— Publié le 27 mars 2016
Mon père est né à Hong Kong, ancienne colonie britannique, et ma mère est née en Chine. De ce que je sais, mon père est parti de chez lui à l’âge de dix-huit ans pour parcourir le monde.
Il avait une attirance particulière pour Paris et a fait quelques jobs là-bas. Puis il est parti en Chine pour des vacances, y a rencontré ma maman et en est tombé amoureux…
Il voulait que ma mère le rejoigne en France, mais c’était compliqué pour qu’elle obtienne un visa.
Du coup, ils se sont rabattus en Grèce : c’était plus facile et une tante y était déjà. C’est donc là-bas que je suis née.
Je n’ai pas la nationalité grecque car mon père a sans doute choisi que je garde la nationalité britannique hors UE (pour des facilités de voyage je pense, car quand je vois la liste des pays que cette nationalité permet de visiter sans visa, je dois dire que je suis contente !).
Ils ont finalement réussi à s’installer en France quand j’avais deux ans, et j’ai grandi en banlieue parisienne, dans la deuxième plus grosse communauté d’asiatiques de France.
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Citoyenne du monde : je ne suis pas française
J’avais beaucoup de voisins asiatiques, et plein de copains de différentes couleurs à l’école.
Quand j’étais petite, je vivais dans une résidence où il y avait beaucoup de voisins asiatiques, plutôt d’origine chinoise.
À l’école, j’avais plein de copains de différentes couleurs, mais quand je rentrais à la maison, je jouais avec les enfants du voisinage. Les plus grands nous aidaient pour les devoirs, et aidaient nos parents pour les choses administratives.
Puis j’ai grandi, et étant l’aînée de la famille, c’est parfois moi qui m’occupais des courriers et des appels.
C’est en partie grâce à mon père que j’ai appris le français : il avait des livres d’apprentissage de la langue ainsi que des livres pour les formulations administratives.
Il connaît plein de choses mon papa, il se débrouille même très bien pour la lecture.
Comme il a sans doute eu peur que je sois en retard, ou peut-être parce qu’il sentait mon intérêt croissant pour les livres, il m’a appris la lecture à quatre ans.
Je me souviens qu’en troisième section de maternelle, je savais lire et écrire, et qu’en CP, je savais poser mes additions.
La majorité de mes camarades de classes n’étaient pas asiatiques, mais ils n’étaient pas vraiment français non plus.
Depuis que je suis enfant, je sais bien que je ne suis pas vraiment française à cause de la couleur de ma peau.
La majorité de mes camarades de classes n’étaient pas asiatiques, mais ils n’étaient pas vraiment français non plus. Je crois que sans le dire, nous pouvions ressentir cela, que nous n’appartenions pas totalement à la France.
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Certaines personnes faisaient la différence entre nous, personnes de couleur, et les blancs. Sans dire les choses explicitement, nous comprenions implicitement que ce n’était pas pareil.
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Citoyenne du monde : racisme et questionnement identitaire
Il y avait un ensemble de choses qui soulignait notre différence et nous faisait ressentir la distance entre les blancs et nous.
C’est arrivé dans des salles de classes. Il y a évidemment eu les moqueries de camarades bêtes et méchants comme les « chinetoque », les « tchin tchang tchong », etc.
On me demandait souvent si je mangeais du chien…
Et comme il y avait une grande communauté asiatique dans cette ville, j’avais pas mal de camarades de classe asiatiques ; pour la plupart des gens, on était frères et sœurs ou en couple.
Il y a aussi eu des remarques assez bizarres de la part de profs, en école primaire, auprès de camarades noirs. Je me souviens qu’un instit faisait une rangée d’élèves noirs et une rangée d’élèves blancs.
C’était un ensemble de choses qui soulignait notre différence et nous faisait ressentir la distance entre les blancs et nous.
Nous étions jeunes, et je crois que la question d’être Français•es ne se posait pas naturellement.
On n’arrivait pas à vraiment poser des mots sur ce qui nous arrivait, mais on sentait plus ou moins que quelque chose d’étrange se passait.
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C’est à l’âge de quinze ans que j’ai senti que je n’étais pas vraiment française.
En fait, ce sont surtout les médias qui nous ont fait comprendre que les Français de couleur ne sont pas totalement des Français : montrer une très grande majorité de gens d’une certaine couleur de peau, dans un certain contexte social, cela ne fait que perpétuer des stéréotypes.
Et dans mon cas, le fait de ne pas posséder la nationalité française en plus de tout ça m’a fait me poser un tas de question sur ma propre identité. Dans ma famille, nous avons :
- deux passeports anglais (mon père et moi)
- un passeport chinois (ma mère)
- deux passeports français (mon frère et ma sœur)
- un passeport hongkongais (mon père)
- deux titres de séjour de longue résidence et un titre de séjour temporaire (mes parents et moi).
Nous sommes cinq.
Ma grand-mère et moi.
J’ai traversé une longue crise identitaire. Le fait que je vive en France depuis très longtemps sans être de nationalité française me semblait incohérent.
J’ai traversé une longue crise identitaire. D’abord, parce que je ne me sentais ni grecque, ni anglaise. Chinoise en apparence, mais étrangement française de l’intérieur.
J’ai quasiment toujours vécu en France, c’est là que j’ai grandi… À la différence de mes frères et sœurs qui sont nés en France, c’était important pour moi d’être « quelque chose » — surtout à la période de l’adolescence puis de jeune adulte durant laquelle on se cherche.
Le fait que je vive en France depuis très longtemps sans être de nationalité française me semblait incohérent, surtout quand des amis s’en étonnaient, tellement cela leur semblait évident que je l’étais.
De plus, la communauté asiatique est une communauté assez apolitique ; globalement, c’est une communauté silencieuse. Or, moi, je ne m’y sentais pas à ma place car je suis tout son contraire.
Citoyenne du monde : se sentir française… ou occidentale
J’aime débattre, j’aime analyser les choses, j’aime rester dans le champ des concepts, des idées, de l’abstrait… On dit que ce sont des choses relativement françaises. Européennes.
Adolescente, je me sentais comme une extraterrestre dans ma communauté.
Adolescente, je me sentais comme une extraterrestre dans ma communauté, et pas forcément digne d’appartenir à l’autre communauté.
J’avais du mal à saisir pourquoi certaines personnes ne se sentaient pas concernées par cette question de l’identité.
Pis encore, pourquoi ces personnes ne se posaient pas plus de questions sur l’environnement qui les entourait ? Comme si pour elles, il était facile de suivre une voie qui leur avait été tracée d’avance.
Pour moi, cela n’a jamais semblé évident.
Ces questionnements n’ont pas conditionné mes choix d’études : je suis graphiste-illustratrice. Mais c’est un sujet qui me touche énormément.
Lors de ma dernière année de master, nous avons réalisé un mémoire sur une thématique questionnant les pratiques du design. J’avoue pour ma part avoir dévié, car je voulais travailler sur l’identité nationale, l’immigration…
Parce que ça me travaillait, parce que je trouve que depuis que Sarkozy a parlé d’identité nationale, ça a libéré la parole raciste (ou plus simplement ça a été une prise de conscience que quelque chose n’allait pas pour pas mal de gens)…
L’idée d’être citoyenne du monde a naturellement germé dans mon esprit.
Ce mémoire a été une sorte de thérapie : l’écriture était sans doute très maladroite, mais le sujet était passionnant.
Cela m’a entre autre permis de réaliser la place de l’autre, de réaliser que la richesse des choses était dans le partage.
J’étais beaucoup dans la colère auparavant, mais ce mémoire m’a permis de comprendre que ma nationalité n’avait pas d’importance car il faut voir au-delà : faire abstraction des frontières.
L’idée d’être citoyenne du monde a naturellement germé dans mon esprit.
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Citoyenne du monde
Les événements et les questionnements que j’ai traversés font de moi la personne que je suis aujourd’hui. Aurais-je été la même dans un contexte différent ?
Peut-être aurais-je simplement mis plus de temps pour être la personne que je suis aujourd’hui. Je suis ce que je suis par rapport aux choses que j’ai vécues, et non par rapport à une étiquette qu’on tente de me donner.
Désormais, je ne cherche plus à appartenir à un pays parce que je trouve l’idée peu satisfaisante, et ethnocentrique.
Je veux faire partie du monde. Ne pas être ou me sentir simplement française, mais être une femme du monde. À la question « Qui es-tu ? », je répondrai dorénavant : « Citoyenne du monde ».
Nous avons tendance à coller des étiquettes aux gens, sans le vouloir, parce que cela nous rassure. Pour moi il faut apprendre à voir au-delà, pour voir les gens pour ce qu’ils sont : des êtres humains avant tout.
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