« Les déclinaisons intimes prennent plus de temps que la prise de conscience collective. Les partis politiques sont capables de tenir de grands discours sur les violences sexistes et sexuelles, mais quand ils sont mis au pied du mur émotionnellement, ils ne réagissent pas », constate Mathilde Viot, membre de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique, autrice de L’Homme politique, moi j’en fais du compost et créatrice du #MeTooPolitique. Un tweet publié le 18 septembre par Jean-Luc Mélenchon, est venu le rappeler : « La malveillance policière, le voyeurisme médiatique, les réseaux sociaux se sont invités dans le divorce conflictuel d’Adrien et Céline Quatennens. Adrien décide de tout prendre sur lui. Je salue sa dignité et son courage. Je lui dis ma confiance et mon affection. » Le leader de la France insoumise réagit à ce moment-là aux accusations de violences conjugales visant le député Adrien Quatennens. Des faits qu’il reconnaît lui-même.
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En politique, la vieille garde aux commandes
Le monde célèbre alors les cinq ans du mouvement #MeToo, souvent décrit comme une « révolution ». Pourtant, des leaders politiques se réclamant du féminisme crient encore au complot quand leurs proches sont accusés d’avoir commis des violences sexistes et/ou sexuelles (VSS). La droite et la majorité ne sont pas en reste : c’est peu ou prou le même discours quand Damien Abad ou Gérald Darmanin, tous deux accusés de viols, restent à leurs postes. Pour Mathilde Viot, si une remise en question des comportements virilistes opère bel et bien, c’est encore la vieille garde qui est aux commandes. Aussi devrait-on encore en avoir pour quelques années de considérations réactionnaires et sexistes. « Notre travail à l’Observatoire, c’est de réussir à défoncer leur discours en permanence, ce qui est difficile parce qu’on nous donne beaucoup moins la parole », résume Mathilde Viot.
Femmes racisées, précaires, queer : les grandes oubliées
Les lanceuses d’alerte ne sont pas les seules à être silenciées : pour les femmes racisées ou issues des périphéries, il est également difficile d’être entendues. « La libération de la parole n’est pas faite pour tout le monde », résume Massica, l’une des organisatrices de la récente Marche féministe antiraciste de Saint-Denis. Malgré certains progrès, elle note que les femmes les plus marginalisées n’ont toujours pas les mêmes ressources que les autres. « Quand on a vécu des VSS dans des milieux précaires, le chemin de la réparation n’est pas le même que celui d’une personne qui a des ressources pour aller voir le psy, par exemple. On ne libère rien si on pousse des personnes vulnérables à parler sans rien leur offrir », pointe-t-elle. La militante le répète d’ailleurs : #MeToo n’a pas 5 ans, mais 15. La première personnalité à avoir pensé Me Too est en effet la militante afroféministe américaine Tarana Burke, qui a notamment subi des violences sexuelles de la part de la police.
Même constat dans les milieux LGBTQIA+ : « Les représentations depuis #MeToo n’ont pas évolué pour permettre l’apparition d’un espace de parole aux lesbiennes, bi, trans, genderfluid… », considère l’une des personnes à l’origine du compte MeToo Lesbien. Créé juste après les 5 ans médiatique de #MeToo, sur Twitter et Instagram, ce compte a justement été pensé pour « pointer le manque de moyens et de ressources à disposition [des lesbiennes] et permettre de faire émerger des remises en question des comportements intracommunautaires ».
Une justice patriarcale et instrumentalisée
Comme d’autres militantes, Julie*, activiste au sein du collectif Les Grenades, se tend quand elle entend le terme de « vague #MeToo ». « On a réussi à visibiliser les VSS. Néanmoins, le but, c’est que des décisions soient prises au niveau gouvernemental. Et ça, on ne l’obtient pas », s’agace-t-elle. Pour Julie, affirmer que #MeToo constitue une révolution est « mensonger » car les victimes de VSS ont toujours autant de mal à obtenir réparation devant la justice. « On utilise des procédures-bâillon contre les féministes. Les plaintes en diffamation sont instrumentalisées par les agresseurs et leurs soutiens. Quant aux victimes, le coût de la plainte est pharamineux. Tant que la justice ne mettra pas en place un système de protection pour les victimes, on ne s’en sortira pas. »
Après des années de lutte, un long chemin reste encore à parcourir. #MeToo n’a pas sécurisé les femmes : aujourd’hui en France, un homme tue une femme tous les trois jours, seuls 1 % des viols sont condamnés et 94 000 femmes sont victimes de viol ou tentatives de viol chaque année. Pas de quoi se réjouir.
*Le prénom a été changé
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