Il y a bientôt cinq ans, j’ai perdu ma grand-mère paternelle. Je l’ai pas perdue au supermarché genre « elle était là et puis d’un coup poupouf, elle était plus là » : elle est décédée pour toujours. Et on aurait quand même pu me prévenir que c’était aussi violent, comme choc.
Avec le temps, j’ai appris à ne plus avoir envie de chouiner chaque fois que je pensais à elle. Je suis toujours triste qu’elle n’ait pas eu l’occasion de rencontrer la fille heureuse que je suis devenue et qu’elle ne soit pas là aux étapes importantes de ma vie, mais je le prends avec plus de philosophie. L’autre jour, je me suis même surprise à rire en repensant aux choses « horribles » (mais pas malveillantes, OH, c’est ma mamie et les mamies c’est sacré) que j’ai pu lui faire subir. En voici quelques exemples.
(Note : cet article ne s’applique pas à mon autre mamie, parce qu’on se ressemble beaucoup trop en terme de caractère pour qu’elle ne me grille pas quand je lui fais un petit mensonge ou un caprice. S’il y a une seule chose dont je pourrais m’excuser auprès d’elle, c’est peut-être les insanités salaces qu’elle peut lire dans mes articles mais je suis même pas sûre que ça la choque.)
Lui demander le même plat pendant une semaine
Quand j’étais petite, mon école primaire était située juste à côté de chez mes grands-parents. Comme il n’y avait pas de cantine dans ce petit établissement de province, je mangeais tous les midis chez eux, et comme j’étais la petite fille la plus choyée par ses aïeux de la Terre, je choisissais souvent mon menu. Et c’est pas que j’ai des troubles quelconques (j’en ai eu, mais bien plus tard), mais niveau nourriture, j’ai toujours eu un comportement un peu « obsessionnel ».
Il m’arrive très régulièrement de faire une fixation d’une plus ou moins longue période sur un aliment, ou un plat. J’ai ainsi eu ma période Pink Lady, ma période potatoes industrielles, ma période croques-monsieur, ma période filet mignon et ainsi de suite. Maintenant que je vis seule, ce n’est un problème pour personne.
J’ai le souvenir ému de ma période pâtes carbonara industrielles surgelées. Ma grand-mère m’en avait fait une fois parce qu’elle n’avait pas eu le temps de cuisiner et qu’elle avait ça en stock, et j’ai tellement, tellement aimé, que je lui ai demandé de m’en refaire le midi suivant. Puis celui d’après. Puis celui d’après. Et tout le temps pendant plus d’une semaine. À la fin, elle était un peu à bout et me suppliait presque pour que je la laisse en cuisiner des vraies, meilleures pour mes papilles et ma santé. En vain.
Maintenant, je peux plus avaler ces horreurs : c’était tout gluant et trop salé, et je m’en veux vachement d’avoir imposé ça à mes grands-parents pendant ce qui devait être, pour eux, une éternité.
Lui demander de jouer à la Marelle avec moi
Je suis fille unique, et jusqu’à mes dix-huit ou dix-neuf ans, j’étais extrêmement timide. J’avais donc pas beaucoup d’amis. Quand j’étais petite, j’avais UNE copine, qui changeait chaque année. Et elle-même avait d’autres amis. Du coup, il m’arrivait de devoir jouer seule, c’est la vie.
Quand je m’amusais avec mes Barbie, mes Polly Pocket ou ma voiture télécommandée rouge métallisée avec des roues VTT (la plus belle du monde), ça allait. Quand l’envie me prenait de jouer à la corde à sauter ou à la Marelle, c’était moins cool pour ma mamie, puisque je lui demandais de venir jouer avec moi.
Sauf que jouer à la Marelle à 75 ans passés, ça doit piquer. Surtout pour une grand-mère dont la petite fille est du genre gentiment tyrannique et se moque quand elle estime que son aïeule ne saute pas assez haut.
NE ME JUGE PAS.
L’emmener voir des teen movies
Pour les mêmes raisons que précédemment, j’avais rarement beaucoup de potes pour m’accompagner au cinéma, contrairement à la plupart des gens de mon âge. En revanche, comme tout le monde, à 10 ans,
j’étais plus branchée Souviens-toi l’été dernier que des vieux Jacques Tati.
Ça va, hein, c’est pas les Saw, mais ma grand-mère n’a jamais supporté la vue du sang (même une petite goutte, même quand on voit qu’il est synthétique). Du coup, ces films étaient totalement hors de sa zone de confort, mais je lui demandais quand même de venir – et elle acceptait, parce qu’elle n’avait pas envie que j’y aille toute seule (« on sait jamais », disait-elle toujours).
…et Titanic. Trois fois
Qui peut me juger ? Leonardo le bateau qui coule l’amour la mort, j’étais fascinée, je pouvais plus m’arrêter d’aller le voir.
Comment j’imagine ma mamie pendant la scène de la voiture.
Lui mentir sur la marchandise
Des années plus tard, je sais pas ce que m’aurait répondu ma grand-mère si je lui avais demandé, à mes 17 ans, d’acheter de l’alcool pour sa petite-fille s’apprêtant à participer à sa première soirée. Je pensais même pas à solliciter mes parents : c’était juste évident pour moi d’aller faire ce genre de commissions avec ma mamie, toujours prompte à m’emmener partout à bord de sa Ford Fiesta.
Le truc, c’est que je ne voulais pas lui dire que je souhaitais acheter de l’alcool. Alors pendant qu’elle allait choisir ses légumes, j’ai filé au rayon spiritueux, empilé quelques bouteilles de Smirnoff Ice dans mes bras et je suis revenue les mettre dans le caddie, la bouche en coeur. Quand elle m’a demandé avec son air si gentil ce que je venais d’y mettre, je lui ai répondu, « c’est de la limonade ».
Bon alors sur le papier, de la Smirnoff Ice et de la limonade c’est pas hyper différent en terme de degré d’alcool mais dans l’idée, c’est quand même un beau mensonge.
Lui demander de me déposer deux rues plus loin
Au fond, je m’en veux pas vraiment d’avoir fait subir des trucs chiants à mes grands-mères. L’enfance et l’adolescence rendent parfois un peu stupides et égoïstes, et au fond, ma famille a toujours su, même quand j’étais la pire des teignes, que je l’aimais plus encore que j’aime les omelettes au bacon.
Le seul truc que je regrette vraiment, c’est d’avoir demandé quotidiennement à ma mamie, de la sixième à la terminale, de se garer deux rues plus loin pour me déposer ou venir me chercher au collège, puis au lycée. Je voulais passer pour la fille indépendante et mystérieuse qui n’a besoin de personne pour rentrer chez elle. J’étais concon quoi.
Je trouve ça nul de ma part parce qu’elle était toujours à l’heure, elle faisait ça parce qu’elle savait que je n’aimais pas prendre le bus, et surtout parce que j’ai encore peur, des années après son décès, qu’elle ait pu ne serait-ce qu’une seconde penser que j’avais honte d’elle — parce qu’il y a rien de plus faux. Vraiment vraiment rien de plus faux.
Et toi, t’as fait vivre des trucs nuls à tes grands-parents ? Raconte-nous ça, qu’on se flagelle mutuellement.
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Les Commentaires
Et ce que je lui ai fait d'horrible? Je l'ai ignorée. Lorsqu'elle était chez elle, on allait tous les dimanches manger là-bas. Je détestais cela & ne me privais pas de le montrer. En fait chaque repas de famille, chaque fois que je voyais ma famille maternelle, je ne me cachais pas de mes sentiments pour eux.
Et quand elle a été en maison de retraite, je n'allais jamais la voir. Bon ma mère me mettait volontairement à l'écart aussi, mais quand même, j'aurais pu, si j'avais voulu, m'imposer.
Ma mère me fait subir des violences psychologiques depuis que j'ai à peine 6 ans.
La famille de ma mère est très conventionnelle, très sur les apparences, très hypocrite, très "il faut faire comme ça, comme les autres..." A l'opposé de moi. Et ils m'ont toujours bien fait sentir ma différence et ce depuis petite, ils m'ont jugé & mis à l'écart, tout en me souriant & me faisant comme si ils m'appréciaient. Encore pire que s'ils avaient été sincères. Il n'y avait qu'un grand-oncle qui avait toujours été gentil avec moi ainsi que deux cousins. C'est tout.
Et j'ai mis ma grand-mère maternelle dans le même sac que tous ces nuls. Je n'me suis pas dit un instant que peut-être elle n'était pas comme eux, ou que, son amour pour moi était sincère. Pourtant elle a tout fait pour me le montrer: quand on allait chez elle, elle faisait toujours le dessert que je voulais, elle était toujours gentille, quand elle a été en maison de retraite et que j'ai voulu faire une fête, elle m'a laissé investir sa maison... Alors effectivement on n'avait pas grand chose en commun, mais ce n'était pas une raison pour la rejeter par mon indifférence comme ça, pour la mettre dans le même panier que les autres. J'ai bien su voir la gentillesse chez certains d'entre eux. Mais pas chez elle.
Et je m'en veux. Terriblement.