En 2022, il aura fallu attendre la dernière seconde pour découvrir l’un des (si ce n’est le) meilleur(s) film(s) de l’année. Comme quoi, avec le cinéma, il ne faut jamais perdre espoir.
Sorti en salles le 28 décembre, Joyland a déjà marqué l’histoire du 7ème art car, outre ses qualités exceptionnelles, il s’agit du tout premier film pakistanais retenu en Sélection officielle à Cannes. C’est génial, même si, personnellement, je ne comprends toujours pas pourquoi il n’a pas remporté la Caméra d’Or… Mais je me console en me rappelant qu’il a tout de même gagné le Prix Un Certain Regard ainsi que la Queer Palm, très largement mérités.
Chef-d’œuvre d’écriture, merveille de mise en scène, fresque politique ultra-puissante et drame bouleversant qui fera couler vos larmes, Joyland est le film à voir cette semaine.
Joyland, de quoi ça parle ?
Dans la ville pakistanaise de Lahore, Haider et son épouse cohabitent avec la famille de son frère au grand complet. Dans cette maison où chacun vit sous le regard des autres, Haider est sommé par son père de trouver un emploi et de devenir père.
Le jour où il déniche un petit boulot de danseur dans un cabaret, il tombe sous le charme de Biba, danseuse sublime à la personnalité passionnante.
Alors que des sentiments naissent, Haider se retrouve écartelé entre les injonctions qui pèsent sur lui et l’irrésistible appel de la liberté.
Une histoire d’amour… mais pas que
Avant d’aller voir Joyland, j’ai lu quelques critiques de spectateurs à son propos. C’est alors que j’ai remarqué qu’un point revenait souvent. « Joyland est présenté comme une romance mais ne vous y fiez pas, le film n’est pas vraiment centré sur cette histoire d’amour. » De quoi parle-t-il, si ce n’est pas de cette love story entre Haider et Biba ? C’est poussée par la curiosité que je suis allée voir le film. Et effectivement, j’ai compris.
La romance promise par l’affiche et le synopsis du film est incarnée par Haider, un homme mutique et renfermé et par Biba, une femme transgenre. Mais s’il y a un personnage dont le résumé ne parle pas, c’est Mumtaz, l’épouse d’Haider.
Au croisement des oppressions patriarcales, un portrait de femmes passionnant
Souvent, lorsqu’il y a une histoire d’amour dans un film, les personnages de femmes trompées n’ont que peu de place. Elles restent reléguées au second plan. On a de la peine pour elles, mais elles restent exclues de la trame principale. Le film de Saim Sadiq est un pied de nez à ce trope cinématographique. C’est précisément grâce à Mumtaz, qui a tout autant de place à l’écran et dans l’écriture qu’Haider et Biba, que film prend tout son sens.
Biba et Haider sont loin d’être des ennemies et des rivales. En réalité, elles sont victimes du même système machiste. L’enjeu de Joyland est certes de raconter une histoire d’amour. Seulement, celle-ci n’est qu’une pièce dans le grand rouage du patriarcat. Cette grande machine qui oppresse les femmes jusqu’à leur mort, réelle ou symbolique, et dicte aux hommes des comportements virilistes absurdes, Joyland la met en scène avec une justesse édifiante. Il décortique tous les aspects de la masculinité toxiques et donne à voir ses conséquences mortifères à travers le destin de ses personnages.
Pour toutes ces raisons, et d’autres qu’on veut vous laisser découvrir par vous-même, Joyland est un grand film féministe.
La transidentité est un enjeu central du féminisme
Joyland jouit d’une photographie époustouflante, chaque plan du film interpellant par sa beauté, d’une trame étonnante, audacieuse et déchirante ainsi que d’une galerie de personnages incroyablement bien écrits. On retient en particulier celui de Biba, cette femme à la fois forte, intelligente, mais également très sensible et marquante.
Signe d’une grande justesse, le film a l’intérêt de nous épargner des scènes de violences insoutenables, comme on en retrouve dans certains films qui, sous prétexte de « dénoncer » la violence dont sont victimes les personnes queer, ne font que rejouer le traumatisme à l’écran, comme s’il s’agissait d’un spectacle.
Ici, la violence dont est victime Biba en tant que femme trans est ténue, ce qui ne l’empêche pas d’être aussi bouleversante que révoltante. Elle se niche dans des remarques, dans certains mots employés, des rires, parfois même, de simples regards, dont le réalisateur parvient à montrer en un mouvement de caméra que justement, ils n’ont rien d’inoffensif. Avec une justesse impressionnante, le réalisateur évoque également cette obsession que nourrit la société pour les organes génitaux des personnes trans dans deux scènes particulièrement mémorables, l’une dans les loges, l’autre dans une chambre.
On ne vous en dit pas plus pour ne rien vous gâcher de cette expérience sensorielle, sensuelle, émotionnelle et politique et qu’il ne faudrait rater pour rien au monde… Bonne séance !
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Crédit de l’image à la Une : © Condor Distribution
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