Christine Berrou a sorti il y a quelques semaines maintenant son premier livre intitulé Écrire un one-man show et monter sur scène, aux éditions Eyrolles. On lui a posé des questions !
On te connaît déjà sur madmoiZelle en tant que membre du Connasses Comedy Club, tu travailles avec beaucoup d’humoristes, tu joues également ton propre spectacle et tu donnes des cours à l’école du One Man Show… Comment t’es venue l’envie de faire ce livre ?
Cela m’est apparu comme une évidence au bout d’un moment. À force de voir des sketchs et d’en écrire, je me suis dit : mais il faut recenser ces ficelles comiques ! Cela n’a jamais été fait (en tout cas, pas depuis « Le Rire » de Bergson en 1899, soit il y a 113 ans, soit l’âge de Philippe Bouvard) et pourtant elles ont une véritable existence.
Et puis j’ai réalisé que personne ne s’était vraiment penché sur l’histoire du mot « humour », que l’opposition « stand-up » / « sketch » restait en France une notion assez floue, qu’on ne savait pas faire la différence entre absurde et décalé, que beaucoup de débutants ne maîtrisaient pas le jargon (ces mots très sympathiques qui font penser à mes parents que je me drogue : punchline, flow applause, etc.). En gros, toutes les disciplines avaient leur manuel, sauf la nôtre. La journaliste que je suis (aussi) n’a pas pu s’empêcher de s’y coller, ça a pris un an et demi mais ça m’a passionnée.
Ton livre sert à donner les ficelles du métier d’humoriste, aussi bien dans la compréhension des différents types d’humour que dans la construction d’un spectacle. À qui s’adresse réellement ce livre ? Au jeune amateur ou à celui qui cherche à se lancer concrètement dans le domaine ?
À partir du moment où la couverture de ce livre vous interpelle, que ça titille en vous quelque chose, je vais m’adresser à vous. Aujourd’hui on a envie d’être humoriste comme il y a quelques années on voulait chanter, comme il y a quelques décennies on voulait peindre, mais au-delà des effets de modes, je pense qu’il y a derrière tout ça une envie de s’exprimer qu’il ne faut surtout pas intérioriser.
Ce livre ne vous apprendra évidemment pas le métier en deux jours, mais il vous permettra d’encadrer votre plume, de savoir où vous allez et ce qui vous y attend, de vous poser les bonnes questions. Enfin, il faut savoir que l’humour est aujourd’hui devenu un loisir : on écrit des vannes et on poste des trucs sur Internet comme on prendrait des cours de piano. Et je trouve qu’il n’y a aucun mal à ça, au contraire ! L’humour, c’est magique. On ne le pratiquera jamais assez.
Qu’est-ce que tu préfères, de ton côté ? L’aspect le plus « vivant » de l’humour, sur scène, ou l’aspect plus technique de l’écriture ?
Les deux sont complémentaires. La scène m’apporte l’adrénaline, le contact direct avec le public, la folie, de nouvelles idées de vannes… Il fut un temps où ça m’apportait même de très bons coups d’un soir, mais maintenant je suis beaucoup plus sage à ce niveau-là.
Et l’écriture m’apporte l’apaisement, l’introspection, ce qu’il faut d’intellectuel pour ne pas basculer dans cette superficialité qui nous menace sans cesse quand on fait du spectacle. Pour l’anecdote, mon père est chercheur. Un jour je lui ai expliqué comment on construisait une vanne, et il m’a dit « En fait, j’ai l’impression qu’on fait le même métier ». Et c’est vrai : on ne peut pas être un(e) humoriste si on n’aime pas « chercher », se prendre la tête, fouiller son esprit à la recherche de la pensée comique. Cette phase de travail est indispensable ; ensuite on monte sur scène parce qu’on a envie d’être aimé(e), comme tous les artistes névrosés, et c’est normal.
Sinon, ma mère élève des lévriers, mais là ça ne sert pas trop mon propos. C’est juste que si je parle de mon père et pas d’elle, elle va faire la gueule.
Au fil du livre, tu ne parles que très peu des notions de talent ou de don… Tu parles en réalité surtout de technique, de travail. Donc selon toi, est-ce que le travail suffit à faire un bon humoriste ?
Jacques Brel disait : « Le talent, ça n’existe pas. Le talent, c’est d’avoir envie de faire quelque chose ». Et avoir envie d’écrire un one, ce n’est jamais anodin. C’est comme une envie de changer de boulot ou de grand voyage, c’est quelque chose qu’il faut prendre au sérieux sans se cacher derrière un « Je le ferai pas parce que j’ai pas de talent ».
Tout le monde sait être drôle, la preuve ? Tout le monde a déjà fait rire une fois dans sa vie. Le but du « jeu » c’est de développer cette hauteur (car l’humour, à mon sens, c’est vraiment une question de hauteur) pour arriver à être drôle encore plus souvent, et même à l’être sur commande (ça, c’est le top du top). C’est pour cela qu’il existe une technique. Mais pour le reste, il n’y a pas Eurocard Mastercard, malheureusement.
Chaque individu qui veut se lancer dans une discipline arrive avec un bagage : un passif, des blocages, des peurs, des illusions, un cœur brisé… Et à mon avis, quelqu’un qui a « du talent », c’est quelqu’un qui a lâché prise. Qui s’écoute. Qui utilise intelligemment ses états d’âme. Qui se fout du regard des autres. Qui fait ce qu’il fait parce qu’il a quelque chose à dire et non pas parce qu’il rêve de reconnaissance sociale.
Je suis fascinée par Brian Joubert (non, ce n’est pas une vanne). Ce gars a du « talent » une fois sur deux. Il a été champion du monde et deux ans plus tard, il n’arrive que 16ème aux Jeux Olympiques, c’est incroyable ! Et quand il se plante, à tous les coups il commente : « Je ne le sentais pas ». Il ne lâche pas prise !
Alors pour répondre à ta question « Est-ce que le travail suffit à faire un bon humoriste ?», je répondrai que certains devront travailler bien plus que d’autres, mais je dirai que oui. J’ajouterai même que dans certains cas le travail peut s’accompagner d’un bon psychanalyste. Brian, si tu « tombes » sur cette interview, penses-y…
Est-ce que n’importe qui pourrait se lancer dans l’aventure ?
Oui. Mais n’importe qui ne peut pas s’inscrire dans la durée, car cette « aventure » est un marathon sans fin.
En plus de ta méthode, quel serait ton petit conseil perso pour un jeune auteur comique qui voudrait se lancer dans l’activité ?
Peut-être celui de ne pas prendre le public pour un imbécile. J’ai vu quelques scènes ouvertes récemment qui m’ont préoccupée, j’ai l’impression qu’il existe une catégorie d’amateurs qui se désinhibent complètement : ils montent sur scène avec des textes vraiment très pauvres, voire même sans aucune vanne, et on sent bien que ce n’est pas travaillé. C’est du suicide humoristique !
On a tous pris des bides (oui, je fais mon coming-out : j’ai écrit un livre sur l’humour malgré mes bides) mais la générosité et l’intention de bien faire, c’est important et ça se sent. Il ne faut pas se foutre la gueule du public, c’est notre meilleur ami.
— Écrire un one-man show et monter sur scène (Éditions Eyrolles)
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Les Commentaires
En plus, on m'a dit plusieurs fois que je devrais faire un one (wo)man show. Dc ce livre là, ça me fait marrer, comme un clin d'oeil quoi.
Par contre.... quel est l'interet qu'elle nous raconte qu'elle a eu des super coups d'un soir ?!