Les histoires d’horreur chez le coiffeur, on en a tous au moins une. Une coloration qui a tourné au vert, un dégradé raté alors qu’on voulait un carré plongeant. Bref, c’est jamais très drôle.
Mais vous savez qui, à priori, subit le plus de ratés chez le coiffeur ? Les personnes aux cheveux bouclés et afros.
Eh oui, il semblerait qu’une grande partie des formations offertes aux coiffeurs de la France entière aient oublié un détail : les coups de ciseaux ne doivent pas être les mêmes pour tout le monde !
On observe dans notre quotidien, nous, les têtes bouclés, que beaucoup de coiffeurs ne savent pas comment gérer nos cheveux. Ils veulent absolument faire des brushings dessus alors que ça les crame, ils les coupent mouillés et on se retrouve avec un carré alors qu’on voulait nos cheveux mi-longs. Rien ne va !
Des formations qui passent à côté des boucles
Lorsque l’on fait des recherches sur les formations de coiffeurs en France, on trouve beaucoup d’options. Du CAP en deux ans à la formation accéléré en six mois, les personnes qui désirent coiffer ont tout de même l’embarras du choix.
Pour vous donner une idée du programme, le Centre Européen de formation détaille le sien :
On observe deux choses : il n’y pas, dans le programme, de formation ciblée sur différents types de cheveux. Également, les deux techniques principales que l’on apprend en plus de la coupe sont la couleur et la permanente.
On peut comprendre que ces deux techniques soit importantes. Mais il semble que les façons de coiffer et de couper des cheveux bouclés et afros devraient être détaillées dans les programmes elles aussi, non ?
Certains professionnels prennent des initiatives
Pour expliquer l’absence de formation autour des cheveux texturés dans les formations, nous avons discuté avec Aline Tacite, fondatrice du salon de coiffure spécialisé Boucles D’Ébène Studio.
Son salon, qui était initialement situé à Bagneux en région parisienne vient de déménager dans le 13e arrondissement de Paris. Dans ce lieu, le mot d’ordre est de « valoriser, soigner et sublimer tous les types de boucles ».
Boucles D’Ébène Studio accueil tout le monde et ne cherche pas à lisser à tout prix les boucles, car c’est le seul service que la majorité des autres salons vont offrir aux personnes à boucles.
« Notre particularité : on ne va pas chercher à lisser la boucle. On ne fait pas de défrisages, ni de lissages brésiliens. On va définir la boucle dans son état le plus optimal. On fait aussi des coiffages, différents types de tressages, des choses créatives. Mais là aussi, c’est sans extension. »
Aline Tacite explique que cependant, apprendre à s’occuper d’un cheveu bouclé ou afro ne semble pas être une priorité dans le programme d’apprentissage :
« En France, on fait mention du cheveux crépu et frisé uniquement dans le chapitre du défrisage ou des « anomalies ». C’est super violent pour les personnes concernées. On est quand même en 2022, et donc ignorer les différents types de boucle, c’est ignorer énormément de Françaises et de Français. »
Aline Tacite ne s’est pas formée en France mais en Angleterre : elle constate le manque de formation autour du cheveu texturé chez nous. Elle a tout de même fait une formation « classique » en France, en complément. La preuve qu’il manque encore beaucoup d’éléments aux formations françaises.
C’est la raison pour laquelle Aline Tacite a décidé de monter sa propre affaire : pour accueillir à bras ouverts les personnes aux cheveux bouclés, frisés, crépus et ne pas leur proposer uniquement des brushings.
Lorsqu’Aline Tacite s’est lancée dans le métier de la coiffure en 2007, les formations étaient donc très lacunaires en ce qui concerne les cheveux bouclés et afros. Est-ce toujours le cas ?
Manque de formation et manque de considération
Pour tenter de savoir si plus de jeunes élèves en CAP coiffure apprennent comment s’occuper des cheveux bouclés et afros, nous avons rencontré Agathe Guittet, maquilleuse professionnelle depuis 2011 et en formation coiffure depuis 2021.
Après un CAP, elle passe actuellement son Brevet Professionnel de coiffure (BP), une formation qui s’inscrit dans la continuité du CAP et qui permet d’en apprendre plus la gestion commerciale et financière d’un salon.
Agathe Guittet l’explique clairement : il existe un manque total de formation concernant les cheveux bouclés et afros en France. Ce n’est pas du tout quelque chose qui est pris en compte.
« Pour ce qui est des cheveux bouclés, on en parle un peu en formation, même si ça reste très vague. Mais pour ce qui est d’un cheveu afro-caribéen, pour le coup c’est n’importe quoi. Sur mes six mois de formation, les cheveux afros, ça été clairement éjecté. Je compte même pas le nombre de coiffeurs face à des cheveux afros qui ne savent pas quoi en faire du tout. Il y en a une partie d’entre eux qui sont de très mauvaise volonté, car le racisme dans le milieu de la beauté ne manque pas. Mais il y aussi des coiffeurs à qui on n’a jamais appris. »
Il existe donc, dans le milieu de la coiffure, à la fois une absence de connaissance et un manque de considération pour les cheveux de types non-caucasien. Agathe Guittet exprime d’ailleurs son regret face à ce phénomène, et pense que les formations pourraient être beaucoup plus complètes :
« Il y a clairement un énorme problème sur les programmes. Ça serait plus intéressant qu’on apprennent a gérer des cheveux asiatiques, afros… On est tellement mono-centrés. Ne serait-ce qu’au sujet de se tenir au courant des nouvelles techniques, ça évolue constamment. Il faudrait faire quelque chose de beaucoup plus inclusif parce que clairement, ça manque. »
Il n’y en effet pas tant d’options pour les personnes qui ne trouvent pas un coiffeur ou une coiffeuse formés sur les cheveux bouclés ou afros. Il existe bien quelques salons spécialisés à Paris mais il y a beaucoup d’attente, et ça ne reste que centralisé sur la capitale (ou dans les grandes villes).
Les problèmes que causent le manque de formation
Le souci avec ce manque de formation des coiffeurs ? Beaucoup de ratés sur les cheveux bouclés et afros dans les salons « classiques » : certaines personnes craignent même d’aller chez le coiffeur car elles ont été refusées à l’entrée plusieurs fois.
Sophie Castelain-Youssouf, notre responsable brand content (contenus sponsorisés) chez Madmoizelle, évoque son rapport à ses cheveux et ses relations complexes avec les coiffeurs :
« Je n’ai jamais eu un bon rapport avec mes cheveux depuis aussi longtemps que je m’en souvienne. J’ai grandi dans un gros village des Midi-Pyrénées et jusqu’au lycée, j’ai été la seule de tous mes établissements scolaires à avoir ce type de cheveux.
Je vivais seule avec ma mère blanche, et étant métisse, c’était assez difficile de me projeter. J’avais assez honte de ma couleur de peau et de mes cheveux. Ma mère adorait me coiffer, et me faisait des compliments… Je détestais ça. Je me rappelle que je craignais le coiffage des cheveux, ce qui était censé être un bon moment ne l’était pas du tout… (…)
J’ai dû aller chez le coiffeur une fois par an au cours de toute ma primaire. Et à chaque fois j’avais droit à des remarques du genre « Oula, mais tes cheveux sont très secs ». Dans ma tête de petite fille, « sec » voulait dire moche. Elles n’avaient pas tort cependant : mes cheveux ressemblaient à de la paille. Je ne savais pas m’en occuper et les coiffeuses ne me donnaient pas de conseils à part faire des masques. Mais trouver un masque adapté à mes cheveux en zone rurale au début des années 2000 n’a jamais vraiment été possible. Ou du moins, pas des choses qui n’abîmeraient pas mes cheveux à la longue.
Et en même temps j’avais l’impression d’être un objet de curiosité, les coiffeuses s’extasient, en me disant « Mais c’est magnifique, pourquoi tu ne détaches pas tes cheveux… ». La seule chose qu’elles me proposaient, c’était de les désépaissir… Autant dire qu’à la repousse, c’était une catastrophe. J’avais encore plus de volume. Dès la sortie du salon, je rentrais chez moi en courant pour que personne n’ait le temps de me voir dans la rue avec mes cheveux détachés.
Puis à partir de la quatrième, j’ai commencé à me lisser les cheveux, ça me prenait un temps fou, j’y passais peut-être six heures par semaine. Et quand je ne me lissais pas l’entièreté des cheveux, je lissais ma frange et je les attachais derrière en chignon. À partir du lycée, ma coiffeuse m’a parlé d’une technique révolutionnaire pour dompter mes cheveux : le défrisage… Puis deux ans plus tard, un nouveau soin nommé le lissage brésilien… En bref, la seule solution qui m’était proposé pour me coiffer était de me lisser les cheveux. Je ne me posais pas la question, je ne connaissais pas d’autres modèles. Je n’ai pas eu Internet chez moi avant mes 17 ans et les seules représentations que j’avais étaient celles des objets culturels qui ne me ressemblaient pas. Bref, j’avais beau essayer de m’y conformer, plus j’avais de compliments plus j’étais mal dans ma peau.
Ce n’est qu’en arrivant à Paris que j’ai compris qu’il y avait d’autres possibilités, et cela n’a pas tout de suite été évident. Je suis arrivée en 2013 et ce n’est qu’en 2015 que j’ai commencé à me détacher les cheveux, après les avoir préalablement décolorés complètement. Je n’ai jamais assumé mes origines, du coup je ne voulais pas ressembler à un stéréotype, et j’adoptais les codes physiques européens au maximum. J’adorais qu’on me demande si ce n’était pas ma couleur naturelle.
Mais le point positif, c’est qu’en arrivant à Paris, j’ai trouvé des produits adaptés. Je suis de plus en plus passé à une routine naturelle. Encore aujourd’hui, je trouve ma couleur naturelle fadasse, du coup je fais des couleurs naturelles à base de henné pour avoir de jolis reflets. Je m’occupe de mes cheveux moi-même et j’en suis très contente. Je n’y passe pas autant de temps qu’on pourrait le croire. Mais je sais quoi répondre si on m’attaque. »
Le témoignage de Sophie est loin d’être un cas exceptionnel. Les cheveux ont beau faire partie intégrante de notre identité, si l’on n’apprend pas à s’en occuper et si l’on est moquée, le complexe des boucles peut devenir plus profond.
Sur Twitter aussi, les témoignages affluent sur le sujet. On peut dire qu’il existe autant d’histoires catastrophes chez le coiffeur que de boucles sur ma tête :
« Quand j’étais plus jeune, les coiffeurs refusaient de me prendre en charge, contrairement à ma sœur qui a les cheveux lisse légèrement ondulés. Ce qui était vraiment humiliant, car la raison de leurs refus était évidemment la texture de mes cheveux. Mes parents étaient obligés de s’embrouiller avec eux pour que je puisse être prise en charge, pour au final souffrir et voir mes cheveux se fait maltraiter. J’en ai gardé un vrai traumatisme, aujourd’hui encore j’ai beaucoup de mal à laisser mes cheveux entre les mains d’un coiffeur. »
@mariam_MA300
Je me suis fait recaler à la vitesse de la lumière par le coiffeur quand il a vu mes cheveux, j’avais même pas fini d’ouvrir la porte quand il m’a demandé de partir.
@Autruche_Furax
Coupe CATASTROPHIQUE et la coiffeuse qui me dit après « Les cheveux bouclés, ça se dompte », alors que je ressemblais à Bonnie Tyler.
@Corleonys
On me disait : « C’est pas très beau les cheveux bouclés, ça fait négligé. » Et le fait qu’à chaque fois, c’est toujours un brushing parce que les coiffeurs ne savent pas s’occuper de ce type de cheveux…
@Zohalexandra
Quand je suis allée chez un coiffeur pour un soin réparateur, il m’a vendu un truc à base de Botox et de kératine, et un lissage brésilien, me disant que ça n’allait pas lisser. Résultat, il m’a fait payer 240 euros pour abîmer mes cheveux de l’intérieur, et ça dure depuis six mois.
@AnoukGresset
On m’a déjà refusé un lissage parce que ça prenait plus de temps et d’énergie que ce que ça coûtait. C’est pas ce qu’on m’a dit directement, mais c’était implicite. Depuis je vais plus chez le coiffeur, sauf s’il est de la même origine que moi, et sait donc me coiffer.
@dismoidima
Je suis aller chez un coiffeur, il m’a fait une coloration brune sur du blond décoloré, qui a viré au vert dès le lendemain. Mais surtout, il a lissé mes cheveux sans me demander, en les brûlants extrêmement au passage, et j’ai pleuré pendant une semaine mdr.
@zenaahs
Un constat donc : celui que trop souvent, les gens aux cheveux bouclés ou afros se retrouvent entre les mains de personnes qui ne savent pas gérer ces types de cheveux.
Pour certaines, un mauvais passage chez le coiffeur peut abîmer leurs boucles pour plusieurs mois, voir plusieurs années. Pour d’autres, c’est tout simplement un traumatisme d’y avoir été, car on les a éjectées du salon. Encore aujourd’hui, il n’existe pas assez d’options pour obtenir une coupe correcte ou un soin qui corresponde.
Si vous êtes dans la même situation et de passage à Paris, vous pouvez vous tourner vers des salons tel que Boucles Ébènes Studio ou encore Le Bar À Boucles. Cependant, le besoin d’options et de salons spécialisés pour que toutes les personnes en demande de traitements adéquats soit satisfaites se fait toujours ressentir.
Peut-être qu’à l’avenir, des salons de coiffure spéciaux vont se développer. Ou les formations vont enfin s’améliorer. Mais pour l’instant, compliqué pour les personnes aux cheveux bouclés et afros de ne pas esquiver le salon du coin de la rue…
Crédit photo : Pexels Cottonbro (3993449)
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Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Un jour peut-être qu’il y aura au moins un salon spécialisé dans chaque région de France