J’imagine que l’on a tou-te-s connu quelque chose comme ça : se pointer chez le coiffeur sans idée précise, en ayant juste envie de « changer de tête ». Certain-e-s d’entre nous se sont peut-être même laissé-e-s aller à balancer la phrase fatidique : « Je vous fais confiance, allez-y ».
Pour ma part, c’est exactement comme ça qu’un jour, au fameux « Alors, ça vous va ? », je me suis découverte avec une micro-frange brune sur un ensemble de cheveux blonds. On ne va pas se mentir : j’ai souri à ma coiffeuse du jour avec un air constipé, je suis rentrée pleurer ma mère et je me suis juré de ne plus jamais faire confiance à personne, capillairement parlant.
Le cheveu, ça nous préoccupe sacrément ; ça préoccupe même mes collègues choupi, qui m’ont soufflé ce thème d’article un jour où l’on se disait que tout de même, aller chez le coiffeur, c’était un peu chelou et un peu difficile.
Bref, qu’est-ce que tout ça nous dit ? Que les cheveux sont importants, que le sujet capillaire, s’il est ordinaire, n’est peut-être pas si frivole, et qu’il est surtout chargé de plein de significations.
Et figurez-vous que c’est aussi ce que nous explique Michel Messu, ethnologue et sociologue, dans son ouvrage Un ethnologue chez le coiffeur. Pour aborder le sujet, ce chercheur, porteur de la boule à zéro, a squatté les salons, interrogé les coiffeur-se-s, les client-e-s, l’ambiance et s’est même penché sur la symbolique du cheveu. Le livre est sacrément fourni et bien fichu (je n’aurais jamais pensé en apprendre autant sur le capillariat, dites). Que nous dit donc Michel Messu de ses recherches ? Pourquoi le cheveu nous préoccupe-t-il autant ?
Au sujet du coiffeur
Dans un premier temps, il souligne que le métier de coiffeur, c’est un métier historique, que les humains couperaient, sculpteraient et coifferaient à peu près depuis l’Antiquité. Bien entendu, le métier ne s’exerce pas de la même manière selon les époques, les lieux, les sociétés.
Le lieu même, le « salon de coiffure » n’existe pas partout : à certains endroits, on coupe les cheveux dans la rue, à d’autres, on coiffe dans un magasin ouvert sur la rue. À d’autres endroits encore, on crée un endroit select, ou hipster, ou cocon, où en tout cas, tout est pensé pour installer une atmosphère particulière.
Le point commun ? Le « cérémonial de la coupe de cheveu » : la relation qui se forme entre un-e coiffeur-se (« Qu’est-ce qu’on fait ? »), les client-e-s (« Comme d’habitude », « Je veux changer de tête »), la position des uns et des autres, l’habit… Le salon de coiffure est un lieu de socialisation.
Les coiffeur-se-s accueillent physiquement, mais aussi « psychiquement ». On attend d’eux qu’ils entendent les sous-entendus, qu’ils décryptent nos problématiques, nos humeurs, qu’ils « nous arrangent », qu’ils trouvent « ce qui nous va », qu’ils fassent la conversation.
Souvent, on rapproche même leur métier de celui de thérapeute (en allant plus loin, prenons l’exemple des nouveaux métiers « esthétiques » dans les établissements hospitaliers). Si la coiffure peut être un métier « de relation », elle est aussi un métier d’art : ses praticiens manient les ciseaux avec dextérité, habileté, recherchent (parfois) le « beau »…
Au sujet des cheveux
Messu nous explique que le cheveu n’est pas neutre et que la société est pleine d’impératifs sur la façon de le porter (et sur les manières de transgresser les normes capillaires). En effet, les cheveux pourraient être des signes pour « se reconnaître, se différencier, s’exclure », des marqueurs identitaires à la fois hérités (de notre famille) et construits (avec nos groupes d’appartenances).
Somme toute, nos masses capillaires marquent le temps, les identités, et sont objets de croyances. Le cheveu est par exemple genré : porté comme ceci, il est perçu comme « féminin », comme cela, « masculin ». Il différencie les générations (les cheveux doux des enfants, sauvages des adolescents, grisonnants ou absents des seniors…), les groupes sociaux (ainsi, les adeptes de l’idéologie rastafari ne se coupent ni ne se coiffent les cheveux ; les skinheads se rasent le crâne ; les punks portent la crête, etc.), même si c’est moins le cas aujourd’hui qu’autrefois.
Ils sont également chargés de stéréotypes (ne revenons pas sur les blondes bécasses, les rousses tumultueuses, les brunes volontaires), liés à des notions de dignité (on tondait par exemple les femmes qu’on considérait coupables de « collaboration horizontale » lors que la seconde guerre – le cheveu des femmes étant ainsi un moyen d’humiliation), de séduction, de santé, de religion…
Les cheveux peuvent aussi devenir des objets douloureux : littéralement, ils peuvent nous faire mal (lors de démêlages trop agressifs ou de bagarres tireuses de cheveux) et être source de souffrances psychologiques (un mal-être supplémentaire dû à une perte de cheveux, marquant par exemple une chimiothérapie ou un vieillissement, ou lié à un trouble comme la trichotillomanie).
Adopter une coiffure pour adopter une identité
Nos cheveux, et nos rapports à eux, disent donc des choses de nous, et dans nos rendez-vous chez le coiffeur, c’est tout cet ensemble de représentations qui se joue : qu’est-ce que je veux devenir ? Qu’est-ce que je veux dire avec ma coiffure ?
Selon le sociologue, « adopter une coiffure, c’est chercher à faire valoir pour soi ce que la coiffure portée par un autre ou conçue et créée pour soi (par un coiffeur visagiste professionnel, par exemple), voire par soi-même, peut recevoir de significations ».
Un ethnologue chez le coiffeur parle de tout ça, donc, mais aussi d’autres choses, des enjeux du métier de coiffeur, de la sociologie du métier et des salons, de l’industrie du soin capillaire, de l’histoire du cheveu, des enjeux genrés des cheveux… Si le sujet vous branche, jetez-y un œil, ce livre est terrible !
Pour aller plus loin :
- TV5 – Entrevue avec Michel Messu
- Une interview de Michel Messu
- Une émission RTL avec Michel Messu
- Présentation de l’ouvrage par Libération
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Les Commentaires
Hahaha on se sent libres pas vrai ? Mais j'avouerais - et là, SHAME ON ME - que je commence à regretter mes cheveux longs, juste parc'qu'avant j'avais le plaisir de pouvoir changer de coupe de cheveux tous les matins. Et comme en ce moment je ne suis pas en France et que je vis dans un van, je me force à ne pas aller chez le coiffeur en me disant qu'il ne faut pas que je gâche de l'argent pour ça du coup ça commence à repousser petit à petit. J
e pense que quoi qu'il arrive, quand on décide de se faire couper les cheveux très courts du jour au lendemain, il y a un moment où tu peux regretter ta chevelure de Rapunzel. Pour le moment, j'avoue que c'est mon cas mais je me souviens encore de la sensation de liberté de malade quand j'ai touuut coupé. J'étais fière, telle une Amazone montant son premier poney *snif*