Peu d’éléments issus de notre Histoire enflamment autant l’imagination collective que le thème des mondes perdus. Malgré tous les efforts et toutes les découvertes des archéologues et historien-ne-s, nombreuses sont nos lacunes en ce qui concerne les civilisations antiques, et c’est ainsi tout naturellement que les esprits rêveurs se sont succédés pour venir les combler.
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Vous connaissez la chanson : le temps et les poètes ont enjolivé l’Histoire, donnant ainsi naissance aux légendes, puis les légendes se sont imposées comme autant de couches qui ont fait de l’Histoire un Mythe.
C’est bien joli, mais du coup, aujourd’hui, séparer le vrai du faux dans ces mythes qui nous sont parvenus de l’Antiquité relève de l’impossible. Et si le plus facile semble être de les considérer comme des fictions à part entière… Trop de petits « détails » viennent souvent mettre le doute aux chercheurs, peut-être aussi désireux de découvrir un jour l’un de ces mondes perdus.
La tour de Babel de Babylone
En ce qui concerne Babylone, la problématique est un peu particulière : la cité antique de Mésopotamie a existé. On sait même qu’elle s’étendait le long de l’Euphrate, au sud de ce qui est aujourd’hui Bagdad, et qu’elle fut jadis une vaste capitale florissante dont la renommée a traversé les siècles depuis le IIe millénaire avant J.C. C’est d’ailleurs ce qui a fait d’elle une cité mythique.
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Au-delà du fait que les traces archéologiques sont rares et peu éloquentes, Babylone jouissait d’une grande influence politique et culturelle, notamment sous le règne de Nabuchodonosor II au VIe siècle, exerçant sur de nombreux auteurs grecs et latins une fascination qui s’est répercutée dans leurs écrits.
Reconstruction de la cité de Babylone par Austen Henry Layard
C’est donc par les plumes de ses derniers, plus que grâce aux quelques vestiges archéologiques, que l’on a pu se représenter Babylone comme cette cité grandiose aux hautes murailles et prouesses architecturales qui dominait le monde antique. Et par ces mêmes plumes que la ville antique historique a donné naissance à la cité symbolique du mythe de Babylone, celui de la chute de Babylone et de la tour de Babel.
(C’est bon, vous l’avez faite votre blague sur le Babybel ?)
Ce serait donc à partir du Moyen Age, sous l’influence des textes bibliques, que la chute de la formidable cité s’est vue associée au récit biblique de la tour de Babel. Si cette histoire de tour vous rappelle vaguement un truc, mais sans plus, petit rappel de cet épisode de la Genèse. Après le Déluge, les hommes ont repeuplé la Terre tant bien que mal, et s’arrêtent dans la vallée de Shinéar pour bâtir une tour immense afin d’atteindre les cieux.
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Forcément, Dieu le prend mal, parce que s’il avait voulu avoir des voisins, il ne se serait pas enquiquiné à déménager tout son barda si haut. Comme il avait déjà fait le coup du Déluge, il se contente alors de brouiller toute communication en instaurant la diversité des langues à la place d’une seule langue commune. Ne pouvant plus communiquer ensemble, les Hommes laissent la tour inachevée, nouveau symbole du chaos et de la dispersion.
Il n’en fallait pas beaucoup plus pour que cette histoire de malédiction se confonde avec Babylone, décrite comme la cité de l’orgueil et du péché dans l’Ancien Testament. Une nouvelle représentation peu flatteuse comparée à son prestige dans l’Antiquité, qui a peut-être quelque chose à voir avec le fait que les Mésopotamiens vénéraient des dieux devenus des démons dans la religion chrétienne.
La tour de Babel selon Ludovic Toeput (16e siècle)
La tour de Babel, des blagues, hein ? Il n’empêche que l’on cherche encore des origines concrètes à ce mythe,
et qu’un vestige de Babylone fournissent une piste : l’Etemenanki. S’il n’en reste plus que des traces, cet édifice aurait été une ziggourat, c’est-à-dire un temple constitué de plusieurs terrasses (et donc assez haut), dédié au dieu Mardouk.
Si la logique cartésienne refuse de laisser entrevoir dans les restes de cet édifice une tour qui cherche à monter jusqu’aux cieux, il n’empêche que ce sont autant de petites choses qui nourrissent encore aujourd’hui le mythe autour de la mirifique cité de Babylone.
La ville de Troie n’a pas eu lieu
À l’inverse, la ville de Troie n’a pas existé du tout. Enfin. On ne sait pas trop, quand même. C’est l’ennui avec les mythographes de l’Antiquité, ces ancêtres de l’historien : on ne sait jamais si ce qu’ils racontent s’appuie sur des faits réels qu’ils ont un peu agrémentés, ou s’ils sont partis entièrement en freestyle (comme on disait à l’époque). Dans le doute, on parle d’une cité « semi-légendaire ».
Il faut dire que ce que l’on sait de la ville de Troie provient principalement de l’Illiade d’Homère, et les récits de la guerre de Troie. Elle aurait été fondée en Asie Mineure, où se trouve la Turquie actuelle, par Ilos, arrière petit-fils de Dardanos, lui-même enfanté par Zeus. Quand on voit que la ville n’a pas arrêté d’enchaîner les malédictions divines qui ont mené à la guerre de Troie, on se demande à quoi ça sert, une parenté divine.
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Bref. Troie est au coeur de nombreux écrits, mais des écrits qui constituent la mythologie grecque. Ainsi, vous la connaissez sûrement pour l’épisode de la guerre de Troie, ce conflit légendaire dont on cherche encore des origines historiques avérées.
Chose difficile, puisque la guerre a été déclenchée à la suite du jugement du mont Ida, un épisode mythologique lors duquel trois déesses, Héra, Athéna et Aphrodite, demandent au troyen Pâris de les départager au sujet d’une dispute sur laquelle nous passerons (parce que c’est déjà assez long comme ça). Toujours est-il que Pâris choisit Aphrodite, qui lui avait promis « l’amour de la plus belle femme du monde » s’il la choisissait elle (c’est à peine biaisé).
Sauf que la plus belle femme du monde, apparemment, c’est Hélène, l’épouse du roi Ménélas de Sparte… et que ce dernier n’apprécie pas du tout la plaisanterie lorsque Pâris enlève sa femme et l’emmène à Troie. S’ensuit donc une guerre sans fin, digne d’une saison de Dallas, pendant laquelle héros, dieux et demi-dieux se manipulent et s’entretuent. Il faut savoir que selon Homère, le coup décisif du cheval de Troie qui a permis aux Grecs de pénétrer dans la cité, Ulysse n’en a eu l’idée qu’au bout de dix ans de siège.
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Il est difficile de ne pas douter de l’historicité de la guerre de Troie, mais certains historiens avancent qu’Homère a pu s’inspirer d’un conflit plus minime, et que la ville de Troie a existé. Et aujourd’hui, si rien ne le prouve à 100%, on considère que le site archéologique d’Hissarlik, situé en Turquie dans l’ancienne région de la Troade, présente les vestiges de la Troie d’Homère…
À la recherche de l’Atlantide
On ne pouvait pas décemment parler de cités légendaires sans évoquer l’Atlantide. Plus qu’une ville, il s’agit là d’une île entière qui aurait été engloutie, on ne sait pas trop quand, on ne sait pas trop comment, et on sait encore moins où. Pour autant, nombreux sont les passionné-e-s, chercheu-r-se-s ou pas, qui persistent à croire qu’elle a existé et abrité toute une civilisation.
Malheureusement, tout ça c’est encore la faute d’un Grec qui raconte des histoires à la véracité douteuse. La toute première mention de l’Atlantide provient de deux dialogues de Platon, le Timée et le Critias, dans lesquels il évoque une île immense et prospère, qui abritait tout un empire d’une civilisation plutôt avancée, et gouvernée par dix rois. Avant de raconter comment elle a fini par sombrer dans les eaux sans laisser aucune trace.
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Si dans le Timée, Platon se contente de décrire la civilisation atlante et d’expliquer ses désirs d’expansion et le danger qu’elle représentait pour Athènes jusqu’à sa destruction, c’est dans le Critias qu’il donne peut-être naissance au mythe en entrant dans les détails. Ainsi, les Atlantes descendent d’une union divine… et leur mode de vie avait fini par gonfler Zeus qui, jamais dans la démesure, les a envoyé faire coucou aux poissons.
À noter que si cette histoire nous fascine aujourd’hui, elle n’a pas transcendé grand monde durant l’Antiquité. Point de grande légende mystique pour Platon, puisqu’il racontait surtout cette histoire pour illustrer ce qui, selon lui, allait arriver à Athènes si la cité ne se reprenait pas en main. Déception.
Il faut attendre le Moyen Âge et la Renaissance pour que ce charmant détail de ses récits sur une civilisation mythique en fasse tiquer quelques-uns, et rêver beaucoup d’autres. C’est probablement depuis cette période que les interprétations sur l’Atlantide se sont succédées, donnant lieu à autant de fictions que de débats.
Platon s’appuyait-il sur des faits réels pour construire sa fiction, auquel cas la colère de Zeus pourrait s’assimiler à une catastrophe naturelle de type séisme/raz de marée ? Ou bien s’était-il tapé un délire du début à la fin en piochant dans les références mythologiques et politiques du moment ?
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Il est toujours impossible de répondre à cette question, et tandis que le débat continue à faire rage, l’Atlantide n’en finit pas d’incarner ce fantasme de la civilisation antique disparue, qui a emporté dans sa chute tous ses secrets et sa sagesse. Et loin de se contenter d’apparaître dans une multitude d’oeuvres de fiction, des équipes d’archéologues poursuivent très sérieusement leurs recherches de ce monde perdu sous les eaux.
Pas une année ne passe désormais sans que quelqu’un ne pense avoir enfin découvert l’Atlantide…
Pour aller plus loin…
« Babylone, cité biblique et mythique », sur Histoire et Civilisations « Babylone, merveilleuse et maudite », sur Religions & Histoire Theoi.com « Troy », sur Ancient History Encyclopedia
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