Je ne me suis jamais renseignée sur l’état de ma street cred, mais je sais que je m’apprête à la foutre en l’air avec un seul article, qui pourrait m’être fatal. Je mets peut-être ma carrière en danger, pour tout te dire. Ça me briserait le coeur, mais je pourrais toujours postuler pour un job de programmeuse musicale sur Chérie FM et j’y prendrais certainement un peu de plaisir, entre deux jets d’urine par les oreilles.
Je ne sais pas si, globalement, on peut dire que j’ai de bons goûts musicaux. Je ne sais même pas si cette notion existe. Mais il est fort probable, en tout cas, que mes proches s’imaginent que lorsque je déprime je choisis de le faire en écoutant Arcade Fire, Bowie, Elliott Smith et Nick Drake. C’est vrai, la plupart du temps. Pas toujours.
Car bon nombre de fois il m’est arrivé d’être surprise par moi-même. D’avoir les larmes aux yeux pour, concrètement, une chanson socialement peu acceptée, objectivement nulle ou qui a franchement mal vieilli (rarement tout ça à la fois : j’ose croire qu’elle ne serait jamais sortie le cas échéant). Et j’ai eu envie de faire mon coming-out du goût nul avec vous, car je sais que je peux vous faire confiance, que vous ne me jugerez pas sur l’autel du cérumen con.
Voici, madmoiZelle, monsieur, papa, maman, Charly (Charly c’est mon chien), la liste des chansons qui m’émeuvent honteusement.
Te garder près de moi, L5
Tu sais ce qu’on dit : on devine la qualité d’une chanson aux montages réalisés sur sa mélodie.
http://www.youtube.com/watch?v=nTKOSPN5cn8
Voilà.
J’aurais pu ne rien ajouter d’autre, mais je dois donner un peu plus d’indications sur mon émotion lorsque j’entends cette chanson. Elle m’émeut particulièrement parce que c’est elle qui clôturait la première saison de Popstars. Sur des images au ralenti, les L5 disaient au revoir à l’émission qui les avait rendues célèbres, et moi, comme j’étais fan sans oser me l’avouer, ça m’a bousillé le palpitant, tu vois.
Oui, à douze ans, j’ai pleuré devant Popstars. KESTUVAFÈR ? On est en pays libre j’te ferai dire.
À noter pour la précision émotionnelle que les frissons quand j’entends Reste encore pourraient être aussi forts que pour Te garder près de moi, mais il n’y a malheureusement pas assez de choeurs.
Sous le vent, de Céline Dion et Garou
On ne peut toujours pas mettre mon émotion sur le compte de la nostalgie de l’enfance : quand Sous le vent est sorti, j’avais déjà 12 ans. On ne peut pas non plus dire que c’est le clip qui me touche : on n’y voit ni plus ni moins que Garou et Céline Dion (en chemisier asymétrique du plus bel effet) qui chantent dans du linge blanc en train de sécher.
Je ne peux malheureusement pas expliquer mon trouble. Peut-être vient-il des paroles, qui m’évoquent un mec apprenant à sa dulcinée que non, il ne répondra plus à ses SMS. C’est pas qu’il a peur, c’est juste qu’il a envie de « donner des vacances à son coeur un peu de repos », tellement elle l’a secoué la meuf.
La fille, elle, elle est à fond, elle y croit, elle va l’attendre. Alors que lui, si ça se trouve, à force de donner des vacances à son coeur il va oublier que, fut un temps, cette fille lui a durci le chibre et attendri le cerveau — et on aura le dénouement de 59% des histoires d’amour, tou-te-s genres et orientations sexuelles confondu-e-s, selon un sondage réalisé par l’institut KI-CKAPT.
Quoiqu’il en soit, cette chanson, chaque fois qu’il y a une bonne soirée chez moi, je la passe, je la beugle de tout mon souffle avec les convives volontaires. Et sous la rigolade genre « haha t’as vu comme je chante mal », je le jure : j’ai les larmes aux yeux. C’est pas plus contrôlable qu’un pet vaginal. Mais je le cache. Tout de même.
Cassé, Nolwenn Leroy
Vacances de Pâques 2003 : j’ai quatorze ans et je connais une grosse période de remise en question pendant la durée exceptionnelle de trois jours après un drame comme tout-e adolescent-e en vit au moins une fois dans sa vie : mes meilleurs copains ont décidé de ne plus être mes meilleurs copains.
Je choisis alors de réagir dignement, avec toute la demi-mesure possible : je n’écoute plus que deux chansons en boucle, en me disant que ma vie est foutue pour toujours, et en appelant les personnes concernées toutes les trente secondes. Limite si je bavais pas de tristesse en essayant de me planter un ciseau Maped dans le coeur, quoi.
Ces deux chansons sont Please Sister des Cardigans et Cassé
de Nolwenn Leroy. Si je n’ai à juste titre jamais eu honte d’aimer la première, j’avais déjà à l’époque beaucoup plus de mal à assumer la seconde.
Déjà à quatorze ans, je répondais « Ah non. Je vois pas de quoi tu parles » quand on me demandait si j’avais regardé le prime de la Star Academy. En même temps, c’était une question piège. Comme la fois où on une fille cool en 5ème m’a dit « Eh, tu te masturbes ? Parce que moi oui », et que j’avais répondu « Oui » avant de la voir partir informer tout le monde en riant.
Eh bah tu sais quoi Sandra Futon-Flémot, ouais, je me masturbe parfois et J’EN AI PLUS HONTE OKAY VA BIEN T’ÉTOUFFER AVEC TES BAS RÉSILLES FLU – pardon je. Pardon. J’ai perdu le fil.
Un jour ou l’autre, Isabelle Boulay
http://www.youtube.com/watch?v=luyVRsLdWtw
La guitare tranquille qui me rappelle mon père qui en jouait quand j’étais petite, les violons, la batterie qui arrive pile au bon moment dans la chanson, la nostalgie des paroles et peut-être la rousseur des cheveux de la chanteuse qui en appelle à ma tendance au communautarisme… J’ai beaucoup trop de raisons expliquant mon amour pour cette chanson.
J’essaie de bien le vivre. Passons vite à autre chose.
Si demain, Kareen Antonn et Bonnie Tyler
Dire « j’aime Total Eclipse of the Heart » n’est pas une honte. La chanson de Bonnie Tyler date de 1983 et il y a prescription : on touche le stade has been mais fun. C’est comme Michel Berger : tu croyais pouvoir te moquer de tes amis lorsqu’ils écoutaient ses chansons ? Tu te mettais le colon dans l’oeil : Michel Berger, maintenant, ça s’assume. C’est ainsi.
En revanche, le duo Bonnie Tyler — Kareen Antonn avec Si demain est pour l’instant moins honorable, d’autant plus que les paroles bilingues français/anglais sont quelque peu décriées depuis l’arrêté Bagdad v. Tina Arena.
Mais j’aime cette chanson, que je préfère à l’original, et elle me donnera des frissons toute ma vie, je pense. Peut-être à cause des bébés husky dans le clip. Peut-être simplement parce que je peux pas m’empêcher de faire des moulinets avec mon poing et des jetés de cheveux quand je l’écoute. Parfois, il faut pas chercher plus loin. Les larmes dans la voix tiennent parfois à rien : une chanson nulle ou un poil de nez qu’on a tiré trop fort.
Sorry seems to be the hardest word, Blue feat Elton John
Dans la catégorie ces-chansons-sont-mieux-en-version-originale-mais-je-préfère-la-nulle, on retrouve aussi, bien évidemment, Sorry seems to be the hardest word par Blue, avec Elton John. Apparemment à l’époque, ça se faisait, de reprendre une chanson mythique, de lui rajouter des effets de r’n’b à trois centimes et de faire des chorégraphies dessus. Ça se faisait tellement que l’auteur-e de la chanson déboulait pour chanter en choeur.
Quoiqu’il en soit, cette reprise me donne envie de jouer du piano et de la chanter dans une comédie romantique un peu nulle. Je voudrais l’interpréter les yeux clos, la voix cassée par l’émotion, d’une façon très premier degré.
Et tu seras gentille de ne pas me juger là-dessus, s’il te plaît. Sinon je serai obligée de te dire un truc atroce : jusqu’à mes 12 ans, j’ai préféré la version nulle de Stand By Me par 4 The Stand à celle de Ben E. King.
S’agirait pas d’être la seule à souffrir socialement jusqu’à la fin de ma vie : à ton tour maintenant ! Viens nous dire quelles chansons (que tu as honte d’aimer) t’émeuvent beaucoup trop.
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