Mercredi 7 janvier, deux terroristes font un carnage à la rédaction de Charlie Hebdo. Douze morts.
Jeudi 8 janvier, un terroriste abat une policière municipale. Clarissa, 23 ans.
Vendredi 9 janvier, ce même terroriste prend en otage les client•e•s d’un hypermarché casher, porte de Vincennes. Quatre morts.
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Trois terroristes, dix-sept morts, et quatre millions de Français•es ont marché dans les rues de Paris, Bordeaux, Lyon, Lille, Marseille, et d’autres villes de France, d’Europe et du monde, samedi 10 et dimanche 11 janvier.
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Des représentant•e•s et chef•fes d’États du monde avaient fait le déplacement, y compris certains qui n’étaient pas franchement bienvenus, ou dont la présence au premier rang d’une marche républicaine en défense de la liberté d’expression.
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Lundi 12 janvier, l’euphorie du dimanche s’est dissipée : depuis mercredi, des dizaines de nos concitoyen•nes étaient victimes d’attaques terroristes. Agressions physiques, tirs et grenades lancés contre des mosquées, incendies, tags racistes…
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Le plan Vigipirate est toujours actif, et les menaces d’attaques terroristes envers les musulmans sont telles qu’un préfet dédié à la sécurité des lieux de culte a été nommé par Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur.
Lutter contre « les actes antimusulmans »
Mardi 13 janvier, François Hollande a rendu un hommage national aux deux policiers et à la policière municipale tuées lors des attaques.
Franck, Ahmed et Clarissa.
Le discours du Président de la République rebondissait sur le formidable élan de solidarité, et contenait des mots très durs à l’égard de ceux qui répandent la peur et la haine de l’autre.
« Nous devons agir en affirmant trois principes, la fermeté, c’est la condition de la sécurité, être
implacable face aux actes antisémites, antimusulmans, être intraitable devant l’apologie du
terrorisme et devant ceux qui s’y livrent et notamment les djihadistes qui se rendent en Irak ou en Syrie et qui aussi en reviennent.Le second principe, c’est d’agir avec sang-froid, en sérénité pour prendre les mesures adaptées aux circonstances et aux menaces sans faiblesse, mais sans précipitation.
Enfin, l’unité, celle que nous avons montrée, qui est notre arme la plus solide, qui est notre force, ce rassemblement, ce que les Français sont capables de faire quand l’essentiel est en cause et qui nous donne confiance dans notre avenir, qui nous rend plus robuste, plus solide, pour affronter quelque péril que ce soit parce que nous sommes, nous sommes la France. Un pays qui est toujours le point de ralliement pour le monde lorsque la liberté est en cause. »
Le Président a parlé d’actes « antimusulmans » pour désigner les attaques ciblées contre des lieux de culte et des commerces fréquentés et/ou détenus par des musulmans. Depuis les attentats de mercredi, la condamnation est unanime. Et même s’il y a eu de regrettables injonctions à se désolidariser des terroristes, comme si les musulmans avaient un quelconque rapport avec ces trois fanatiques, les voix en appelant à l’union nationale et condamnant tout amalgame ont été plus nombreuses.
« Des actes antimusulmans inadmissibles »
Mardi 13 janvier toujours, les député•e•s et les membres du gouvernement ont observé une minute de silence, avant de chanter en choeur une Marseillaise.
À la tribune, Manuel Valls a prononcé lui aussi un discours qui marquera l’Histoire. À l’heure où l’on redoute les amalgames, ses mots étaient clairs et sans concession :
« Il faut toujours dire les choses clairement : oui, la France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l’islamisme radical. La France n’est pas en guerre contre une religion. La France n’est pas en guerre contre l’islam et les Musulmans. La France protègera, et le président de la République l’a également rappelé ce matin, la France protègera, comme elle l’a toujours fait, tous ses concitoyens, ceux qui croient comme ceux qui ne croient pas. […]
Comment tirer un trait catégorique sur cette frontière trop souvent ténue qui fait que l’on peut basculer – pas d’angélisme, regardons les faits en face – dans nos quartiers, de l’Islam tolérant, universel, bienveillant vers le conservatisme, vers l’obscurantisme, l’islamisme, et pire la tentation du djihad et du passage à l’acte.
Ce débat, il n’est pas entre l’Islam et la société. C’est bien un débat au sein même de l’Islam, que l’islam de France doit mener en son sein, en s’appuyant sur les responsables religieux, sur les intellectuels, sur les Musulmans qui nous disent depuis plusieurs jours qu’ils ont peur. Je l’ai déjà rappelé, comme vous tous j’ai des amis français, de confession et de culture musulmane.
L’un de mes plus proches amis m’a dit l’autre jour, il avait les yeux plein de larmes et de tristesse, qu’il avait honte d’être musulman. Eh bien moi je ne veux plus que dans notre pays il y ait des Juifs qui puissent avoir peur. Et je ne veux pas qu’il y ait des Musulmans qui aient honte parce que la République elle est fraternelle, elle est généreuse, elle est là pour accueillir chacun. »
Son discours a été copieusement applaudi par la représentation nationale. Je ne peux que vous inciter à le revoir sur la chaîne de l’Assemblée Nationale, ou à lire sa retranscription (dans une très agréable mise en page).
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« Tout est pardonné »
Et puis, mercredi 14 janvier, Charlie Hebdo est dans les kiosques. Pas tous, car comme l’a révélé François Morel dans une lettre à Patrick Pelloux, certains kiosquiers refusent de vendre l’hebdomadaire. Rappelons qu’en France, pourtant, le délit de blasphème n’existe pas.
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Pour cette fois, ce n’est pas bien grave. Malgré une édition à 5 millions d’exemplaires, impossible de s’en procurer un dès la mi-journée : les points de vente ont été dévalisés, les gens faisaient la queue devant certains kiosques depuis 5 heures du matin. La folie. Si vous n’avez pas eu l’occasion de vous en procurer, notez qu’il va être réimprimé et vendu tout au long des quinze prochains jours.
Cet effet Streisand est la meilleure réponse aux tentatives de censure.
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Après L’interview qui tue que la Corée du Nord avait tenté de censurer, voilà que c’est l’hebdomadaire satirique qui se retrouve propulsé de « fanzine de lycéen » (selon les mots mêmes de Luz), à un succès de vente planétaire !
« Tout est pardonné » annonce un Mahomet en deuil, solidaire du ralliement républicain sous la bannière « Je suis Charlie ». C’est un peu comme si le prophète revendiquait #NotInMyName.
Luz a raconté les coulisses de ce dessin de Une sur le plateau du Grand Journal, mardi soir : le besoin cathartique d’expier la douleur et l’angoisse de la tuerie, lui qui fut le premier sur les lieux. Les hésitations, la tentation de représenter les djihadistes, et finalement le refus de participer à « leur plan de com’ ».
Cette couverture a d’ores et déjà été condamnée par l’État Islamique, qui accuse l’hebdomadaire de « d’exploiter les évènements pour en tirer un bénéfice matériel en vendant un numéro insultant le prophète ». En Turquie, la justice a ordonné le blocage des sites Internet qui diffusent cette couverture.
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Voilà. Mercredi 14 janvier 2015, la vie suit son cours, chacun fait son deuil, et la colère des uns ne leur donne toujours pas le droit de s’en prendre aux autres. On a enterré trop de morts pour une histoire de dessins, comme l’écrit si bien Matthieu Longatte (Le Bonjour Tristesse) :
« Deux Kalachnikovs face à des dessins. Des familles détruites pour un cahier de coloriage. Un cahier de coloriage où les couleurs ont parfois débordé, mais qui se voulait artistique, corrosif, en tout cas pacifique. Des dessins. Et désormais du rouge, du rouge qui coule partout, aspirant sur son chemin toutes les autres couleurs ainsi que ce que j’avais perçu comme des dérapages de coups de crayon. […]
En France, dans notre pays, on peut discuter des heures, des jours durant, de ce qui est condamnable par la loi, on peut se crier dessus, se détester, ne plus se parler, appeler à la justice et crier à l’injustice. Mais il nous suffit d’une seconde, d’une seule seconde pour affirmer que ce qui se condamne par le sang n’est pas et jamais ne sera, pas en France, pas dans notre pays. La justice est là et malgré la confiance précaire qu’on lui accorde, on a depuis longtemps tranché : celle-ci vaut mieux que la justice bestiale de l’homme, l’Histoire nous ayant prouvé qu’il ne mérite aucun crédit. »
— La suite à lire sur « À feu et ensemble », la tribune de Matthieu Longatte (Le Bonjour Tristesse)
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Oui, j’ai beaucoup cité les mots des autres dans cet article, les discours et les tribunes qui m’ont marquée cette semaine, mais c’est qu’après avoir écouté Patrick Pelloux, après avoir lu les témoignages de Luz, de Philippe Lançon, de Sigolène Vinson, la lettre d’Elsa Wolinski à son père, mes mots à moi me semblaient bien faibles, ternes, un peu ridicules et même insignifiants.
C’est une lourde responsabilité tout d’un coup, de prendre la plume pour raconter, commenter des événements qui nous dépassent à ce point. Mais comme le soulignait Vincent Dedienne dans un billet d’humeur sur France Inter ce matin, avec humour et pertinence, « ça va mieux en l’riant ».
– Un grand merci à Pauline et à Justine pour leurs photos !
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Les Commentaires
@Euki Cette marche "officielle" est assez rageante et je pense qu'on n'est pas au bout de nos surprises. J'espère simplement que les politiques français et les médias sauront lancer les vrais débats : l'éducation et le traitement de l'information, au lieu de se réfugier dans des retranchements faciles et polémiques comme la protection nationale.