Le mois de juin à Chennai est un peu le mois de tous les superlatifs. C’est par exemple le mois où il fait théoriquement le plus chaud et durant lequel tu développeras avec ta sueur une relation torride et privilégiée, rapport aux 45°C que Wikipédia prédit chaque année à ce moment là.
Mais c’est aussi le mois durant lequel les associations LGBT organisent le plus gros de leurs manifestations culturelles. Au début du mois, l’Alliance Française de Madras accueillait le Festival du court-métrage LGBT Pride sans Prejudice. Un peu plus tard, comme dans beaucoup d’autres villes du monde, Chennai organisait sa LGBT Pride annuelle, pour la cinquième année consécutive.
Cyclothimique à tendance agoraphobe, j’évite habituellement les grands rassemblements et autres mouvements de foule propices à l’échange de miasmes ou à la mort par piétinement. Chacun sa gestion du risque.
Du coup, je vous le confesse : je n’avais jamais assisté à une LGBT Pride avant. Pourtant en juin 2010 j’étais à Bruxelles, en juin 2011 j’étais à NYC et en juin 2012 j’étais à Paris (oui, je me la pète, oui). Et malgré ça, pas une seule marche des fiertés à mon actif, rien, nenni : j’ai tout suivi depuis mon ordi confortablement relié à l’Internet des voisins.
Heureusement, en 2013, le changement c’est maintenant. Et puis l’avantage d’une LGBT Pride en Inde, c’est que je ne redoutais pas trop trop le mouvement de foule fatal, si tu vois ce que je veux dire.
Donc ce dimanche-là, j’ai sorti la seule jupe un peu courte (de toute façon, je n’ai pas les jambes longues) de mon placard, mis ce que je comptais de copines dans un taxi et nous avons mis cap sur le Stade Rajarathnam dans la jolie partie nord de Chennai, où tout le monde s’était donné rendez-vous.
Love balloons
À l’entrée du stade, une petite centaine de personnes tiennent des ballons de toutes les couleurs, les pancartes appellent à plus de tolérance face aux queers, on revendique le droit de coller un bindi sur le front de son compagnon, les transexuelles sont belles, les gens sont joyeux, un homosexuel aux cheveux blonds et bouclés nous raconte comment il se fait draguer par des hommes qui le pensent femme tout en se défendant de se travestir…
Les participants ont entre 25 et 45 ans, une maman est venue avec sa petite fille âgée d’une dizaine d’années, quelques enfants battent les percussions, il y a beaucoup, énormément, de jeunes garçons et le soleil est au rendez-vous.
Au bout de quelques minutes la foule se met en marche, encadrée par sa soixantaine de policiers dépêchés pour l’occasion et autant de journalistes caméras au poing. De cent cinquante au départ, elle atteindra le demi-millier de participants à l’arrivée.
Salut, beau blond
Pendant 2h, la foule grossissante marchera dans les petites artères de Chennai, n’ayant cette année pas obtenu l’autorisation pour défiler le long de Marina Beach, élément-clé du patrimoine urbain de la ville.
Les gens danseront, scanderont des « We are gay, that’s ok », « We are lesbian, that’s ok », « We are queer, that’s ok » et leurs équivalents en tamoul. Je peux vous dire que malgré les 40°C et l’exercice physique, beaucoup de monde a frissonné.
« Hétéro, mais pas étroit d’esprit »
Entre divertissement et militantisme
Les discours de la fin rappeleront que la première Gay Pride indienne eut lieu à Calcutta en 1999, et la première de Chennai 10 ans plus tard. Dans les tracts distribués pendant la marche dansante, on appelait le gouvernement à assurer aux membres de la communauté les droits fondamentaux dont ils sont pour le moment dépourvus : dignité, égalité et liberté d’expression.
On exigeait l’accès, au même titre que le reste des citoyens indiens, aux programmes sociaux. Aux familles, on demandait de ne plus rejeter les enfants en raison de leurs préférences et/ou identité sexuelles. L’accent fut aussi mis sur les étudiants, avec un paragraphe rappelant la nécessité de pénaliser le harcèlement scolaire et sexuel à l’encontre des étudiants homosexuels ou transgenres.
Le papier concluait en exhortant les médias, les institutions et les entreprises à cesser toute discrimination envers des membres de la communauté LGBT avant de remercier chaude ment les personnes, encore trop rares, qui soutenaient le mouvement LGBT. On est encore loin du mariage pour tous, mais les speakers qui se chargeaient de lire et de distribuer les tracts mettaient tellement d’amour à la tâche qu’on ne pouvait s’empêcher d’être optimiste. Parole de pessimiste.
Autour de nous, les badauds immobiles regardaient passer la foule en souriant. Pas de défiance particulière. Certains se sont même joints à la marche en cours de route. Beaucoup de jeunes portaient des masques de couleur, un peu pour le jeu mais peut-être un peu par peur aussi.
Les policiers comme les spectateurs affichaient pour la plupart une bienveillance plutôt surprenante. Certains se sont même laissés aller à une certaine complicité avec les figures de proue du mouvement LGBT chennaite.
« Tu me tiens ça deux secondes ? » « Nan, c’était pour rire ! »
Seule ombre au tableau, l’immense minorité de filles dans la foule. Mes amies et moi portions des jupes (en-dessous du genou pour la plupart), et l’unique réflexion vint d’un manifestant… américain. Preuve s’il en est que souvent, les expats se surprennent à être plus royalistes que la reine.
Les intermèdes WTF
Pendant la marche, on aura dansé malgré la chaleur, reçu des tracts de la Peta et pris des gens dans nos bras en échangeant nos sueurs comme si on avait partagé nos couches.
La Peta, première sur les droits des gays, des femmes et des chatons. Hein ?
Mais on aura aussi reçu des mini-Bibles, très aimablement offertes par un groupuscule catholique venu prêcher la bonne parole en jurant que si on arrêtait le massacre maintenant, Jésus nous ouvrirait grand les bras en nous karsherisant à l’eau bénite.
J’ai accepté leur cadeau, partagée entre l’élan de politesse et l’éclat de rire, tandis que ma voisine transexuelle a jeté la sienne dans la première flaque venue. Certaines blagues doivent être moins drôles que d’autres.
Ils revinrent au moment du discours mais se heurtèrent à l’indifférence générale. Faut croire que les magnifiques créatures sur l’estrade un peu plus loin, qui dansaient en sari traditionnel ornés de bijoux plus brillants les uns que les autres, passionnaient un peu plus les foules qu’un groupe de haters bigots tout de gris vêtus.
En bref, cette première LGBT Pride dans un pays pas banal, l’Inde, fut une réussite et un beau moment d’amour et d’espoir !
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