« Une fusillade a éclaté dans les locaux de Charlie Hebdo »
C’était le 7 janvier 2015. La rédaction de madmoiZelle vivait une matinée ordinaire, jusqu’à ce que des tweets nous alertent de ce qui était en train de se passer à quelques rues de nos bureaux : une fusillade a éclaté dans les locaux de Charlie Hebdo.
Je me souviens de la première image qui m’a fait prendre immédiatement conscience de la réalité et de la gravité du drame qui se déroulait : c’était la vidéo du meurtre de l’un des policiers qui, alerté par les coups de feu, avait pris les terroristes en chasse. Relayée sur les réseaux sociaux puis par les chaînes d’infos en direct, on pouvait y voir l’agent tombé à terre, faisant signe qu’il était touché. Un homme s’approche de lui, et l’abat d’une balle dans la tête.
Un geste froid, glaçant à voir.
« Je suis Charlie »
Charlie Hebdo, c’était rien, ou pas grand-chose. Des mots mêmes de ceux qui le faisaient, c’était plus guère qu’un « fanzine ». Avec ses quelques 60 000 tirages, c’était pas un pilier de la presse papier française, loin s’en faut.
Mais voilà. Depuis « l’affaire des caricatures », et sa prise de position en faveur de la liberté de se moquer de tout ce qu’on veut, Charlie Hebdo était dans le collimateur des extrémistes de tous bords. Régulièrement en procès contre l’extrême droite, profondément irrévérencieux envers « le sacré » de tous horizons, le journal d’extrême gauche n’avait plus beaucoup d’ami•e•s, et guère plus de soutien dans le paysage médiatique français.
L’« esprit Charlie », la liberté d’expression, on les pratiquait bien avant, et bien mieux, j’ai envie de dire, qu’avant ces terribles événements. On ne se privait pas de critiquer, avec ou sans mesure, plus ou moins pertinemment, les choix du journal, ceux d’autres titres français ou étrangers.
Depuis cet attentat et son terrible bilan, Charlie Hebdo est devenu l’incarnation d’un esprit de résistance. Un comble pour ceux qui ont tant vomi les symboles.
« L’esprit du 11 janvier »
« Je suis Charlie » n’était pas un slogan, c’était une réaction spontanée aux propos des terroristes, rapportés sur Twitter : « on a tué Charlie ! ». Non. Vous avez tué des hommes. Les idées sont immortelles, et celles de liberté sont ravivées à chaque fois qu’on les proclame. Puisque ce sont elles que vous avez tenté d’assassiné, je vous réponds que vous avez raté la cible. Vous n’avez pas tué « Charlie ». Charlie, c’est nous.
Le 11 janvier, la France était belle, et notre unité nous rendait fièr•es.
« J’y étais ». De tous les événements historiques auxquels je pense avoir assisté, la Marche républicaine du 11 janvier m’a profondément marquée. C’était irréel, tous ces gens qui convergeaient vers la foule, comme des gouttes d’eau qui ruissèlent en torrents, vers le fleuve : un flot ininterrompu d’individus, marchant dans le même sens.
Nos lectrices nous ont envoyé des photos de tous les rassemblements, dans toutes les villes. Rien qu’à Paris, nous étions plus d’un million. En silence, en musique, en larmes, en colère, plein•e•s d’espoir, de tristesse et de regrets. C’était un véritable moment de communion, au-delà toutes nos différences.
Découvrez le diaporama des marches républicaines en France, le 11 janvier 2015, en cliquant sur le dessin de Cy.
« Je ne suis pas Charlie »
Derrière le choc de ces attaques, de nombreux•ses enseignant•e•s se sont retrouvé•e•s confronté•e•s à l’incompréhension de beaucoup de jeunes. En proie aux « théories du complot » répandues sur les réseaux sociaux et des sites peu recommandables, beaucoup de collégien•ne•s et de lycéen•ne•s ne se retrouvaient pas dans les valeurs de liberté d’expression. Et la violence de certains discours politiques, empreints d’intolérance et d’amalgames, n’y était pas pour rien.
Depuis, l’Éducation Nationale s’est mobilisée pour renforcer le dialogue et la transmission des valeurs républicaines. Suite à la fusillade du 7 janvier, le ministère de Najat Vallaud-Belkacem a reçu des centaines de lettres de citoyen•ne•s français•e•s de tous horizons, se proposant d’intervenir dans les établissements scolaires pour partager leur expérience professionnelle et/ou personnelle. Une « réserve citoyenne » a été créée pour recueillir et examiner toutes ces candidatures, et permettre à l’école d’ouvrir ses portes à la société civile.
D’autres actions (de formation notamment) ont également été déployées en parallèle. Un site dédié à l’expression par le dessin permet d’accéder aux ressources mises à disposition pour sensibiliser les élèves à la liberté d’expression et aux valeurs républicaines. Après tout, ce que les terroristes espéraient détruire en éliminant des dessinateurs, on peut le reconstruire et le renforcer en faisant naître des vocations… à coups de crayon.
150 dessins parmi ceux reçus suite aux attentats sont publié dans un recueil.
Une communion républicaine
De toutes les réactions et les analyses, de tous les commentaires et les avis, ce sont les mots de Jamel Debbouze que j’ai trouvé les plus beaux, les plus sincères, les plus pertinents. En interview sur TF1, le comédien français était revenu sur les valeurs républicaines :
« Naturellement, j’étais place de la République, avec tous mes frères et soeurs français, défilant, marchant tous dans la même direction. Avec une émotion très forte, j’avais jamais vécu ça pendant une manif. J’étais sonné à ce moment-là, mais il y a quelque chose qui renaissait, comme un élan d’espoir, de voir toute cette foule marchant dans la même direction et atteinte de la même manière, ça m’a rassuré sur la France et ça m’a rappelé combien la République était forte. […]
On peut descendre dans la rue pour défendre les valeurs de la République, même si on n’est pas d’accord avec les caricatures. Ça n’a strictement rien à voir. »
Un an… et 130 morts après
Un an après, de nouveaux morts, de trop nombreux morts ont été ajoutés à la liste des victimes de la violence terroriste en 2015. Aux douze victimes de janvier se sont ajoutées les 130 du Bataclan, du Petit Cambodge, de la Bonne Bière. Les centaines de blessé•e•s, les milliers de personnes touchées par le deuil.
À lire aussi : Les attentats du 13 novembre, quand le quotidien vole en éclats
Il n’y a pas que le quotidien des Parisien•ne•s qui a volé en éclats le 13 novembre : ce fut aussi le sort d’un bon nombre de débats sur « la provocation » des terroristes. Quand la violence s’est abattue sur la jeunesse en fête, elle a fait la démonstration de son aveuglement cruel.
Un nouvel épisode de Cam Clash, les caméras cachées d’expériences sociologiques, a été mis en ligne le 6 janvier. Le « test » mis en scène dans ces nouvelles situations était la confrontation d’un complice revendiquant « Je ne suis pas Charlie » à des accusations de « provocation ».
La production a précisé que ces extraits ont été tournés… Vendredi 13 novembre, quelques heures avant les événements qui allaient bouleverser la France et le monde.
Que ces polémiques de comptoir me semblent dérisoires dans l’ère de « l’après 13 novembre ». Qu’elles doivent paraître insignifiantes aux survivant•e•s de ces attaques, ciblé•e•s au hasard… Parce qu’ils et elles étaient dehors, en terrasse, à un concert, un vendredi soir, à Paris.
À lire aussi : Les attentats du 13 novembre et l’après, vus par Internet
Le 7 janvier, un an après
Un an après l’attentat ayant coûté la vie de 12 personnes, les 7 et 9 janvier 2015, la France commémore les victimes.
À lire aussi : Le documentaire « L’humour à mort — Je suis Charlie » rend hommage à Charlie Hebdo
À lire aussi :
- Le Monde, Sur les traces de « Charlie »
- Libération, Charlie Hebdo: un an après, hommage de Hollande aux forces de sécurité
- Arte, soirée spéciale THEMA du 5 janvier
Et sur madmoiZelle, retrouvez les hommages de 2015.
À lire aussi : L’hommage d’Alison Wheeler et des dessinateurs de presse à Charlie Hebdo
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Sinon, pour celles que cette question intéresse, un documentaire sur l'histoire de la caricature à travers les âges est disponible sur le replay d'Arte. Il permet notamment de comprendre que la question de la façon dont on représente les racisés est, au contraire, absolument essentielle, et pourquoi nous devons rester très vigilants sur ce point-là.