Il s’agit du premier film de la réalisatrice, scénariste et productrice écossaise Charlotte Wells, qui a remporté le prestigieux Grand Prix lors du Festival de Deauville. Oeuvre virtuose et d’une grande sensibilité sur un jeune père et sa fille, Aftersun est aussi un film important sur la santé mentale.
À l’occasion de la sortie du film en salles ce mercredi 1er février, Madmoizelle a rencontré la réalisatrice Charlotte Wells.
Madmoizelle. Comment est venue l’idée et l’envie de faire ce film ?
Charlotte Wells. C’était en quelque sorte le prolongement de mon tout premier court-métrage, Tuesday. Les deux films sont liés en termes d’exploration cinématographique et d’exploration du deuil. Mais je pense que ce n’était qu’un petit aspect dont je parlais à l’époque, et dont je n’avais pas forcément réalisé l’importance. J’avais feuilleté de vieux albums de vacances et j’avais été frappée par la jeunesse de mon père au moment où j’approchais moi-même de cet âge. Ces images m’ont inspirée, même si le film est une fiction. C’est l’histoire d’un jeune père et sa fille en vacances en Méditerranée à la fin des années 1990.
Pourquoi avoir choisi de raconter cette histoire dans un contexte de vacances ?
C’était l’un des points de départ du projet. J’avais envie de recréer ces environnements que j’avais l’habitude de fréquenter quand j’étais enfant. J’ai pensé que c’était un intéressant d’explorer une relation dans un cadre éloigné d’un environnement familial, qui ne soit pas celui du foyer. Je pense aussi qu’il y a une tension inhérente à ce contexte de vacances car dès qu’ils arrivent à l’hôtel, une sorte d’horloge invisible qui tourne et progresse vers la fin des vacances.
Aftersun est un film mystérieux. On a l’impression qu’on cherche quelque chose, sans vraiment savoir ce qu’on cherche. Avez-vous eu ce sentiment d’avoir chercher quelque chose, mais aussi, de le trouver en faisant Aftersun ?
Le motif de la recherche était au centre de l’écriture. J’ai imaginé Sophia adulte, qui, après avoir elle-même fait l’expérience de la parentalité regarde en arrière pour chercher. Elle n’est même pas sûre de ce qu’elle cherche mais au fond, je pense, qu’elle est en quête d’une compréhension plus profonde de son père.
Elle passe au crible ce dernier moment passé ensemble dans l’espoir de trouver ou de redécouvrir, je pense, un amour qu’ils ont partagé et qui transcende finalement le chagrin qu’elle a éprouvé par la suite.
Et pour ce qui est de moi, j’ai toujours su que c’était le film sur lequel je voulais et devais travailler. Je n’ai plus envisagé de dévier ou de travailler sur un autre projet. Et je pense que j’ai trouvé quelque chose dans ce processus. J’ai passé du temps à réfléchir à cette partie de ma vie et à ces sentiments, et à faire face à la douleur que j’ai ressentie.
Dans Aftersun, la photographie, le montage et le son apportent du sens. Tous ces outils racontent des choses qui peuvent même être contradictoires entre elles. Avez vous le sentiment d’avoir écrit le film en plusieurs étapes ?
Je suis très intéressée par tous les outils à disposition dans la réalisation d’un film, grâce auxquels on peut créer du sens. Je trouve très intéressant qu’ils puissent s’aligner mais aussi se contredire d’une certaine manière. Par exemple, je pense qu’on peut utiliser la musique pour contredire une image à l’écran et utiliser le son pour ajouter une couche supplémentaire de sens. J’ai envie d’utiliser toutes ces choses pour dépeindre la complexité et souvent la contradiction inhérente aux émotions humaines. C’est une chose à laquelle j’ai beaucoup réfléchi au cours de l’écriture de ce film, de la création au travail avec les collaborateurs.
Aftersun est aussi un film sur la santé mentale. Comment avez-vous pensé les rares scènes qui évoquent subtilement la dépression ?
C’est un sujet très important dans le film. La dépression a toujours été l’un des aspects les plus difficiles de la création de ce film, tant au niveau du scénario que de la production et de la post-production. Je me suis demandé comment révéler progressivement le combat de Calum contre cette maladie. Un combat qu’il ne connaît et ne comprend pas entièrement, et encore moins Sophie, même lorsqu’elle est adulte.
J’ai imaginé cette scène dans laquelle Sophie est allongée sur le lit et décrit ce sentiment d’abattement après une très bonne journée. Est-ce le symptôme d’un sentiment qu’elle aura régulièrement en grandissant ? Je pense que sur le moment, c’était vraiment un enfant qui exprimait un sentiment assez normal, la descente d’adrénaline après une journée excitante. Mais Callum l’interprète différemment. Sa réaction à ce moment là du film montre que, selon lui, c’est beaucoup plus lourd de conséquences. Il a peur que sa fille doive mener la même lutte que lui contre la maladie.
Ne pensez-vous pas que votre façon d’évoquer la dépression participe au succès de film ?
Je voulais dépeindre la dépression d’une manière authentique, désordonnée, compliquée, parfois contradictoire et parfois subversive par rapport à ce la façon dont les gens la perçoivent. Pendant l’écriture, j’ai reçu beaucoup de commentaires de personnes me disant de représenter la dépression de façon beaucoup plus dramatique. Mais cela ne me semble pas fidèle à la façon dont cette expérience est souvent ressentie et surtout retenue en soi.
J’ai été très marquée par le fait que des spectateurs me disent qu’ils trouvaient cette représentation de la dépression authentique de la dépression, et qu’ils se reconnaissaient dans cette expérience. J’ai réfléchi aux raisons pour lesquelles le film a atteint un public plus large que ce que j’avais imaginé, et notamment pourquoi il a trouvé un écho auprès d’un public plus jeune que ce qu’aucun d’entre nous n’avait prévu. Je pense que sa représentation d’une lutte pour la santé mentale y est pour quelque chose.
Crédit de l’image à la Une : © A24
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