne de l’obligation de référer immédiatement le ou la patiente à un médecin pouvant pratiquer l’acte médical en question.
Elle est présente dans le Code de la Santé Publique à la fois dans les dispositions générales et dans les textes concernant précisément l’avortement.
La suppression de cette « double » clause de conscience dans le cas de l’avortement avait été recommandée par le Haut Conseil à l’Égalité dès 2013.
Puisqu’elle est déjà assurée par les dispositions d’ordre général, le second texte la garantissant dans le cadre de l’IVG est inutile et ne fait que renforcer l’idée qu’il s’agit d’un acte médical « à part ».
D’où vient la clause de conscience ?
Aujourd’hui débattue, elle a été instituée à l’origine dans la loi par soucis de compromis.
On trouve ainsi des traces de sa légitimation dans les débats de l’époque par les différents camps qui défendaient l’accès à l’IVG.
Comme l’explique Tatiana Gründler, dans son article La clause de conscience en matière d’IVG, un antidote contre la trahison ?, « la clause de conscience apparaît donc comme l’une des voies de réalisation du compromis recherché entre « les forces “conservatrices” et les forces “novatrices” » ».
Cela n’a pas été sans conséquences, puisque dans les premières années de l’application de la loi, nombreux étaient les médecins à l’invoquer, mais cela a néanmoins permis l’adoption de la loi.
On peut faire le parallèle avec d’autres dispositions incluses dans le texte d’origine et progressivement abandonnées depuis telles que le délai de réflexion d’une semaine qui n’est plus une obligation depuis 2015 ou encore la mention de la « situation de détresse » abrogée par la loi sur l’égalité réelle de 2014.
C’était des concessions nécessaires à l’époque, mais que l’on a progressivement abandonnées à mesure que la société s’appropriait et acceptait la légalisation de l’IVG (même si chacune de ces modifications n’a pas été obtenue sans difficultés).
Pourquoi la clause de conscience est-elle au centre du débat aujourd’hui ?
Si on reparle de la clause de conscience aujourd’hui, c’est à cause des propos polémiques du Docteur Bertrand de Rochambeau, par ailleurs Président du Syndicat des Gynécologues Obstétriciens de France.
Il a en effet eu l’échange suivant avec Valentine Oberti, journaliste pour Quotidien :
« – Nous ne sommes pas là pour retirer des vies. – Quand vous dites retirer une vie, un enfant à naître n’est pas une vie au sens juridique. Ce n’est pas un homicide de faire une IVG. – Si, madame. »
Il affirmait, face caméra, ne « plus »
pratiquer l’IVG, qu’il affirme en désaccord avec sa conscience.
Ces mots, associés à sa position de représentant, ont suscité de nombreuses indignations, de la part d’autres syndicats, du Conseil de l’Ordre des médecins, de la ministre de la santé Agnès Buzyn et de celle en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa…
La clause de conscience, un frein à l’accès à l’IVG en France ?
Il faut noter en effet que l’invocation de la clause de conscience, jusque-là peu débattue en France, a refait surface dans les médias et dans les esprits cet été, suite à la situation rencontrée à l’hôpital du Bailleul, en Sarthe.
Sur quatre médecins, un seul accepte de pratiquer des IVG, rendant impossible l’accès à ces soins essentiels.
Les patientes sont dès lors renvoyées vers un autre hôpital, au Mans ou à Angers.
Comme le réaffirme Véronique Séhier, Présidente du Planning Familial citée par France Info :
« On voit bien dans un cas comme celui-ci que cela pose problème : cela crée une inégalité d’accès aux soins, alors que la loi dit que toutes les femmes y ont droit. »
Celles qui n’ont pas le permis, peu de moyens financiers leur permettant de se déplacer, ou qui sont mineures et ne souhaitaient pas en parler à leurs parents sont effectivement d’office mises en difficulté.
On apprenait en outre dans le reportage de Valentine Oberti que d’autres hôpitaux étaient concernés en France. C’est aussi le cas à Fougères en Bretagne, à Montaigu en Vendée, à Olonne sur Mer où cet été le seul qui acceptait de pratiquer l’IVG était en vacances.
« Gynécologue, je ne veux pas être associée à de tels propos »
Faut-il remettre en cause cette clause de conscience ?Le Dr Laura Berlingo, elle-même gynéco, a accepté de nous livrer son point de vue sur la question.
« Je suis profondément choquée par les propos du Dr de Rochambeau. Au delà de la clause de conscience, il me semble déceler dans son discours une réelle propagande anti-IVG, qui ferait passer les femmes et les soignants impliqués dans les IVG pour des meurtriers.
Que cette parole vienne d’un gynécologue-obstétricien président d’un syndicat me semble d’autant plus grave. Il ne peut pas parler qu’en son nom, il a une responsabilité dans la représentation de notre profession dans l’espace public. Je refuse (et je suis loin d’être la seule) d’être associée à ce genre de propos régressifs et dangereux. »
Jusqu’à récemment, Laura Berlingo considérait la clause de conscience comme quelque chose « d’anecdotique » :
« Pour situer ma pratique : je suis jeune gynécologue obstétricienne, je finis tout juste l’internat, j’ai toujours pratiqué des IVG, depuis mon premier semestre, essentiellement dans des hôpitaux universitaires parisiens.
J’ai eu parfois quelques co-internes refusant de pratiquer l’IVG, pour des raisons essentiellement religieuses. Cela n’avait pas d’impact sur l’accès aux soins des femmes, on le faisait à leur place tout simplement.
Je pensais qu’au fond c’était bien que des médecins heurtés dans leurs convictions propres par l’IVG ne la pratique pas. Pour eux d’une part (au nom de leur liberté), mais aussi et surtout pour les patientes. J’avais cette intuition qu’elles seront mieux prises en charge, de manière plus empathique et dans un encadrement bienveillant, par des praticiens qui sont convaincus que les femmes sont dans leur droit de bénéficier d’une IVG, et qui les aident en la pratiquant. »
Mais depuis les propos de Bertrand de Rochambeau, le Dr Laura Berlingo se pose la question de la légitimité de cette clause de conscience :
« Comme l’a rappelé le communiqué de l’ordre des médecins : « la clause de conscience ne saurait être un moyen de se soustraire à la loi et aux dispositions de la déontologie médicale, qui sont parfaitement claires. »
Or, la loi c’est : toute femme peut demander une IVG.
Et la déontologie : le médecin peut invoquer la clause de conscience, mais si « il se dégage de sa mission » il doit prévenir la patiente et l’adresser immédiatement à un confrère qui pratique l’IVG. »
De là, Laura Berlingo a tiré plusieurs réflexions :
« Le médecin n’a pas à porter un jugement moral sur la décision de la patiente (comme en dehors de l’IVG, un médecin n’a pas à porter de jugement moral quel qu’il soit à propos des patients qu’il soigne).
On parle de « se dégager de sa mission », c’est important et cela doit soulever des questions. Peut-on vraiment se dégager de sa mission ? On devient gynécologue pour servir la santé des femmes. Ne faut-il pas choisir une autre spécialité si l’on n’est pas prêt à assumer une partie de ces responsabilités, quelles qu’elles soient ? Ou du moins choisir une pratique où l’on est sur que l’on ne sera pas confronté à cette demande ?
Si l’invocation de la clause de conscience constitue une réelle difficulté d’accès aux soins comme cela a été mis en évidence cet été, ne faut-il pas la supprimer, devant un principe de réalité tout simplement ? Quand on voit ce qui se passe en Italie où une écrasante majorité de médecins ne réalisent plus d’IVG en invoquant cette fameuse clause, et bien j’ai peur. Je ne veux pas que ça arrive en France.
Si pour préserver le droit inaliénable des femmes à disposer de leur corps il faut légiférer dans le sens d’une interdiction de la clause de conscience, alors je suis pour. »
Dans certains pays, la clause de conscience n’existe pas
La question mérite en effet d’être posée, et elle l’a déjà été à plusieurs reprise. Il existe des pays, tels que la Norvège, la Finlande et l’Islande, où il n’y a pas de clause de conscience pour l’IVG.
Des travaux de recherche mettent par ailleurs en évidence le frein que cette clause constitue pour l’accès aux soins en règle générale, ainsi que l’illégitimité des arguments utilisés pour la justifier.
Souvent, cette clause a par exemple été comparée à celle utilisée dans le cadre du service militaire…
« Par exemple, les soldats s’engagent dans un service obligatoire, ont relativement peu de pouvoir, et acceptent une punition ou un service alternatif dans le cas où ils invoquent leur clause de conscience; alors que les médecins choisissent leur profession, bénéficient d’une position de pouvoir et d’autorité, et font rarement face à des conséquences après avoir invoqué leur clause de conscience.
C’est pourquoi la clause de conscience devrait davantage être appelée « déshonorable désobéissance ». »
La situation des médecins n’est donc pas exactement comparable à celle des soldats. Le débat sur la pertinence d’une clause de conscience spécifique à l’IVG est ouvert.
Une pétition a d’ailleurs été lancée, dans la foulée des propos du Dr de Rochambeau, pour demander l’abrogation de cette disposition.
Pour autant, Marlène Schiappa a rappelé lors de sa visite en Sarthe la semaine dernière qu’une révision de la loi n’était pas du tout à l’ordre du jour.
Et toi, qu’en penses-tu ? Estimes-tu que les gynécologues n’étant pas prêt·es à réaliser des IVG devraient simplement choisir une autre profession, ou que cela doit demeurer une exception essentielle dans le droit ?
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Il faut penser sur du plus long terme en fait. L'enjeu n'est pas de convaincre les gyneco réticents que l'avortement c'est bien, l'enjeu c'est surtout d'ecremer la profession et d'écarter les gens qui s'y engagent sans accepter tout ce qu'elle implique pour qu'à terme, 100% des gynécologues en exercice pratiquent l'avortement. Et oui, il risque d'y avoir des abus d'ici à ce qu'on atteigne ce résultat parce qu'il faudra attendre que plein de gyneco anti-IVG partent à la retraite ou orientent différemment leur carrière, mais dire «on ne peut pas les forcer parce qu'ils risquent de devenir maltraitants», quelque part ça revient à légitimer ces violences. Je prends un cas extrême mais c'est comme si on disait «non, on ne peut pas punir le viol, parce que les hommes sont incapables de se controler donc ils risquent de devenir encore plus agressifs». Ok, mais ça fait passer leur confort avant celui des victimes et en attendant rien ne change. Je suis d'accord pour dire qu'idéalement il faudrait un réel accompagnement des victimes de violences obstetricales et des mécanismes de prévention des abus, mais je trouve que pour impulser un changement, il faut aussi faire évoluer les consciences et reconnaître l'hypocrisie et la dimension rétrograde de cette clause (pas uniquement dans la profession, mais à l'échelle de la société). C'est évident que le système ne se transformera pas du jour au lendemain, mais il faut bien commencer quelque part et puis c'est dommage de tuer dans l'oeuf certaines initiatives juste parce qu'elles n'auront pas d'effet immédiat.