— Fais défiler les clichés ci-dessus pour découvrir la Cité de la Jarry !
Quand on arrive au 106 rue de la Jarry, à Vincennes, il y a de quoi être intimidé•e : non seulement le bâtiment de la Cité est très imposant, mais on se demande aussi si on a le droit d’entrer ou non. Et puis, une musique surgit à travers les carreaux cassés, sans qu’on puisse très bien déterminer d’où elle vient. Et on trouve ça poétique. Alors on entre.
Une histoire d’utopies
À bien y réfléchir, la Cité de la Jarry est empreinte de poésie depuis sa fondation, contrairement à ce que pourrait laisser penser son armature de béton et son architecture toute industrielle… Puisqu’il s’agit en réalité d’une cité utopique.
Dans les années 30, l’architecte vincennois Laroche s’attaque à ce chantier monumental, avec pour ambition de révolutionner les conditions de travail de ses futurs occupants. Sur 6 niveaux et 46 000 m² (autant te dire que je fais pâle figure avec mon 25 m² en mezzanine), il conçoit un hôtel industriel couplé à des logements ouvriers.
Une grande rampe dessert l’intégralité du bâtiment pour permettre à ses résidents d’accéder à leurs locaux en voiture. Des services (crèches, cliniques, restaurants) sont également prévus sur place. Ce projet d’un lieu de vie sain, confortable et pratique a de quoi rappeler La Cité Radieuse du Corbusier, à Marseille.
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La Cité de la Jarry, avant/après
Pendant des dizaines d’années, des entreprises très variées cohabitent dans la Jarry : biscuiterie, produits pharmaceutiques, société de radiologie… Mais peu à peu, la Cité se vide de ses occupants. À partir des années 90, le bâtiment tombe en désuétude. Quelques Patrick baux subsistent, mais la majorité des lots sont vides.
Ce n’est qu’à partir de 2004 que les artistes décident de prendre peu à peu possession des lieux. Habités eux aussi d’une véritable utopie, cette fois davantage créative qu’industrielle, ils retapent une partie des locaux et sauvent ainsi la Jarry du délabrement. Leur but ? Investir les lieux pour y installer leurs ateliers et pratiquer leur art librement, dans une véritable émulation artistique.
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Bien qu’ils ne disposent pas de bail, ils s’organisent entre eux. Ils se constituent en association, La Jarry’v Revient (JRV pour les intimes) afin de négocier des contrats d’eau et d’électricité pour les occupants du bâtiment, moyennant une cotisation financière de chacun. Ils atteignent leur objectif et, par bouche à oreille, repeuplent lentement la Cité.
Si la JRV défendait à sa création une quinzaine de personnes, elle en compte aujourd’hui environ 10 fois plus, soit la moitié des résidents de l’immeuble. Régulièrement, ces quelques 150 adhérents et sympathisants se réunissent, débattent et tâchent de gérer au mieux cette vie en communauté.
Corinne Durand, qui me fait visiter, m’explique :
« Nos détracteurs veulent faire croire que la Jarry est un squat, mais le terme n’est pas juste. C’est davantage une communauté, un lieu de vie et de création artistique. »
La communauté de la Jarry
Et au fur et à mesure qu’on se balade dans les couloirs, je ne peux que donner raison à Corinne. Devant les façades colorées et ornées de plantes, les gens discutent, se saluent. Ils se connaissent par leurs prénoms. Les voix sont enjouées. Certains sont accompagnés de leurs enfants, d’autres promènent leurs animaux de compagnie… On est très loin du cliché des salles de shoot, des bidons qui brûlent et des matelas crados sur le sol.
Oui, moi aussi j’ai vu Trainspotting. J’ai été traumatisée.
Moi qui m’attendais, de l’extérieur, à un endroit intéressant mais un peu glauque, je suis sidérée par la chaleur des contacts entre les habitants. Chacun a aussi fait un effort de déco devant chez soi, dans son propre style. D’un seul coup d’œil, j’ai l’impression de percevoir le caractère et l’univers créatif des gens qui vivent et travaillent dans les différents lots.
Corinne m’ouvre la porte de plusieurs ateliers et appartements. Je n’ai pas l’impression d’entrer dans des locaux squattés. Les endroits sont décorés avec goût, ils sont plutôt cosy : ce sont de véritables lieux de vie. Pour la plupart, une fois à l’intérieur, je ne vois pas la différence avec des appartements parisiens classiques… Si ce n’est qu’ils ont beaucoup de cachet, et qu’ils sont plutôt vastes.
Les personnes que je rencontre m’expliquent leur attachement tout particulier à la Cité : c’est parce qu’elles l’aiment qu’elles en prennent soin.
Corinne, venue visiter l’endroit il y a 10 ans, y a immédiatement emménagé. Son premier atelier est devenu son appartement, et elle s’est alloué un deuxième espace de travail pour ses sculptures, encore plus grand. Aline (créatrice de marionnettes) et Clément (décorateur de théâtre) vivent en colocation depuis 4 ans. Lucas, venu faire une enquête de sociologie pour la fac, est passé par chez eux… Et est alors devenu leur troisième colocataire, complètement amoureux du lieu.
Et je dois t’avouer que moi-même, je ne dirais pas non à un petit atelier dans ces murs.
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Portraits des occupants du bâtiment : un très joli projet photo de Chris et Nico DRELLAFOREVER, mené dans leur studio à la Cité de la Jarry.
Car ce que la plupart des occupants de la Jarry ont en commun, c’est le besoin d’espace pour pratiquer leur métier et/ou leur art. Pour bon nombre d’entre eux, les loyers parisiens exorbitants sont complètement rédhibitoires. Pourtant, la majorité des Jarriciens ne sont pas marginaux, ils participent à la société, comme le rappelait un article paru en octobre 2015 sur MediaPart :
« La liste des occupants de la Cité industrielle fait apparaître un éventail impressionnant de métiers, où les artistes de toutes disciplines côtoient des stylistes, des sociétés de design, des informaticiens, des soudeurs, des régisseurs, des techniciens du spectacle, des chauffagistes, des graphistes… et des familles […]
Complexe, diverse, la Cité industrielle est un lieu de richesse artistique et humaine, où se côtoient aussi bien des artistes de cirque tels que Laurent Chanel, des compagnies de rues comme Le Fer à coudre, la Pépinière fédérant une douzaine d’artistes et chercheurs dont la revue philosophique Nécessaire, le collectif d’artistes DING, le stylisme de Leon Rose Magma… »
Forcément, cette co-présence de nombreux artistes et artisans est propice à l’émulation ! De nombreux projets transdisciplinaires naissent sans cesse au sein de la Cité.
Et surtout, la Jarry organise également de nombreux évènements de façon régulière : expos, vide-greniers, fêtes… Tu peux te tenir au courant de toutes ces manifestations sur la page Facebook de l’association.
Une simple promenade dans les couloirs se transforme rapidement en visite d’un musée éphémère. Les œuvres de street-art qui ornent les murs sont en constant renouvellement, et la qualité est toujours au rendez-vous.
https://www.youtube.com/watch?v=v5JtFDt_p9Q
En 2011, la Jarry accueillait le festival de street-art « Sauvons la Jarry ». Ces dix minutes de vidéo te donnent déjà un bon aperçu du potentiel oufissime du lieu.
La Jarry en danger
Je ne te le cache pas, dans la vie je suis dotée d’un très fort esprit de l’escalier… Et si je découvre tout juste la Cité de la Jarry à l’heure où elle menace de fermer, je suis persuadée que ça a un lien avec ce sens du timing défectueux.
Heureusement, tout n’est pas perdu et – spoiler alert – toi aussi tu peux aider !
(Presque) moi là maintenant.
Pour te résumer le problème : les villes de Vincennes et Fontenay-Sous-Bois ont récemment racheté le terrain et le bâtiment, après quasiment 10 ans de procédures complexes. Le 22 septembre 2015, ils ont convié les occupants de la Cité à une réunion… Lors de laquelle ils les ont sommés de quitter les lieux d’ici le 31 décembre 2015, ou de faire une contre-proposition sous 15 jours. Ce qui fait court, dans les deux cas, surtout en pleine trêve hivernale.
Soyons honnêtes : la demande de la mairie est légitime, dans la mesure où les habitants de la Jarry occupent illégalement des lieux dont ils ne sont pas propriétaires, même s’ils les ont néanmoins sauvés des ravages du temps et en ont pris grand soin.
Là où le bât blesse, c’est que la plupart n’ont aucune autre solution d’hébergement pour leur famille et/ou leurs activités, car ils sont extrêmement précaires. Le collectif JRV voudrait au moins attendre le début des travaux orchestrés par les deux villes, ce qui laisserait au moins deux ans pour s’organiser.
Dans le fond, ce dont rêvent les Jarriciens, c’est d’une légalisation du squat. Les deux termes peuvent paraître incompatibles, pourtant, dans le passé, c’est déjà arrivé : Les Frigos, dans le 13ème arrondissement de Paris, ont connu ce happy end.
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Autre possibilité, celle de la transformation en un espace culturel ouvert au public, axé à la fois sur la création et l’exposition, sur le modèle de l’usine LU à Nantes (devenue Le Lieu Unique) ou des friches Belle de Mai à Marseille.
Cette réhabilitation serait plus écologique qu’une démolition, et aussi moins coûteuse (on estime à 25 millions d’euros le coût total pour transformer la Cité en un terrain nu !).
Cependant, ce n’est pas ce qu’ont prévu les mairies de Vincennes et Fontenay-sous-Bois. Tout d’abord, bien qu’il s’agisse d’un élément important du patrimoine, les bâtiments semblent en trop mauvais état pour être conservés. Le choix serait donc fait de les dynamiter pour construire un lycée à la place. Difficile de s’opposer à ce projet qui permettrait de désengorger les établissements du secteur, les Jarriciens en conviennent.
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Afin de contenter tout le monde, le célèbre architecte Jean Nouvel a envoyé dès 2010 une proposition au maire de Vincennes. Renouant avec l’utopie originelle de la Cité, il imaginait un lieu qui comprendrait à la fois lycée, ateliers d’artistes et logements sociaux. Dans sa lettre, il argumentait ainsi :
« La Cité de la Jarry est inscrite dans l’histoire de Vincennes. Elle est héritière d’un passé industriel. C’est l’un des derniers bâtiments d’une telle échelle encore disponible en région parisienne. De ce fait il est précieux et mérite une attention particulière. D’un point de vue environnemental, l’impact est bien plus positif si l’on cherche à conserver le bâtiment actuel en lui offrant une seconde vie. Ce sera un exemple admiré de tous. »
Hélas, la mairie n’a pas retenu le projet, qui lui paraît irréaliste et impossible étant donné l’état actuel des locaux.
Tu veux aider la Jarry ?
Pour le moment, les occupants de la Cité de la Jarry attendent que le couperet tombe et n’ont aucune idée de quand ça arrivera…
D’ici là, ils continuent à organiser de nombreux évènements qui permettent de soutenir leurs activités, mais aussi de les rencontrer et de mieux comprendre qui ils sont, ainsi que ce qu’ils construisent ensemble. Tu peux te tenir au courant sur leur Facebook.
Et surtout, si tu en as envie, tu peux signer la pétition mise en place par l’association La Jarry’ve revient, afin que les Jarriciens puissent occuper les lieux jusqu’au début des travaux, le temps de trouver une solution de repli.
Un immense merci à Corinne Durand, Maria, Amélie, Marco et Eva Chettle, Aline Ladeira et Lucas Spadaro.
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