Cindy est arrivée à la rédaction un mardi. Elle s’intéressait à ce qu’on faisait et voulait découvrir comment on travaillait chez madmoiZelle. Curieuse, mais discrète, elle avait peur de gêner et ne savait pas trop où se mettre. Un peu impressionnée, sans doute, m’a-t-elle avouée plus tard. Pourtant, impressionnée, Cindy n’a pas tant de raisons de l’être, puisqu’elle-même est plutôt impressionnante.
À 27 ans, Cindy travaille notamment comme scripte pour le cinéma. Ses yeux brillent quand elle parle de son métier. Et pour en arriver là, il lui a fallu du temps : elle a commencé son parcours dans la publicité, a voyagé en Chine… Mais la passion a été la plus forte.
La scripte, témoin méticuleux des tournages
Cindy est scripte, donc. Sur les tournages, c’est la personne que tu verras avec un gros cahier dans les mains, assise sur un tabouret dans un coin et le stylo perpétuellement en mouvement. Elle m’explique le pourquoi de ce rôle absolument essentiel :
« Un tournage se passe dans le désordre, généralement on tourne en fonction du décor. La scripte est la personne en charge de la continuité du scénario. Elle doit faire en sorte que dans une scène, le comédien soit raccord avec ses vêtements, sa manière de jouer… Parce que la scène qui précédera dans le film a peut-être été tournée il y a deux semaines ou ne l’a pas encore été ! Il faut aussi s’assurer que le scénario est bien respecté, et qu’on dit les bons dialogues. »
Pour assurer cette continuité, Cindy prend des notes et tient ce qu’on appelle des rapports. Et elle ne chôme pas, puisqu’il y en a quatre à la fois ! Le rapport production, comme son nom l’indique, sert à faire l’interface entre le tournage et la production :
« Je note s’il y a eu des renforts, combien de plans et de minutes utiles on a tourné dans la journée, combien de séquences sont terminées… C’est un peu un rôle de secrétaire, c’est vraiment une mémoire pour que les producteurs soient au courant de ce qu’on fait et pour contrôler le budget. »
Le rapport montage, lui, va servir au monteur. Cindy chronomètre les prises, pour voir si le film sera suffisamment long, ou s’il faut au contraire réduire ce qui a été filmé :
« Je décris le plan, ce qu’il se passe. Par exemple, si on tourne le plan 3 de la séquence 2 prise 1, je note si la prise est bonne ou non et pourquoi. Il faut être concise et ne pas écrire un roman, parce que les rapports vont arriver chez le monteur qui n’était pas sur le tournage. Il faut qu’il puisse rapidement comprendre ce qu’il s’est passé. »
Elle tient aussi un rapport image, assez concis, sur lequel elle doit préciser le nombre de prises, et les clips, c’est-à-dire le nombre de fois où la caméra s’est mise en route. Le rapport doit aussi indiquer si les scènes tournées étaient en intérieur ou extérieur, jour ou nuit, muettes ou avec de la parole. Cindy est enfin en charge de tenir ce qu’on appelle le mouchard :
« C’est le journal de bord. Tu écris ce qui se passe dans la journée, le jour de tournage, le décor, le lieu, ce qu’on a fait à telle ou telle heure, pour la production. Sur le dernier long-métrage que j’ai fait, on tournait une cascade en extérieur. Il s’est mis à pleuvoir et on a dû arrêter, on a perdu peut-être 1h30. Le producteur est venu me voir pour savoir ce qu’il s’était passé : dans ce cas, je ressors mes notes. »
Et lorsque l’on crie « coupez ! », il arrive que Cindy soit encore sur son tabouret en train d’écrire.
« Des fois, ça va tellement vite que tu prends un peu de retard. Alors dès qu’il y a un moment de libre, tu continues. En fait, c’est super intéressant, parce qu’il y a tout le temps des choses à faire ! »
Tout ça fait beaucoup de papier :
« Maintenant, les nouvelles scriptes qui ont en fait mon âge travaillent beaucoup sur iPad. Mais j’ai appris avec quelqu’un d’exceptionnel, qui a 20 ans de carrière et utilise encore le papier. Je ne suis pas vieille école, mais je me dis qu’au moins, c’est tangible… »
« Je voulais être comédienne »
Le grand écran, Cindy en rêvait enfant. Elle me confesse modestement qu’elle ne regardait pas forcément du « grand cinéma » :
« J’aimais bien la fiction, ce monde irréel et ce que ça représentait. J’étais complètement fan de La Boum. Je crois que l’ai regardé des milliers de fois, toujours toute seule parce que mes frères n’aimaient pas ça… J’adorais aussi Les Goonies. »
À 14 ans, Cindy voulait devenir comédienne. Elle a demandé à ses parents de l’inscrire en agence, et a été retenue par quatre d’entre elles, qui géraient des mineurs :
« Mes parents n’étaient pas trop pour. Ils n’aimaient pas trop le milieu, et pour eux, à 14 ans, j’étais encore une enfant. Mais j’ai réussi à les convaincre et j’ai envoyé des photos aux agences. »
« Mes parents n’aimaient pas trop le milieu. »
Cindy a aussi pris des cours de théâtre, mais ses parents ont vite mis un frein à ses envies artistiques :
«Un casting, ça dure dix minutes, alors que tu peux attendre une heure et il y a le trajet… Mes parents habitaient dans le 77. C’est loin de Paris, et ils n’avaient pas tellement envie de m’emmener passer des castings le week-end. Ça les a vite gonflé, et comme je dépendais d’eux pour y aller, j’ai arrêté à 16-17 ans. J’ai écouté leur voix qui me disait qu’il fallait plutôt se concentrer sur l’école. Je me suis persuadée que, finalement, c’était quelque chose pour les autres et pas pour moi. »
Ouvrir des portes, les égarements de l’orientation
Au lycée, Cindy a fait un bac littéraire. Elle avait envie de devenir journaliste :
« Mais j’ai laissé ça de côté parce que ça me paraissait compliqué. Les écoles que j’avais regardées étaient très chères et ça m’avait un peu dégoûtée. On me disait : c’est un métier très demandé, il y a peu de débouchés… Mais tous les métiers sont bouchés ! Tu ne vas pas choisir ton orientation parce qu’il y a du travail dedans ! Enfin si, des gens raisonnent comme ça, mais moi, je ne peux pas faire le choix de ne pas aimer. La vie est trop courte, ou trop longue, pour faire quelque chose que tu n’aimes pas ! »
Cindy le dit sans détour : au moment de choisir son orientation post-bac, elle était perdue. Avec le recul, elle a l’impression d’avoir été mal orientée :
« Je me dis qu’on n’a pas su m’aider. J’ai l’impression que quand tu ne sais pas ce que tu veux faire, les conseillers d’orientation essayent de te diriger vers quelque chose de très général. L’expression « fais ça parce que ça va t’ouvrir des portes » m’a toujours énervée. Sur le coup, je les croyais. Alors qu’en fait, tu ne sais pas quelle porte je voudrais ouvrir… Si ça se trouve, je veux passer par la fenêtre ! »
Cindy a l’impression d’avoir été mal conseillée dans son orientation.
Elle qui a toujours été bonne élève regrette cette distinction un peu binaire que fait l’école entre les élèves intellectuels et ceux plus manuels, qui sont dévalorisés :
« On te dit que ce n’est pas normal, alors que non, tu peux ne pas aimer la philo ou les maths mais être un bon charpentier ou plombier ! On te nique, on te dit que tu as un problème si tu suis mal. On disait à mes parents que mes deux grands frères, qui n’aimaient pas l’école, n’y arriveraient jamais. Aujourd’hui, l’un a monté sa boîte, l’autre est brillant dans ce qu’il fait. Moi j’étais studieuse, j’aimais bien l’école et apprendre. Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est moi qui suis la plus paumée des trois ! »
C’est d’ailleurs son grand frère qui l’a aidée. Il lui a conseillé de faire deux colonnes, avec ce qu’elle aimait ou non :
« Dans la case j’aime, j’ai mis : le voyage, les langues étrangères, écrire, le cinéma. Rien de très concret, donc… Lui m’a dit : il y a la pub qui rejoint un peu tout ce que t’aimes, c’est créatif, il y a le marketing, la communication, tu mélanges tout en même temps… Ma prof de philo m’avait conseillé de faire khâgne, mais je ne voulais pas être prof. La pub, je me suis dit qu’au pire, ça pouvait être cool, ça avait un côté sexy ! (rires) »
Enfoncer les portes, un premier pas dans la communication
Mais Cindy a hésité. Beaucoup. Si bien qu’après le bac, elle s’est retrouvée sans rien :
« Je n’ai pas eu mon premier voeu, un IUT communication. J’ai chialé, je me disais putain, j’ai trimé, j’ai eu mention bien au bac, et au final… Ce n’est pas un voeu, c’est juste un rêve… Mon deuxième voeu, c’était Langues étrangères appliquées, à la fac, mais mon frère m’a dit qu’il fallait apprendre un métier en plus de la langue pour être autre chose que prof, et j’ai pensais qu’il avait peut-être raison. »
À l’époque, elle avait déjà envie de voyager, et avait pris contact avec l’ambassade des États-Unis, afin de connaître les solutions pour aller vivre l‘American Dream quand on a 18 ans et pas trop de thunes en poche :
« Je suis tombée sur une femme adorable. Elle m’a dit qu’il fallait soit être sportive de haut niveau pour avoir une bourse, soit être fille au pair. Mais les enfants, c’était pas trop mon truc. Elle m’a aussi dit que je pouvais m’inscrire dans une école, et être assistante d’un prof de français. J’avais fait les démarches, puis l’entretien, qui s’était révélé positif. Ils m’avaient trouvé une école dans le Michigan. »
À 18 ans, elle a failli partir comme assistante de prof dans le Michigan…
Mais Cindy a eu peur et a tout arrêté fin août :
« Je me suis dit, j’ai 18 ans, je ne suis pas trop mauvaise à l’école et je n’ai qu’un bac… Est-ce que je fais le bon choix ? »
À la rentrée, elle a décidé de se battre et a contacté des BTS Communication des entreprises :
« Je suis allée dans un lycée. On m’a dit : on a déjà trop d’élèves dans la classe, on ne peut pas pousser les murs… J’ai insisté, et on m’a fait passer un entretien avec un prof de psychosociologie, une matière qu’on a en pub. Et j’ai été prise. Comme quoi, il ne faut jamais rien lâcher. »
Cindy a apprécié ses deux années en BTS. Elle a ensuite enchaîné avec une licence en marketing en alternance, dans laquelle elle dit s’être clairement ennuyée et avoir eu l’impression de ne plus rien apprendre. L’envie de voyager a alors refait surface :
« J’hésitais avec un master. Mais je sentais que le marketing, j’aimais sans aimer. Je pense qu’une des meilleures écoles c’est le voyage. J’étais un peu comme une cocotte-minute, je retenais ce truc-là. C’est une envie qui devient un besoin. Je me disais qu’il fallait que j’aie ça ou ça avant de pouvoir m’accorder de partir sereine. Là j’avais mon bac + 3 donc c’était bon. »
De l’Australie à la Chine
Cindy était déjà partie deux semaines en Chine, rendre visite à son frère qui s’y était installé. Mais son rêve à elle, c’était l’Australie :
« Il y avait cette pub dans ma tête : quand le gars gagne au loto, il tourne la mappemonde, il pose le doigt dessus, il tombe sur l’Australie, et il dit : Australie ! Sa femme est dans la cuisine, elle répond : oh non pas encore ! Et il répond : c’est le jeu ma pauvre Lucette ! J’avais d’ailleurs appelé mon blog de voyage comme ça. »
Pendant son année de licence, Cindy a mis de côté l’argent de son alternance. Elle habitait encore chez ses parents et ses dépenses étaient limitées. Puis elle est partie, avec en tête l’idée de passer un an en Australie. C’était le grand départ, enfin :
« Je suis arrivée, et c’était la première fois que je me retrouvais dans mon chez-moi. Je devais me faire à manger et je ne savais pas faire, parce que ma mère m’a toujours fait des petits plats. »
Mais Cindy a été un peu déçue par l’Australie. Pas de coup de coeur, et l’impression de ne pas être assez immergée dans une autre culture :
« J’ai eu l’impression de faire 24 heures de voyage pour arriver dans un pays qui ressemblait un peu à l’Angleterre avec du surf. C’est à la fois si loin et si ressemblant à la vie que je mène… Je voulais aller dans un pays anglophone, mais au fond, je pense que je ne m’étais pas rendue compte que je voulais aussi un choc culturel, pas d’Occident. »
L’Australie lui a coûté beaucoup d’argent. En deux mois et demi, Cindy avait dépensé presque la moitié de ses économies et a vu le moment où elle devrait rentrer plus tôt que prévu :
« Je ne voulais pas rester pour rester, parce que j’avais dit aux autres que je partais un an en Australie, c’est débile. Si le plan 1 ne fonctionne pas, allons voir autre chose. »
Alors un soir, Cindy a appelé son grand frère qui habitait en Chine. Il a accepté de l’héberger jusqu’à ce qu’elle trouve quelque chose. Elle a acheté ses billets le soir-même. Arrivée en Chine, elle s’est dit que le meilleur moyen de s’intégrer serait d’apprendre la langue du pays :
« À Canton, les locaux parlent très mal anglais, quand tu vas acheter ta bouteille d’eau ou que tu veux manger dans les restaurants… C’est un peu comme les Français avec une langue étrangère ! »
Cindy s’est donc inscrite à l’université du coin pour apprendre le mandarin. Pendant quatre mois, elle est allée en cours le matin et se baladait l’après-midi pour se familiariser avec la région :
« En Chine, il n’y a rien de pareil ! Même les particules dans l’air n’ont rien d’occidental. Tu en prends plein la vue, plein l’odorat aussi. Le tofu puant, quand t’es pas prévenu•e, c’est horrible, le stand est limite à un kilomètre et tu le sens ! (rires) »
Manager une célébrité
Avec un faible niveau de mandarin, Cindy pouvait se débrouiller et être autonome. Elle s’est alors lancée dans la recherche de travail, auprès des grosses agences de pub de Canton. Une d’entre elles a retenu son attention, lorsqu’elle s’est aperçue que le patron et le directeur artistique étaient français :
« Quand t’es expatrié•e et que tu habites à l’étranger, tu t’accroches à des petites choses. Il y a une sorte de proximité, tu te dis qu’ils te comprennent… »
Elle les a « un peu harcelés » par mail, me confesse-t-elle en riant. Le directeur artistique lui a finalement répondu pour lui proposer un entretien, qui s’est conclu par une proposition de stage :
« Il m’a dit : tu serais une très bonne chef de pub, parce que tu ne lâches rien ! Clairement, il faut être entêté•e.»
Cindy a donc démarré à 3000 Yuan par mois (environ 350 euros) comme stagiaire, par la petite porte, qui n’était pas ouverte et à laquelle elle a dû toquer longtemps, comme elle me le dit en riant :
« Pour les Chinois, c’était atypique. J’étais la seule étrangère occidentale européenne de la boîte, et j’étais la moins payée ! Alors que souvent, dans une entreprise en Chine, les Européens sont un peu l’élite dans leur tête, même si c’est bête… »
https://youtu.be/beNIb3Y_EYQ
Elle a finalement passé un an et demi dans l’agence, où elle a occupé plusieurs postes et notamment celui de talent manager. Cindy était en charge des relations presse de Hu Bing, une célébrité chinoise, d’abord champion d’aviron, devenu mannequin, comédien et acteur et désormais ambassadeur de la marque Louis Vuitton :
« Ils voulaient développer sa notoriété en Europe, et, tiens, j’étais européenne… Les Chinois apprécient d’avoir un étranger avec eux, je ne sais pas pourquoi, dans leur tête, l’Europe est un peu en avance, dans une équipe, ils te mettent vraiment en avant, ça crédibilise… Je trouve ça un peu bête, il y a des Chinois très brillants ! »
Grâce à Hu Bing, elle s’est rendue au festival du film de Rome.
Cindy a en tout cas apprécié son travail. Il lui a même permis de se rendre au Festival du film de Rome, alors qu’elle n’avait rejoint l’agence que depuis quatre mois :
« On est partis deux semaines à Rome, j’organisais tous ses rendez-vous presse, les interviews avec les journalistes, les shootings… C’était génial, incroyable comme expérience ! »
Le tournage à Macao, une révélation
L’agence de publicité a finalement dû fermer. L’équipe a été rapatriée à Hong-Kong. Cindy, elle, voulait rester à Canton. Entre temps, elle est devenue amie avec son patron, qui avait un scénario pour un projet de court-métrage et savait qu’elle s’intéressait au cinéma.
« Il m’a dit : j’ai envie de réaliser ça un jour dans ma vie, est-ce que ça t’intéresserait ? Alors je l’ai aidé à trouver des fonds, des sponsors. Sur le tournage, j’ai été un peu la fille à tout faire, à la fois la régisseuse générale et assistante réalisateur. »
Le tournage a duré trois mois, à Macao en Chine, et a été une véritable révélation :
« Je me sentais complètement à l’aise dans ce que je faisais. Je me suis dit, en fait, c’est ça que j’aime ! Là, je me sens épanouie. »
Cindy commençait déjà à se lasser de la publicité, qui, à son goût, manquait de valeurs et d’éthique :
« Quand t’es en agence, tu travailles pour des clients que tu ne choisis pas. Ça me gênait, parce que parfois, je vendais des choses auxquelles je ne croyais pas moi-même. Je n’arrive pas à être créative sur des sujets qui ne me plaisent pas, j’ai besoin d’être inspirée sinon ça ne marche pas… Il y a aussi ce côté un peu superficiel de la publicité. »
Start-up, consulat et retour au pays
Cindy a ensuite enchaîné les missions : elle a été chargée de communication dans une start-up française, qu’elle a quittée parce qu’elle n’adhérait pas trop à la mentalité des patrons. Une de ses collègues lui a ensuite parlé d’une vacation au Consulat de France :
« Elle m’a dit : il a déjà 15 candidats, mais si tu veux, postule, on ne sait jamais ! Comme je suis friande de découvertes, je me suis dit que la diplomatie allait peut-être être une révélation ! »
Cindy avoue que son choix s’est fait surtout par défaut et par besoin d’argent, même si elle a appris beaucoup :
« J’ai travaillé pendant huit mois aux visas. Je faisais passer des entretiens à des Chinois qui voulaient partir en France. Là-bas, c’est très réglementé, il faut prétendre à un certain salaire, rentrer dans des cases… L’administration, c’est pas pour moi ! (rires) Ce n’est pas assez créatif, mais c’était très enrichissant. »
« J’ai travaillé aux visas pendant huit mois. »
Après quatre ans en Chine, Cindy a décidé de rentrer en France :
« Ma famille me manquait beaucoup. J’avais l’impression d’avoir fait le tour et de commencer à rentrer dans une routine, et je n’avais pas envie de rester pour rester, même si je vivais bien. »
Elle a repris les cours de mandarin, afin d’avoir un niveau suffisant pour le vendre auprès de futurs employeurs. Elle a ensuite envoyé quelques cartons chez ses parents, a gardé un sac à dos et s’est laissée un mois pour voyager :
« Je suis partie faire un petit road-trip depuis Canton. Je suis allée à Xi’an, l’ancienne capitale chinoise, où j’ai visité l’armée de terre cuite, pendant trois jours. Ensuite, j’ai pris un train jusqu’au Tibet, je suis restée dix jours et je suis descendue de Lhasa jusqu’à la frontière du Népal. J’y ai passé une semaine, puis j’ai pris l’avion de Katmandou à Paris. »
Je lui fais remarquer que son parcours est déjà sacrément impressionnant :
« Oui, quand je te raconte ça, j’ai l’impression qu’il s’est passé tellement de choses différentes, et en même temps rien ! En Chine, tout va à 3000 à l’heure, plein d’opportunités se présentent à toi. J’ai pu faire des choses que je n’aurais pas faites en France… »
Le casse-tête chinois du retour
De retour en France après quatre ans passés à l’étranger, Cindy n’avait pas de plan précis :
« Ça me faisait peur. Parce que quand je suis partie en Australie, il n’y avait pas de travail qui m’attendait. Quand je suis revenue en France, il s’était passé tout ça… »
Elle a essayé de retravailler dans le marketing. L’ancienne de la pub a démarché des marques de cosmétiques et de sport :
« Finalement, je n’étais pas convaincue. Et bizarrement, je ne trouvais pas. Tu te dis : est-ce qu’inconsciemment, je ne fais pas en sorte que ça ne prenne pas ? »
Au milieu de ce casse-tête, Cindy avait pourtant un joker. Lorsqu’elle habitait encore en Chine, elle a appris, via la presse, que Cédric Klaspich préparait la suite des Poupées Russes, le film qui allait devenir Casse-tête chinois, et dont il était prévu que la partie chinoise soit tournée à Shanghai :
« C’était un an avant le tournage, et j’étais prête à aller là-bas pour ça. Pendant un petit moins d’un an, j’ai contacté la production de Cédric Klapisch, Ce qui me meut. Je tombais sur les assistants de production. Ils ont été cool, m’ont dit qu’ils ne connaissaient pas encore la directrice de production, mais m’ont conseillé de rappeler pour que je puisse faire passer mon CV. Tous les mois, je les relançais. Il n’y a que ça qui marche, le culot. Au bout d’un moment, ça paye : on ne peut pas te reprocher d’être curieuse et d’avoir envie de faire quelque chose ! »
À lire aussi : Casse-tête chinois, le film : beaucoup d’amour dans un monde (pas si) compliqué
Elle a enfin obtenu le contact de Sylvie Peyre, qui a pris le temps de l’écouter :
« Elle est adorable, elle a pris le temps de me considérer et je pense que tout le monde ne l’aurait pas fait. Je suis tombée sur une personne magique ! »
« J’étais prête à tout pour travailler avec Cédric Klapisch. »
Mais la directrice ne savait pas encore si le tournage aurait lieu en Chine, où les conditions sont compliquées. Cindy a finalement appris qu’il aurait lieu à China Town, à New York :
« J’étais prête à tout, ça me tenait vraiment à coeur. J’avais tellement envie de travailler avec Cédric Klapisch, que je lui ai dit : si vous voulez, je paye mon billet d’avion et je viens. Mais comme c’était en équipe réduite, c’était compliqué parce qu’il fallait des assurances, et ça ne s’est pas fait. J’étais très déçue. »
Lou ! Journal infime et chance énorme
Mais Cindy a pensé à rappeler la directrice de production une fois revenue en France.
« Elle se souvenait de moi, et elle m’a dit qu’en ce moment, elle était sur un projet de tournage, Lou ! Journal infime. Elle m’a proposé de venir sur le tournage, et de me présenter à la scripte, Anne Wermelinger, pour voir si je pourrais éventuellement faire un stage. »
Le courant est bien passé :
« J’ai rencontré Anne un vendredi. Le dimanche, elle m’a appelée pour me dire qu’elle voulait bien que je travaille avec elle sur le tournage. J’étais chez Jardiland avec ma mère, entre les lapins et les tortues. Dans ma tête c’était le feu d’artifice, tu ne retranscris pas vraiment ce qui se passe. J’ai dit ouaaaaaah mais oui. J’ai eu une chance folle, comme quoi, il ne faut jamais rien lâcher ! »
À lire aussi : « Lou ! Journal infime », une petite merveille d’adaptation
Cindy s’est débrouillée pour obtenir des conventions de stage auprès de la Mission locale. Une fois encore, elle a réussi à négocier et a eu de la chance, répète-t-elle :
« Il ne faut pas que tu dépasses un mois. On m’avait dit : s’ils te veulent plus longtemps, il faut qu’ils te rémunèrent et c’est leur assurance qui doit te prendre en charge. Le tournage durait deux mois et demi, et j’ai réussi à avoir une convention pour un mois de plus. Comme quoi, il faut demander. Au pire, on te dit non ! »
Sur le tournage de Lou!, Cindy était stagiaire.
Cindy a donc été l’assistante d’Anne Wermelinger : lors des gros tournages, ce poste permet à la scripte de diviser les tâches. Elle était ravie lorsque sa supérieure l’a rappelé pour un second long-métrage, Braqueurs, qui sortira en février 2016.
Dans l’ombre de l’ombre du cinéma
Mais entre-temps, la nouvelle scripte n’a pas chômé. Cindy a quitté le domicile familial, s’est installée à Paris en colocation :
« J’avais des valises à droite à gauche chez des copines. Chez mes parents, je m’ennuyais. T’es loin de tout, quand tes potes t’appellent pour aller boire un coup, il te faut 1h30 pour venir… »
Pour se faire la main et apprendre, elle a été scripte bénévole, sur des courts-métrages. Elle a aussi fait de la régie :
« Sur un tournage, ce sont les personnes en charge de tout ce qui est logistique, qui vont permettre au reste de l’équipe de ne pas sentir les contraintes. Par exemple, si on tourne en extérieur, il y aura plein de choses que tu ne peux pas contrôler, des piétons… C’est à la régie de faire en sorte que tout se passe bien, et que la mise en scène ne sente pas cette contrainte. On trouve les lieux, on fait les repérages. C’est intéressant aussi, mais assez ingrat. Si les techniciens sont les hommes de l’ombre, la régie, c’est l’équipe de l’ombre de l’ombre… »
« La régie, c’est l’équipe de l’ombre de l’ombre. »
Même si Cindy préfère le script et la mise en scène, elle apprend des choses en régie :
« Je rencontre du monde, et accessoirement, j’ai un salaire, c’est cool ! »
Le glamour VS la réalité du tournage
Être une fille sur un tournage n’est pas plus dur que dans un autre milieu, m’assure-t-elle, il faut se faire sa place, tout simplement. Même si elle se souvient avec humour du coup de fil d’un directeur de production à qui elle avait été recommandée :
« Il m’a dit : j’ai une question à te poser qui paraît peut-être macho ou sexiste, mais ça m’est déjà arrivé. Est-ce que tu peux porter des trucs ? Ça m’avait fait rire parce que dans ma tête je me suis dit : je suis une fille, j’ai deux bras, mes parents m’ont fait des muscles, j’en ai dans le corps comme les hommes ! »
Car dans l’équipe technique, il n’y a pas l’aspect strass et paillettes qui va avec la communication autour de la sortie du film :
« Les techniciens ne sont pas habillés comme en agence de pub, c’est un peu à la roots ! Tu dois porter des trucs, tu tombes dans la boue, tu marches sous la pluie… Ceux qui assistent à un tournage se disent, qu’en fait, c’est pas Hollywood… Tu te rends compte que c’est très artisanal, parfois ! »
Cindy se sent en accord avec son métier, même si bien sûr, tout n’est pas parfait, et qu’il lui arrive aussi de faire des choses qui lui plaisent moins que d’autres :
« Parfois, tu n’es pas d’accord avec ce qui se fait ou la mise en scène. Mais chacun reste à sa place, il faut mettre son ego de côté, comme dans tous les milieux, finalement ! »
Elle-même n’a pas l’air du genre à chercher le conflit :
« J’ai beaucoup d’empathie. Parfois j’aimerais bien taper du poing et dire stop, mais j’arrive à prendre sur moi. C’est sûrement un défaut, à terme, je n’en sais rien… En tout cas, c’est une qualité pour travailler dans le cinéma. Sur un tournage, il faut être discret, faire son travail au maximum bien, mais ne pas être grande gueule. On est beaucoup, donc si chacun essaye de se montrer, d’avoir la reconnaissance du réalisateur ou de son chef… C’est comme dans un bureau en fait ! »
Des parents inquiets mais heureux
Aujourd’hui, Cindy a cumulé les 507 heures qui lui permettent d’avoir son statut d’intermittente du spectacle. Elle accepte tout ce qu’on lui propose, aussi parce que la peur de perdre ce statut est présente :
« Je ne fais pas la fine bouche. Je préfère galérer un petit peu, mais être contente de me réveiller le matin. Ça n’empêche pas d’avoir des doutes, mais à quel moment ça s’arrête ? Les femmes qui ont eu des enfants m’ont dit que c’est quand tu as le premier, parce que tu ne penses plus seulement à toi. »
Et ses parents à elle, sont-ils rassurés ? Cindy pense maintenant que les milieux artistiques leur faisaient peur, même s’ils ne lui ont jamais dit explicitement :
« Ils n’ont pas fait d’études, ils ont une enfance un peu compliquée et ils ont dû arrêter tôt l’école. Je pense qu’ils voulaient que leurs enfants ne fassent pas ce qu’ils ont fait. C’était important qu’on aille le plus loin possible dans nos études. Je pense qu’ils étaient un peu largués. Mais il ne m’ont jamais dit : on veut que tu sois médecin ou avocate. »
« Mes parents n’ont pas fait d’études, ils étaient inquiets. »
À présent, ils sont contents de la voir épanouie :
« Je t’avoue que parfois, j’ai l’impression que ça leur fait peur, parce que j’ai un statut un peu « précaire ». Mais ils ne sont pas dans le jugement, à dire que le métier que je fais n’est pas bien. Ils nous ont toujours dit de faire quelque chose qui nous plaît. Nous voir heureux, c’est le plus important pour eux. »
L’écriture, une nouvelle voie ?
Et après ? Cindy a du mal à s’imaginer comédienne comme lorsqu’elle avait quatorze ans :
« J’ai joué dans des pubs en Chine, j’avais une agence. J’ai aussi tourné dans une pub pour l’office de tourisme de Paris. Il n’y avait pas vraiment de dialogue, pas vraiment de rôle : c’était pour mettre en avant tous les transports écologiques de la ville de Paris. J’étais une nana en long-board, et je devais rejoindre mon copain qui conduit un Vélib’, une Autolib etc. C’est un truc qui me fait kiffer aussi. Mais je trouve ça trop prétentieux de dire : j’ai envie d’être une comédienne. C’est un métier où ça devient vite une prétention, alors que ça ne l’est pas… C’est vrai que j’ai peut-être un problème de légitimité ! »
Nombreux•ses sont les scriptes qui se lancent dans la réalisation :
« Je ne prétends pas à ça, mais ça me fait envie. Au bout d’un moment, il faut écouter ses envies… »
Sa nouvelle envie : ouvrir un blog.
En attendant, Cindy a un projet personnel qui lui tient à coeur, celui de monter un blog, d’écrire :
« Ça m’intéresse de savoir comment se passe la rédaction d’un article. J’aimerais bien arriver à lier tout ce que j’aime avec ça, par exemple le voyage… J’aimerais que mes projets persos me poussent à faire encore plus de choses, les lier avec des projets professionnels. »
À la fin de notre entretien, Cindy m’a confessé que d’habitude, elle n’aimait pas parler d’elle. Avouez que ç’aurait été dommage.
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
J'ai transmis à Cindy que vous aviez des questions, je ne sais pas si elle aura le temps de venir répondre car elle doit être bien occupée
@Howling À ma connaissance, le blog n'est pas encore actif