Voilà, ça fait quelques mois qu’on se connaît tous les deux. Je t’aime autant que Sue Ellen aime le Whisky, et tu m’aimes autant que Gainsbourg aimait les Gitanes. Entre nous, c’est sûr, c’est une affaire qui roule.
Mais avant d’aller plus loin, je pense qu’il faut qu’on discute. Comme on dit, une belle histoire d’amour repose avant tout sur l’honnêteté. Je suis plutôt d’accord. Tu vois, je pense que Lois Lane et Clark Kent, ça n’aurait jamais pu fonctionner si elle n’avait jamais su que son mec aimait mettre son slip par-dessus sa combinaison en vinyle bleu.
C’est pour ça qu’il faut que je t’apprenne la vérité sur moi. Voilà. Pour commencer, sache que je suis poilue. Sur certaines parties de mon anatomie, je le suis peut être plus que toi. Oui, mes cuisses lisses comme des fesses de nourrisson, je les dois à Gillette, à mon gant de crin et à Nivea.
Tu auras remarqué que j’ai systématiquement 20 minutes de retard aux rendez-vous que tu me donnes, surtout quand ils sont prévus au dernier moment. Et bien j’ai le regret de t’annoncer que c’est parce que c’est précisément le laps de temps qu’il me faut pour rendre mes mollets glabres et mes aisselles soyeuses.
Et encore, estime toi heureux que j’entretienne mes sourcils et ma moustache même lorsque nous ne nous voyons pas. Vu comme ça, c’est sûr qu’avoir une amoureuse aux origines méditerranéennes, c’est beaucoup moins exotique.
D’ailleurs, au passage, est-ce que tu la trouves sexy Frida Khalo ? Ça me ferait de sacrées vacances si oui… Tant qu’on y est, sache également qu’au naturel, mes cheveux, que tu trouves si doux, c’est de la paille. Mes coudes, c’est du papier de verre. La peau de mon visage, c’est la surface de la lune, mes yeux ne se déplacent jamais sans leurs valises, et mes pieds sentent le camembert bien fait. Mon cul c’est du flamby, mes cuisses, c’est une orangeraie qui s’épanouirait un peu trop près d’une centrale nucléaire. Seulement, grâce à la magie de la cosmétique, tu ne t’es jamais rendu compte de rien.
Et moi ça me coûte une véritable fortune, en argent mais aussi en temps. Crois-moi, la nature et moi, on n’a pas grand chose à se dire, je suis navrée. Autant que tu le saches avant que mon compte en banque et mes pots de crème ne soient définitivement vidés. Si je suis telle que tu me vois, c’est uniquement grâce aux miracles de la chimie et du marketing.
Je sais que je devrais t’épargner, mais ça reviendrait à te laisser vivre dans l’ignorance. Et ça je m’y refuse. Alors accroche-toi : je fais caca. Et je pète. Depuis que nous sommes ensemble, à deux ou trois reprises, j’ai frôlé l’occlusion intestinale pour ne pas que tu découvres le pot aux roses. Il m’est même arrivé de feindre un rendez vous avec ma banquière pour pouvoir faire un aller-retour vite fait chez moi et enfin couler un bronze.
Je sais, c’est affreux de découvrir que tout ce qui sort de moi n’est pas que paillettes et papillons. Mais que veux-tu, je suis un être de chair et de sang, tout ce qu’il y a de plus banal.
Et puis soyons honnêtes : tu m’as vu manger. Où croyais-tu que tout ça allait ? Dans un trou d’anti-matière entre mon estomac et mon intestin grêle ? Afin que notre relation aille plus loin, je crois qu’il est temps que tu investisses dans une bouteille d’Airwick fraîcheur marine et que tu acceptes de me voir disparaître quelques temps avec le catalogue de La Redoute sous le bras sans poser de questions.
Ah et tant qu’on y est : je sais monter des meubles Ikea toute seule. Je sais aussi changer des ampoules et planter des clous. Je suis capable de porter des choses lourdes, même sur une grande distance. J’ai pas si peur que ça des araignées
, et si un jour je perds mon décapsuleur, j’ouvrirai ma bière avec mes dents. Je peux taper un sprint en talons de 12 si le besoin s’en fait sentir.
Je sais, c’est un choc : en réalité, je suis parfaitement capable de me débrouiller seule. Comment je faisais avant toi ? Oui, certes, à ta décharge, je t’ai toujours dit que ma vie avant de te connaître, c’était les limbes et l’obscurité. En fait c’est pas tout à fait vrai. Ma vie avant toi était certes carrément plus chiante et bien moins intéressante, mais je me démerdais pas trop mal. Puis un jour, j’ai vu à quel point tu aimais m’ouvrir les pots de cornichons récalcitrants, et je me suis engouffrée dans la faille. Les garçons, ça aime les princesses en détresse, c’est un fait établi.
Ah mais non, désolé, je ne suis pas la seule qui rote comme un routier et qui parle comme une poissonnière. Mais ne fais pas l’innocent, je sens bien que tu jubiles quand je montre un signe de faiblesse en essayant de soulever un carton. Je sens bien que tu n’attends qu’une chose : me dire, le torse bombé, le regard fier “laisse, chatounette d’amour, je vais le faire”. Tu n’aurais pas été là, je l’aurais charrié tant bien que mal ce carton. Mais je ne peux résister à la tentation de te voir agir en héros. Je sens que ça te fait presque plus plaisir qu’à moi. Et moi, grande flemmasse devant l’éternel, ça m’arrange bien.
Oui, je sais, c’est mal, c’est petit, c’est bas. Mais je sens que tu aimes tellement ça quand je prends un air de cocker enamouré pour te demander de l’aide pour changer une ampoule que j’ai du mal à résister.
A contrario, depuis que nous sommes ensemble, tu crois que sous mes airs de princesse fragile se cache une femme forte et indépendante, sûre de ce qu’elle veut. Un peu couillue, détachée. Du genre que si tu me décommandes pour passer une soirée bière-foot avec tes potes, moi drapée dans ma fierté, je te dirais que ça tombe bien, parce que justement, je trouvais qu’on se voyait beaucoup et que ça serait pas plus mal qu’on se ménage du temps l’un sans l’autre. Et qu’à cet effet, j’irai moi aussi me saouler au rhum avec mes copines.
Pardonne-moi de t’annoncer ça de but en blanc, mais c’est faux. En réalité, ce que je vais faire, c’est ingurgiter des épisodes de Grey’s Anatomy par les yeux et des oursons à la guimauve par la bouche. Le tout en relisant en boucle tous les sms que nous nous sommes envoyés depuis le début de notre idylle. Il ne sera pas interdit que je verse une petite larme en relisant celui de hier matin “doudoune, t’es mignonne, mais c’est la troisième fois cette semaine que tu pars de chez moi en laissant le frigo ouvert. Tu serais vraiment chou de penser à t’acheter un cerveau”.
Oui. En vrai, je suis une midinette paniquée. Et lorsque tu me dis que tu m’appelles vers 21h et qu’à 21h23 mon téléphone n’a pas encore sonné, j’ai déjà rongé tous les ongles de ma main gauche.
Voilà. Je pensais qu’il était temps que tu saches qu’en fait ta copine, et bien c’est un boudin velu, au transit de compétition, qui sait changer une ampoule mais qui est incapable de rester plus de 24h sans nouvelles de toi sans faire une attaque cardiaque. J’espère que ça te va quand même. D’autant que je sais que tu n’es pas toi non plus celui que tu cherchais à me vendre : je t’ai vu l’autre jour pleurer devant un téléfilm de la 6. Mais je t’aime quand même…
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