« Dans l’attente de vous butiner… ». Dimanche soir, je n’étais pas devant un film pseudo-érotique sur NT1, mais devant une émission où il était question de femmes avec beaucoup trop de billets coincés dans la culotte et d’hommes sachant comment les recevoir. « Dans l’attente de vous butiner… ». La phrase en question fermait un paragraphe prémâché de dragouille forcée, mièvre et aussi excitante que la rhétorique d’une péripatéticienne bosniaque. Un truc à vous faire bander mou.
Sortie du contexte, la formule empotée d’un CV libertin me fait vaguement penser à un courtisan tâtant du sein sur une Toile de Jouy ou d’un prétendant désorienté carte du Tendre en mains. Je me suis demandée si ce genre de métaphore sadienne pouvait réellement encore fonctionner auprès d’une femme aujourd’hui.
L’art et la manière
Dès la sixième, on apprend que le français a des niveaux de langue différents, on découvre plus tard que le langage du sexe sait aussi en manier d’autres. L’Education Nationale dénombre trois registres (familier-courant-soutenu), j’en vois cinq dans le discours érotico-amoureux :
- un vieux-jeu, plutôt emphasé et parfois désuet, qui a son charme.
- un normal, classique et pas tendancieux pour une pipe, c’est le plus couramment utilisé.
- un niais, gloubiboulga enfantin et régressif de mots se terminant par « -ou ».
- un paillard, graveleux et bien gras à souhait.
- et enfin un ordurier, trash et principalement constitué d’insultes (amoureuses malgré ce qu’on en pense à froid).
En application le même exemple décliné donnera donc ceci :
- vieux-jeu : « Je n’aspire qu’à vous déflorer chère amie. »
- normal : « Chérie, j’ai envie de te faire l’amour.
- niais : « Mon lapinou, viens me faire un gros câlinou. »
- paillard : « Ma poule, j’ai envie de planter ma pine. » ou « de labourer le terrain » au choix.
- trash : « Salope, viens te faire mettre ! »
Précision : ça reste mon avis perso, mais si ça ne tenait qu’à moi, je brûlerais à l’azote les champs lexicaux niais et paillard. Les « fleur de pine » vicelards et « mon cacatoès des îles », crème de la débiliterie humaine, ont toujours plus relevé des dérives sectaires et de la foire au bestiau que d’un vocabulaire parfaitement normal à mes yeux.
Nota bene : je vous invite à vous amuser, à réaliser votre petite partouze verbale en mixant les différents registres pour relever votre quotidien à la sauce gingembre, du « Venez ici ma petite putain » au « Ma puce, tu vas prendre cher ce soir ».
De la nécessité du vocable au quotidien
En général, les registres évoluent avec la durée de vie du couple : de l’allusion polissonne aux propos orduriers, il n’y a parfois que quelques semaines d’écarts.
Dans les premiers instants, le flirt à la manière old school et le vouvoiement peuvent sans souci réveiller une Bovary entretenue à coups de romantisme de chambre. L’occasion de faire un prix de gros sur ses classiques lyriques et de se masturber gentiment la région ego du cortex au passage. Pour choper autre chose que du Kévin, il faut se sortir un peu les doigts du cul et passer par le diktat de la culture : lis ou crève ! Seule. En bouffant tes catleyas par la racine.
Le stade de l’aventure dépassé, la mécanique du couple quotidien et plan-plan entre en jeu instinctivement. J’avais cru au Valmont, je me retrouve avec un Francis qui m’appelle désormais pour passer à la casserole comme il me demanderait de lui filer le poivre de cayenne à table.
Fin inéluctable, après quelques palpés du colon rectal et des litres de cyprine écoulés, force est de constater que l’autre n’a (presque) plus de secret. Il faut varier les plaisirs et pour redonner un élan de libido autrement qu’avec quelques coups de reins, un bon « petite salope » bien placé passera sans avoir besoin de lubrifiant.
Petite salope, dites-vous ?
Dans cette situation, « petite salope » doit être apprécié à sa juste valeur. Pour faire barrage au flot de préjugés et aux non-dits de pucelles déjà trempées comme le Danube ; autant j’aime la douceur, l’attention et les caresses des mots tendres, autant je pense prendre mon pied encore plus fort quand je suis soudain malmenée verbalement (et gestuellement), avec habileté.
Mais revenons à l’expression qui nous intéresse, à propos de l’abeille. Moi qui ne suis pas tant fleur bleue, qu’est-ce qui me fait tiquer dans cette citation mi-lard mi-cochon ? Ici, le bonhomme a beau enrober le saucisson dans une vessie de syntaxe précieuse et un vouvoiement de politesse, ça ne m’empêche pas de trouver le final ridiculement salace.
La référence apicole peut-être ? Un « butiner » qui me laisse un goût de zoophilie molle exhibée sur internet, grande place virtuelle où tout le monde a désormais pu s’apercevoir des dérives sexuelles de ses congénères. Le bourdon libidineux réveillerait en moi le démon des copulations interdites, ou quand José s’enfile un âne et Margarita se fait éclater le vagin par un cheval. Et il me proposerait quoi ensuite ? Son dard, et le goût de son nectar ?
“Fuyez, pauvres folles !”
Les Commentaires
Les références littéraires donnent à cette analyse du comportement des abeilles une saveur toute particulière!
Je veux en lire plus!