— Publié le 18 mars 2014
Qui n’a jamais vu une paire de Converse ou de baskets suspendue à un câble ridiculement haut, bravant les intempéries avec stoïcisme ? Qui n’a jamais entendu les diverses interprétations invoquées pour justifier ce drôle de folklore urbain ?
On parle d’un indice laissé par les dealers de drogue ou les membres de gangs, d’un signe de joie indiquant qu’un-e jeune a perdu sa virginité, d’une façon pour les « bullies » d’humilier leurs victimes… Mais où est la bonne réponse ?
Le site io9
relaie un court documentaire (un quart d’heure) australien, The Mystery of Flying Kicks (Le mystère des pompes volantes) qui s’est penché sur cette épineuse question. Des gens du monde entier ont posé des messages vidéos ou vocaux pour expliquer leur folklore national.
De quoi se coucher moins bête !
— Les gens se demandent ce qui peut bien motiver quelqu’un à faire ça. C’est un mystère ! On lève la tête, et on est en mode « Pourquoi y a des chaussures là-haut ? ».
— Peu importe le quartier, qu’il soit riche ou pauvre, il y a toujours des lignes électriques, et toujours des sneakers suspendues à des câbles.
— Au fil de mes voyages, je jetais un oeil et je voyais toujours des chaussures pendant de lignes téléphoniques…
— On dirait un canevas, une toile blanche sur laquelle les gens pourraient projeter leurs idées, et les raisons qu’ils imaginent.
— Salut ! J’appelle de Sydney, en Australie. Ici, quand on jette ses chaussures par-dessus une ligne téléphonique, ça veut dire qu’on a perdu sa virginité. Après leur première fois, les jeunes lancent leurs sneakers sur un câble pour célébrer.
— J’aime bien l’idée que ce soit une technique de harcèlement. Un harceleur met la main sur les chaussures de sa victime, et s’il est assez intelligent pour savoir comment faire, il attache les lacets ensemble (même si la plupart des harceleurs ne sont pas aussi malins), et les lance par-dessus la ligne électrique la plus proche, pour que la victime doive rentrer chez elle pieds nus. Faut croire qu’assommer les gens, ça ne suffit plus.
— Bonjour, je vous appelle d’Espagne. Ici la mafia utilise les chaussures pendues à un câble comme signal avertissant la police de ne pas s’approcher de cette rue ou de ce quartier. C’est comme un pacte entre les gangs criminels et les autorités.
— Je crois que l’explication la plus courante est que les chaussures délimitent une zone où on deale de la drogue, ou l’emplacement d’une « crack house », mais je sais pas comment c’est censé marcher. On ne peut pas voir une paire de chaussures en l’air, aller toquer à une porte et acheter de la drogue, sinon je pense que les flics l’auraient compris depuis longtemps !
— Si vous êtes à New York, plus précisément à Brooklyn, et que vous voyez des chaussures violettes : les couleurs du gang des Decepticon sont le violet et le doré. Donc si vous voyez une paire de Puma violettes et dorées suspendues à un câble, vous êtes sur le territoire des Decepticon.
— Une fois j’étais dans mon quartier [à Los Angeles] et j’ai vu plein de baskets suspendues au beau milieu du quartier. Ça m’a vraiment intrigué et j’ai demandé à un type mexicain pourquoi toutes ces baskets étaient rassemblées là. Il m’a dit que toutes ces pompes appartenaient à des membres de gangs décédés ; on les leur avait retirées quand ils se sont fait tirer dessus. Elles étaient vraiment tachées de sang.
Je lui ai dit « Donc ce sont tous les gens que vous avez perdus dans le quartier ? », et oui, c’est une façon d’honorer leur mémoire, en suspendant leurs chaussures.
— C’est une signature, c’est comme un tag en gros, mais au lieu de tagguer un truc, tu suspends tes sneakers. Tu lances tes pompes par-dessus une ligne électrique pour montrer que tu étais là, et éventuellement que tu as accompli quelque chose dans le quartier.
— J’ai inventé le terme « shoefiti » pour parler des chaussures qui pendent des câbles, en mélangeant « shoes » à « graffiti ». Le mot était parlant pour les gens, je vois que des gens tagguent des photos « shoefiti » sur Flickr maintenant, en parlent sur leurs blogs, c’est même sur Wikipédia ! Les chaussures ont un peu le même effet que les graffitis pour les gens ; quand on voit des pompes suspendues à une ligne électrique, c’est un peu mystérieux, on ne sait pas ce qu’elles font là. Parfois, les gens y voient une connotation négative à propos du quartier, donc elles ont pas mal de points commun avec les tags.
— En tant que fan de graffiti, je trouve que le « shoefiti » c’est vraiment de la grosse merde. Comment on peut comparer deux pompes pendant d’un câble à une oeuvre d’art ?
— Il nous fallait des stickers et des posters à coller dans la rue. C’était ça, être cool, à l’époque. Mais petit à petit, il y a eu des stickers partout, des posters partout… Alors dans un esprit créatif, il y a eu peu à peu des sneakers partout. C’était comme une nouvelle forme d’art, en quelque sorte. On a pas inventé le fait de lancer des pompes, hein, on l’a juste… réinventé. Je parle de sneakers, mais on lançait en fait des découpes de sneakers faites en bois. C’est un peu devenu une habitude : là où on voyageait, on lançait un lot de sneakers, par exemple mon frère en a suspendu en Afrique du Sud, à Londres, à Amsterdam… On a dû en lancer pas loin de 5000 paires à travers le monde, mais plus de la moitié d’entre elles sont à New York. Si vous voyez quelqu’un lancer une paire de sneakers, vous verrez que les gens applaudissent ! C’est presque une performance artistique.
— J’ai remarqué que certaines personnes voient l’image des chaussures pendant d’un câble comme un signe de déclin, de désolation urbaine, un indice disant que quelque chose est en train de s’effondrer, ou ne tourne pas rond. Et ça peut se comprendre : c’est une inversion de l’ordre naturel des choses, ces objets prévus pour coller au sol qui se retrouvent suspendus en l’air… Comment ça se fait ? Quelle ville correctement gérée permettrait ce genre de choses ?
Peter Teachout et John Hoff vivent dans une banlieue difficile au nord de Minneapolis. Leur « shoe patrol » fait partie d’un plan visant à transformer leur quartier en utopie urbaine.
— Il y a des câbles à cette intersection, j’ai vu des chaussures suspendues quand j’y suis passé en voiture avec Julie, et elle a dit que c’était le signe qu’un gang était dans le coin. Je ne veux pas de ça.
— On est la « shoe patrol », undercover !
— Regarde, elles sont là. On peut les attraper facilement.
— L’idée, c’était… Trouver une façon de dé-stigmatiser le nord de Minneapolis, considéré comme un endroit où il ne fait pas bon vivre. Quand les gens voient des pompes suspendues à des câbles, ils ont l’impression qu’ici, tout est permis, que les lois ou la décence n’ont pas droit de cité ici. Ça m’embête de voir que personne ne tient assez à ce quartier, aux câbles qui fournissent de l’énergie, pour retirer les chaussures eux-mêmes.
Quand je vois des pompes sur des câbles, il y a toujours des membres de gang pas loin. Bien sûr, je préfère des chaussures à des impacts de balles, mais pourquoi devrait-on supporter de vivre avec ces trucs qui donnent l’impression qu’on habite dans une décharge ?
— Pour moi c’est une bonne idée de parler de ce sujet sur le Web, parce que les gens se posent plein de questions. Et quand les gens se posent des questions, que ce soit au sujet d’un problème de santé ou de ces pompes suspendues, ils les tapent dans Google. J’ai lancé un site dédié au « shoefiti » pour y rassembler tous les différents discours sur le sujet, pour montrer « voici ce qu’on en dit au Japon, au Canada, etc. ». C’est vraiment un phénomène mondial.
— Est-ce qu’un « mème » n’est vraiment qu’une idée qui se déploie dans l’imaginaire collectif ? On pourrait parler de mode, de tendance… Mais un mème est une idée qui va d’entité en entité ; certain-e-s pensent que les mèmes nous « utilisent » pour se propager dans le monde, comme un virus qui utiliserait son environnement pour se reproduire. Sur Internet, ce qui compte ce n’est pas la précision, ou la vérité, c’est que l’idée se répande. C’est pour ça qu’Internet est un allié très puissant pour un mème voulant se propager. Les gens le font parce qu’ils voient d’autres le faire, et ils voient les autres le faire parce que quelqu’un l’a fait avant eux.
— C’est comme lancer un crayon dans un plafond en polystyrène. On peut juste le lancer là, et peut-être qu’un mec va passer un jour et se dire « Wow, comment ce crayon est arrivé là ? » : on aura créé une tension. C’est le même principe que « Haha, je t’ai forcé-e à regarder ! », vous voyez ?
— Ouais, j’ai suspendu une paire de pompes dans ce coin. Il y a beaucoup de restaurants ici, et quand les employés partent, ils lancent leurs pompes en guise de souvenir, et en prennent une photo.
— Parfois, des gens ont de vieilles paires de sneakers toutes abîmées, ils ne peuvent pas les donner à un organisme de charité, ils ne veulent pas les jeter, alors ils nouent les lacets ensemble et les lancent au-dessus d’un câble. Et quand ils revoient leur paire de pompes suspendue, ils revivent les souvenirs qu’ils ont engrangés quand ils les portaient.
— Ces sneakers… je pense qu’il y en a à moi, j’en ai lancé là-dessus en 1991. Ça me rappelle où j’étais en 91, et où j’en suis maintenant. Quand je portais ces pompes, j’étais un gangster. Maintenant je suis dans la légalité.
— C’est un peu la plus vieille question du monde, non ? Pourquoi nous cherchons un sens aux choses, et pourquoi nous voulons laisser notre empreinte sur le monde. Ça a un lien avec la mémoire, une sorte de mémoire collective, sur la durée. C’est comme si on continuait à vivre à travers cette mémoire… et oui, en fait, c’est le cas. Le simple fait de laisser un message sur un mur ou une chaussure suspendue quelque part permet de se prouver à soi-même qu’on existe. Quel aspect intéressant de l’humanité…
Mais c’est un peu illusoire, pas vrai ? À part si on est un grand artiste, qui signe ses oeuvres, on disparaît de la mémoire collective. C’est si tragique, vous ne trouvez pas ?
— C’est ce genre de choses qui résonne si différemment selon les gens qu’on n’en aura jamais UNE définition.
— Vous pouvez demander à 200 personnes et vous aurez 200 réponses différentes !
— C’est comme un trou noir dans les interactions sociales. Quelque chose est mis là-dedans et n’en ressort jamais. Peut-être qu’un jour je comprendrai, si je lance ma propre paire ! Au moins, je saurai pourquoi je l’ai fait.
Et vous, quelle est votre explication pour ces drôles d’oiseaux urbains ? Avez-vous déjà lancé une paire de vos chaussures ? Pourquoi donc ?
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Quand je vois toutes ces chaussures, je penses tout de suite à Big Fish, le film de Tim Burton qui est mon film préféré! Et toute de suite, la scène devient romantique et fantastique!
Cela me rappel quand le héros, Edward Bloom, rencontre sa femme, Sandra, dans un cirque. Il la voit et tout devient au ralenti, puis se fige et c'est coup de foudre! Le tout sur une magnifique musique de Danny Elfman.
Du coup, quand je les vois toutes ces chaussures, j'ai presque la musique en tête et ça me fait sourire! J'ai l'impression de voir du gui et je m'attend à voir débarquer Ewan Mcgregor et son sourire ravageur!
Et oui, ces p'tites chaussures mettent un peu de romantisme dans mon quotidien!
Je vous conseil ce film, plus d'info pour vous ici:
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=28644.html