Le 18 février 2021 est paru aux éditions Hors d’atteinte Je veux me battre partout où il y a de la vie, un ouvrage coordonné et introduit par la journaliste Florence Hervé qui présente (via des lettres, des discours, des éloges) Clara Zetkin, grande militante féministe et socialiste allemande à l’origine du 8 mars, la journée internationale des droits des femmes.
Nous en publions ici les bonnes feuilles.
Les combats de Clara Zetkin : pour les femmes, pour les prolétaires
Clara Zetkin prône l’organisation politique et syndicale des travailleuses. Elle constate que, contrairement à la journée de travail des hommes, celle des femmes ne connaît pas de limites, à l’usine et au foyer, à quoi s’ajoutent ce qu’on appellerait aujourd’hui des comportements sexistes et du harcèlement sexuel au travail. […] Elle écrit :
« Les travailleurs doivent cesser de voir avant tout dans les travailleuses des femmes susceptibles d’être courtisées selon leur jeunesse, leur beauté, leur sympathie et leur gaieté, et avec lesquelles on pourrait se permettre d’être brutal ou intrusif selon son propre niveau d’éducation. »
Elle est convaincue de la nécessité que l’organisation syndicale des femmes prenne des formes spécifiques et que des campagnes de sensibilisation soient menées auprès d’elles, en tenant compte des tâches ménagères, des obstacles et des préjugés qui leur barrent le chemin. Il est important que les ouvrières puissent échanger entre elles, ne serait-ce que du fait de leurs difficultés à parler en public.
Dans une lettre écrite à Heleen Ankersmit en 1913, elle souligne les spécificités psychologiques et culturelles des femmes, insistant sur la nécessité d’employer des méthodes différentes pour les organiser : le mouvement féministe socialiste a besoin d’une certaine autonomie et d’une liberté d’action, qu’il faudra arracher aux camarades hommes si nécessaire.
Clara Zetkin, le dos droit et la tête haute face au sexisme de son propre camp
Sans grande surprise, la misogynie et l’hostilité envers Zetkin et les autres militantes sont constantes, y compris au sein du parti qu’elles représentent. En 1898, le député social-démocrate Ignaz Auer commente avec ces mots un discours tenu par Clara Zetkin lors d’un congrès du parti : « C’est ça, le sexe opprimé ! Qu’est-ce que ce sera quand il sera libre et égal en droits ? » […]
Une anecdote raconte qu’en 1907, à Bebel et Kautsky qui demandaient en plaisantant à Clara Zetkin et Rosa Luxemburg ce qu’il faudrait inscrire sur leurs tombes, Rosa Luxemburg aurait répondu :
« Pourquoi pas tout simplement : ci-gisent les deux seuls hommes de la social-démocratie ? »
Divorce, prostitution, IVG… que pensait Clara Zetkin ?
[Clara Zetkin] prône le droit au divorce par consentement, de même que le partage des tâches ménagères et de l’éducation des enfants, au-delà du fait social. Ces opinions sont très controversées au sein du mouvement ouvrier et de celui des femmes bourgeoises. D’autant que Clara Zetkin aborde la prostitution avec la même modernité : dans une lettre à Alexandra Kollontaï écrite en 1914, elle refuse de la lier à la question des mères célibataires et insiste sur l’importance d’aider matériellement ces dernières pour éviter qu’elles se prostituent. Elle souhaite de surcroît libérer les prostituées de l’ignominie sociale et les réhabiliter. […]
Quant à l’avortement, elle se prononce en faveur de la suppression de l’article 218 du code pénal du Reich datant de 1871 concernant son interdiction qui, selon elle, entraîne la misère et la pauvreté, ainsi que de grands dangers entraînant parfois jusqu’à la mort des femmes, en particulier des ouvrières. […]
Pour une parentalité et une éducation égalitaires !
Ses réflexions au sujet de la réforme scolaire sont révolutionnaires pour son époque. Elle plaide pour une école mixte et laïque, la gratuité des cantines scolaires, l’éducation sexuelle et le développement des activités artistiques ; pour une école unifiée, sans différences régionales, de la maternelle à l’université, accessible à tous les enfants, quelle que soit leur origine sociale. Elle revendique un enseignement et une éducation communs pour les garçons et les filles, la participation égale des femmes et des hommes à l’enseignement et à l’administration scolaire – pour une même rémunération – ainsi que la facilitation de l’accès des femmes aux postes supérieurs. Selon elle, l’enseignement doit s’appuyer sur des bases scientifiques, mais aussi s’orienter vers la pratique afin d’initier à un métier. Par ailleurs, les méthodes autoritaires et les châtiments corporels sont à bannir.
Zetkin préconise que l’éducation « ne soit plus seulement l’œuvre de la mère, mais l’œuvre commune du père et de la mère ». Ceux-ci doivent avertir leurs enfants contre les préjugés selon lesquels il existerait des travaux indignes des hommes, mais qui conviendraient aux femmes. Garçons et filles doivent pouvoir accomplir toutes les tâches ménagères avec la même habileté et le même plaisir. […]
Femmes socialistes, femmes bourgeoises, femmes suffragettes
La majorité du mouvement féministe bourgeois revendique alors un droit de vote limité à certaines catégories sociales : dans plusieurs Länder, les femmes propriétaires fonciers, même célibataires, peuvent d’ailleurs déjà voter. Clara Zetkin est opposée à ce « droit de vote pour les dames » et réclame un suffrage direct et universel pour l’ensemble des femmes, quelle que soit leur condition sociale.
Lors de la première Conférence internationale des femmes socialistes, elle propose la résolution suivante : « Les partis socialistes de tous les pays ont le devoir de lutter énergiquement pour l’instauration du suffrage universel pour les femmes » ; et elle précise : « La reconnaissance du droit de vote est la condition préalable à la participation des femmes à la lutte de classe prolétarienne. »
Elle y voit un outil de lutte et de formation politique des travailleuses, une condition nécessaire mais non suffisante de l’émancipation des femmes, car il ne supprime pas l’exploitation économique. Elle ajoute que « les militantes féministes se contentent d’une réforme du système bourgeois en faveur du sexe féminin. Les militantes socialistes […] veulent changer le régime social actuel. » Elle déclare pourtant aussi que les socialistes ne repousseraient pas les féministes bourgeoises si celles-ci les accompagnaient dans leur combat pour un suffrage féminin universel, afin de « frapper ensemble tout en marchant séparément ».
Et Clara Zetkin initia la journée internationale (des droits) des femmes
Inspirées par les manifestations d’ouvrières aux États-Unis en 1908 et 1909, et malgré une forte opposition du Parti social-démocrate allemand, [Clara Zetkin et Käte Duncker] conviennent que les socialistes de tous les pays, en accord avec les syndicats, organiseront annuellement une Journée internationale des femmes, consacrée en premier lieu à la lutte pour le droit de vote féminin.
[…] En 1921, lors d’une conférence internationale à Moscou, la Journée internationale des femmes est finalement fixée le 8 mars, en souvenir de la grève des ouvrières du textile à Petrograd le 8 mars 191740.
La vie difficile de la courageuse Clara Zetkin
Ses deux fils sont mobilisés; son mari s’engage dans la Croix rouge militaire en 1914. Clara Zetkin vit alors en semi-clandestinité. Elle est espionnée et menacée de mort, son domicile est perquisitionné, ses trois chiens, empoisonnés. En 1915, la Conférence internationale des femmes socialistes de Berne, illégale, adopte un manifeste contre la guerre, qui sera diffusé clandestinement dans tous les pays européens. Zetkin s’occupe de la distribution en Allemagne de 300 000 tracts, ce qui lui vaudra une perquisition et une peine de prison de quelques mois pour tentative de haute trahison […]
Elle termine ses jours dans une maison de repos, depuis laquelle elle s’adresse encore aux femmes à l’occasion du 8 mars, puis lance un appel dans le cadre de la Semaine d’aide du Secours rouge : « Soutenez la lutte courageuse des travailleurs allemands contre le fascisme hitlérien. »
Clara Zetkin, dressée contre le fascisme
Lors d’une conférence de comités d’entreprise en Rhénanie-Westphalie, elle explique aux travailleurs que leurs modestes acquis sociaux, mais aussi leur vie elle-même, sont menacés par les nationaux-socialistes. « Le combat contre le fascisme relève de l’autodéfense », déclare-t-elle en les appelant à s’unir dans ce combat.
Le discours sur le fascisme qu’elle prononce en 1923 devant le comité exécutif de l’Internationale communiste est particulièrement original. Elle constate un manque de discernement concernant ce courant, dont l’Internationale n’aurait démontré jusque-là que la terreur violente. Selon elle, il ne suffit pas d’affronter les fascistes dans la rue ni de les « frapper », comme le recommande le slogan des années 1930 : il faut abattre le fascisme politiquement et idéologiquement. […]
Zetkin prononce son discours devant des tribunes remplies de « membres de la fraction nationale-socialiste, tous en grands uniformes des sections d’assaut – chemise brune avec brassard portant la croix gammée, culotte brune ou noire ». Une fois de plus, elle met en garde contre le danger national-socialiste et appelle à constituer « un front uni de tous les travailleurs pour repousser le fascisme » […] Son appel s’adresse tout particulièrement aux femmes, « qui portent encore les chaînes de l’esclavage de leur sexe », en les avertissant de leur dégradation en tant que « machine à enfanter » sous le fascisme. […]
Les mots de Clara Zatkin en faveur du travail des femmes
Pour la libération des femmes ! La question des travailleuses et des femmes aujourd’hui
Discours tenu lors du Congrès de fondation de la IIe Internationale à Paris (14-20 juillet 1889)
Jadis, le salaire de l’homme, ajouté à l’activité productrice de la femme au foyer, suffisait à assurer l’existence de la famille ; maintenant, il suffit à peine à faire vivre un travailleur célibataire. Le travailleur marié est dès lors contraint de compter sur le travail salarié de sa femme.
Cet état de choses a libéré les femmes de la dépendance économique vis-à-vis des hommes. Les femmes travaillant dans l’industrie ne pouvaient plus, dans la famille, constituer un simple appendice économique de leur mari ; force économique indépendante de l’homme, elles ont appris à se suffire. Or, si les femmes ne sont plus dépendantes des hommes sur le plan économique, il n’y a aucune raison pour qu’elles le restent sur le plan social. Toutefois, pour le moment, cette indépendance profite moins aux femmes qu’au capitaliste.
Parce qu’il détenait le monopole des moyens de production, celui-ci s’est emparé de ce nouveau facteur économique et l’a utilisé à son avantage exclusif. Libérées de leur dépendance économique vis-à-vis des hommes, les femmes sont passées sous la domination économique du capitaliste. D’esclave de leur mari, elles sont devenues esclave de leur employeur. Elles n’ont fait que changer de maître. Elles ont toutefois gagné au change : sur le plan économique, elles ne sont plus des êtres inférieurs subordonnés à un mari, mais son égale. […]
Le droit de vote sans liberté économique n’est ni plus ni moins qu’un chèque sans provision. Si l’émancipation sociale dépendait des droits politiques, la question sociale n’existerait pas dans les pays où le suffrage universel a été instauré. L’émancipation des femmes comme celle de tout le genre humain ne deviendra réalité que le jour où le travail s’émancipera du capital. Ce n’est que dans la société socialiste que les femmes comme les travailleurs accéderont à la pleine possession de leurs droits. […] Sans l’aide des hommes et, il faut bien le dire, souvent même contre leur volonté, les femmes ont rejoint le camp socialiste. Dans certains cas, elles y ont même été irrésistiblement poussées, par la force d’une compréhension lucide de la situation économique.
Mais elles sont maintenant dans ce camp et elles y resteront !
L’étudiant et la femme : Ni uniquement une femme, ni uniquement un être humain
Texte de 1899
Les universitaires avancent toutes sortes de raisons intellectuelles et soi-disant scientifiques contre la libre formation professionnelle et l’emploi des femmes. Mais la raison qui domine est très matérielle : la peur de la concurrence. […]
Ceux qui sont assis dans des maisons de verre ne devraient pas jeter de pierres ! Le nombre d’hommes qui sont devenus des éclaireurs, des pionniers, des forgeurs de valeurs nouvelles dans les sciences et les arts n’est-il pas dérisoire ? Des centaines de milliers d’entre eux, qui avaient accès à toute la culture de leur temps, sont restés des travailleurs de force qui s’activaient là où les rois bâtissaient. Comparez ces centaines de milliers avec le nombre infime de génies créateurs, et la « preuve historique » se retourne contre la capacité intellectuelle supérieure du sexe masculin. […]
On ne pourra tirer une conclusion historique sur la capacité intellectuelle des femmes que quand les possibilités d’éducation seront illimitées pour l’ensemble du sexe féminin et non réservées à quelques « filles de bonne famille » ; quand, dans le monde des femmes, chaque talent pourra s’épanouir librement, d’une façon qui soit propre aux femmes et qui ne se borne pas à imi- ter la façon de (mal) faire des hommes.
[…] Si l’activité professionnelle ouvre le monde aux femmes, elle rend aux hommes leur foyer. Car si les femmes travaillent aux côtés des hommes dans tous les domaines de l’activité humaine, les hommes gagnent du temps et de la force pour travailler aux côtés des femmes à la construction du foyer et à l’éducation des enfants. […]
Les mots de Clara Zetkin contre la guerre et les violences racistes
Femmes du peuple travailleur !
Discours tenu lors de la Conférence internationale des femmes socialistes, Berne, mars 1915
Femmes prolétaires !
On vous a dit que vos maris et vos fils étaient partis pour vous protéger vous, faibles femmes, vos enfants, vos maisons et votre foyer.
Qu’en est-il en réalité ? Sur les épaules des faibles femmes a été entassé un double fardeau. Vous êtes livrées sans protection à l’angoisse et à la misère. Vos enfants ont faim et froid, on vous menace de vous prendre le toit qui se trouve au-dessus de votre tête, votre foyer est froid et vide. […]
Femmes de travailleurs, travailleuses !
Les hommes des pays qui mènent la guerre ont été contraints au silence. La guerre a altéré leur conscience, paralysé leur volonté, déformé tout leur être.
Mais vous, femmes qui, en plus de l’angoisse lancinante que vous ressentez pour ceux que vous aimez au champ de bataille, endurez votre détresse et votre misère, qu’attendez-vous pour clamer votre désir de paix, votre rejet de la guerre ?
Quelle peur vous retient? Jusque-là, vous avez encaissé pour ceux que vous aimez, il s’agit désormais d’œuvrer pour vos maris, pour vos fils.
Assez de crimes !
[…] L’humanité entière vous regarde, vous, prolétaires des pays qui mènent la guerre. Vous devez devenir des héroïnes, des libératrices !
Unissez-vous dans une même volonté, une même action !
Sauvez les garçons de Scottsboro !
Appel publié dans le journal MOPR, Zeitschrift für Kampf und Arbeit der Internationalen roten Hilfe, avril 1932
Camarades du MOPR, amis du MOPR et vous tous dont la conscience parle encore, dont le cœur bat encore avec humanité, unissez-vous pour empêcher un crime judiciaire inimaginable et particulièrement horrible qui, sans une action rapide et décisive de votre part, entrera dans l’histoire des crimes judiciaires des États-Unis, déjà pleine d’abominations et d’atrocités ! […]
Dans l’État d’Alabama, sur neuf jeunes Noirs à peine sortis de l’enfance – le plus âgé a 20 ans à peine – l’un a été condamné « seulement » à la prison à vie, les huit autres, à la peine de mort. Il est pourtant manifeste qu’ils n’ont pas commis le crime dont ils sont accusés – le viol de deux prostituées blanches.
Cette accusation est un mensonge délibéré, concocté à des fins sinistres par des propriétaires terriens et des industriels. Ils veulent brûler vifs ces garçons noirs afin de terroriser les masses laborieuses de Noirs qui se rebellent contre l’exploitation dont ils sont victimes et qui sont en train de former un front uni avec leurs frères et sœurs blancs contre la faim, les guerres impérialistes et les horreurs sanglantes des Blancs.
[…] Vous tous dont la conscience parle encore, dont le cœur bat encore avec humanité! Portons secours aux huit jeunes que le bourreau traînera sur la chaise électrique et dont la seule faute est d’être nés avec une peau noire ! Parlez, agissez !
Clara Zetkin vue par Louis Aragon
Extraits de Les Cloches de Bâle, 1934
L’auteur de ce livre a vu […] Clara Zetkin presque mourante. Alors encore, à Moscou, épuisée par la maladie et l’âge, décharnée et ne retrouvant plus son souffle au bout de phrases qui semblaient chacune venir comme une flèche du passé vivant qu’elle incarnait, alors encore elle avait ces yeux démesurés et magnifiques, les yeux de toute l’Allemagne ouvrière, bleus et mobiles, comme des eaux profondes traversées par des courants. Cela tenait des mers phosphorescentes, et de l’aïeul légendaire, du vieux Rhin allemand…
Elle est la femme de demain, ou mieux, osons le dire : elle est la femme d’aujourd’hui. L’égale.
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