Nous sommes mercredi matin, les jumeaux vont à la crèche. Nous les préparons en leur courant après dans l’appart, une chaussette par-ci, un pull par là, le tout ponctué de « Pas la crèeeeche » L’un enlève sa chaussure, l’autre crie « pipiiiii » renverse la tasse à café, lèche une tartine tombée par terre… on ne trouve plus la tétine, les chaussons… Je les emmène ce matin, mais comme à leur habitude, ils veulent l’autre parent. Ils hurlent « nooon c’est papa », « pas maman ». Ils veulent que ce soit lui qui les emmène, mais c’est impossible, il doit partir, ils s’agrippent à sa jambe, moi, je les tire, il est déjà 9h10, merde, j’ai du boulot moi aussi ! Et puis, dans un accès de rage, je hurle « putain, vous venez maintenant, je bloque les jambes de l’un pour lui mettre ses chaussures ». Je suis furieuse. Mon mari me dit : « Arrête, ça ne sert à rien ». Je le sais, mais je ne peux pas m’empêcher de crier et j’ai honte.
Comment se manifeste mon « mom rage » ?
Ces accès de rage, j’en ai souvent, depuis toujours, mais bien sûr, exacerbés par la maternité. Je ne me reconnais pas dans ces moments-là. Quelques instants plus tôt, j’étais une maman douce qui construisait des Lego et je me transforme d’un coup en dragon maléfique. En écoutant un épisode du podcast la Matrescence, j’ai découvert que ce phénomène avait un nom : le « mom rage » ou « rage maternelle ». Dans cet épisode, Clémentine Sarlat reçoit les québécoises Lory Zephyr, docteur en psychologie et Jessica Brazeau, journaliste. Les deux femmes ont créé un podcast et une page Instagram que j’adore Ça va maman ?. Leur objectif : parler sans tabou de la santé mentale des mères. Alors, j’ai eu envie d’en savoir plus sur cette fameuse rage maternelle et j’ai contacté Lory Zephyr.
Visiblement, ce phénomène touche beaucoup de mères. Elles disent toutes que lorsque se déclenchent ces crises de colère, elles ne se reconnaissent plus. Et les phrases qui reviennent le plus souvent dans les thérapies de groupe sont : « Je ne veux plus exploser », « J’ai honte », « Pourquoi je me mets dans cet état ? ». Dans mon cas, ces accès de colère surviennent en général quand j’ai le sentiment d’avoir encaissé, encaissé, et que je n’y arrive plus, ça me déborde. Ils me manquent de respect, mes paroles n’ont aucun effet sur eux. Je ne suis rien. Quand j’ai répété 20 fois aux garçons de ranger leurs affaires après la douche et que je retrouve encore un jogging en boule sous la baignoire, quand je découvre qu’ils ont trouvé le code pour le contrôle parental de la Switch et qu’ils jouent en douce depuis des heures.
Et le « dad rage », ça existe ?
Les papas expriment aussi de la colère, mais j’ai l’impression qu’il n’y a pas chez eux ces explosions, ce sentiment de trop-plein soudain. Dans mon cas, mon mari à un comportement plutôt stable et constant dans le temps avec les enfants. Pour Lory Zephyr, cette différence entre les pères et les mères est à mettre en lien avec l’image sacralisée de la mère parfaite véhiculée par la société. « Un père peut être en colère, il y a quelque chose de beaucoup plus accepté, souligne la spécialiste. C’est un père qui fait de la discipline, qui s’affirme, alors que la mère, elle, n’a pas le droit d’être énervée, on va la taxer tout de suite d’hystérique, de folle ». Une mère doit tout donner à ses enfants, se sacrifier, faire passer ses besoins après, bien après elle, quitte à s’oublier. Le « mom rage » finalement est un peu la manifestation criante de ce décalage entre les attentes vis-à-vis des mères et celles vis-à-vis des pères.
Comment m’en sortir ?
Suis-je censée supporter ad vitam cette irritabilité incontrôlable qui rejaillit sur mes enfants ? Ce que j’essaie de faire, quand je réalise après coup que ma crise de colère était disproportionnée, c’est de m’excuser. Je retourne les voir et je leur dis : « Bon ok, j’ai exagéré, et je leur explique que je n’ai pas crié à cause précisément de cette paire de chaussettes qui traînait, mais à cause d’une accumulation de choses, dont certaines extérieures à eux. ». C’est important, je pense, de pouvoir demander à l’autre de nous pardonner quand on est sorti du cadre du respect. Mais sinon, que faire concrètement avant la crise ? « Je voudrais que le parent ne se dise pas juste ‘je ne veux plus vivre avec ça’, mais qu’il réfléchisse à ce qui a amené cette crise, conclut Lory Zephyr. Plus tu vas te poser la question, plus tu seras capable de reconnaître les prémices à l’intérieur de toi et de modifier les choses dans ton environnement qui font que tu perds pied. »
Ce billet est extrait de la newsletter hebdomadaire de notre rédactrice en chef Candice Satara « Le Balagan ». Candice est mère de quatre garçons âgés de 2 à 12 ans. Pour la recevoir, vous pouvez vous abonner gratuitement ici.
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