Ce billet est extrait de la newsletter hebdomadaire de notre rédactrice en chef Candice Satara « Le Balagan ». Candice est mère de quatre garçons âgés de 2 à 12 ans. Pour la recevoir, vous pouvez vous abonner gratuitement ici.
C’était un dimanche soir assez banal. Alors que je m’échinais à cuisiner un repas correct, mon fils de 12 ans est arrivé comme une furie dans la cuisine en gloussant. « Ah ah, L., il a un mot à te faire signer, c’est trop gênant…». L’autre à rappliqué en pouffant à son tour, tout en me tendant le carnet de correspondance. Le mot en question. « Chers parents, au retour des vacances de printemps, nous allons travailler en sciences sur ‘Décrire et identifier les changements du corps au moment de la puberté’, conformément aux programmes de CM2 de 2020. »C’est donc cela qui faisait rire nerveusement mes deux garçons ? La PUBERTÉ. Même pas la sexualité, la puberté. Moi, avec ma finesse habituelle, je les ai aussitôt interpellés sur ce qui les gênait tout en égouttant les pâtes. Et j’ai embrayé avec les changements du corps, les organes sexuels, je crois que ma démonstration avait à peine démarré qu’ils avaient déjà filé dans leur chambre.
Alors c’est tabou, la puberté ?
Comment est-ce que je peux les aider à aborder sereinement ces changements corporels qui les guettent ? Pour ma part, le sujet de la puberté/ sexualité a très peu été abordé dans ma famille, question de génération peut-être. Mes premières règles en 5ème ont déclenché une terrible honte chez moi. Je me souviens avoir eu envie de cacher ce terrible événement à ma mère – au mois pour ce mois-là – puis m’être ravisée étant donné la complexité de l’affaire. Sur la contraception, les bons réflexes, je n’ai reçu aucune information. Un jour ma mère m’a dit d’un air détaché : « Faudrait peut-être que tu prennes la pilule », j’ai répondu « ok ». Je devais avoir dans les 18 ans, je ne sais plus, je n’ai pas été très précoce là-dessus.
Nous sommes les plus mal placés pour parler de sexe
Mais revenons à mes fils. J’ai pu lire le livre du professeur Israel Nisand Parler sexe. Comment informer nos ados (Grasset) paru récemment. Et le gynécologue-obstétricien apporte un éclairage très intéressant sur ces questions. Depuis vingt-cinq ans, il intervient auprès de collégiens pour répondre à toutes leurs interrogations. Que nous dit-il ? Déjà, qu’on se rassure. C’est normal de ne pas savoir comment aborder le sujet de la sexualité, et c’est encore plus normal de se faire envoyer balader par l’adolescent . Moi je suis du genre à y aller avec des gros sabots : « ton corps va changer, ton sexe va grossir et tu vas découvrir qu’il peut donner du plaisir » Je me sens à la fois ridicule et intrusive, ça sonne faux.
« Les parents sont toujours dépassés quand survient l’adolescence, écrit le professeur. Ce ne sont pas eux qui peuvent aborder le sujet de la sexualité avec leurs enfants. Pour une raison simple: quand on parle de sexe à ses enfants, on lève peu ou prou le voile sur sa propre sexualité et s’il y a une chose que les enfants ne veulent pas entendre, c’est bien cela. »Selon lui, ce n’est pas à nous parents de rentrer dans le détail.
Cela devrait être le rôle de l’école d’apporter cette information fiable, rassurante, éclairante. Mais le problème c’est que ça ne suit pas du côté de l’Éducation nationale. La loi de 2002 sur l’information à la vie affective et sexuelle n’a jamais été appliquée et aucun moyen n’a été alloué à ce projet rapidement enterré. Les trois heures de cours annuelles, qui demandent du personnel formé à ce type d’intervention, passent souvent à la trappe. Résultat, la France est considérablement en retard en matière d’éducation sexuelle. Ce qui se joue en ce moment au niveau politique ne laisse rien augurer de très positif.
Le porno éduque nos enfants à la sexualité
« En France, nos jeunes sont ignorants », regrette le spécialiste. Ignorant, mais formaté par la pornographie. Il m’arrive de regarder mes deux fils en me demandant s’ils ont déjà regardé un film porno. S’ils sont dans les statistiques, la réponse serait oui. Mais je n’arrive pas à y croire, « ce sont des bébés ». Suis-je naïve ? Suis certaines que parmi vous, certaines se disent la même chose, « ils sont pas du tout dans ces sujets, ça les intéresse pas ! » J’ai déjà essayé de leur en parler, sûrement maladroitement, mais au moins je me dis que je l’ai fait et je recommencerai.
J’explique que ces videos véhiculent de fausses idées sur la sexualité, et peuvent entraîner des complexes des angoisses sur la performance physique, la taille du sexe etc… Que comme la drogue, cela peut être addictif. Et puis, je parle de l’image des femmes qui est montrée et ne correspond pas à la réalité, qu’une femme n’aime pas être humiliée, que cette industrie favorise les violences et le mépris de femmes. En fait, quand on est mère de quatre garçons, dans une société encore empreinte de patriarcat et traversée par #MeToo, on se dit qu’on a une responsabilité. Et que cette responsabilité, elle passe par une éducation au consentement.
Je cite le professeur. « La troisième partie consiste à dire qu’en matière de sexualité, il n’y a pas de norme. Ou plutôt, que tout est normal. Un premier rapport à 14 ans? Normal. Un rapport à plusieurs ? Normal. Pas de rapport avant 22 ans ? Normal. Un rapport en trois minutes ? Normal. Le seul interdit, la seule barrière, c’est de forcer l’autre ou d’accepter de faire quelque chose que l’on ne veut pas faire. Enseigner le consentement est l’une de mes missions. Je leur dis, plusieurs fois, qu’une femme qui dit non, ça ne veut pas dire oui. Ceux qui ne l’entendent pas ou ceux qui croient que l’on peut forcer sa partenaire à faire ce qu’elle ne veut pas seront tôt ou tard condamnés. »
La question de l’homosexualité, de l’homophobie
Il y a un dernier point que j’ai déjà abordé avec mes fils et qui pour moi est essentiel, la question de l’homosexualité, de l’homophobie. Tous les ados se posent des questions sur leur identité sexuelle. Encore une fois, je ne sais pas si je suis entendue, mais je tente. J’explique qu’on peut aimer d’amour quelqu’un du même sexe, quelqu’un du sexe opposé, ou les deux, et que c’est comme ça, on ne choisit pas. Comment le spécialiste aborde ce sujet auprès des élèves ? « La première chose que je leur dis, c’est que nous venons d’une enfance ou nous avons été bisexuels pendant les deux premières années de notre vie, écrit-il. Dans la première année, l’enfant ne sait pas qu’il y a deux sexes différents. Il accepte les câlins de l’un de l’autre de ses parents sans se poser de question sur le sexe de la personne qui les lui prodigue. (…) Je leur répète que la sexualité s’organise lentement, au fil de la vie, et qu’au départ nous sommes tous intéressés par les deux sexes. » Apparemment, cette intervention entraîne de fortes réactions chez les jeunes. Je me demande comment les miens réagiraient, mais je trouve que c’est une bonne introduction.
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Les Commentaires
Elle a publié des livres qui sont pépite !
Celui-là permet d'aborder le sujet avec ses enfants selon des questions qu'ils pourraient se poser (avec tout un blabla sur la façon dont on peut aborder ça en toute bienveillance et sécurité affective) :