« Opérer un changement profond de regard de la société ». C’est la motivation derrière la nouvelle campagne du Secrétariat d’état chargé des personnes handicapées que l’on voit circuler depuis quelques jours.
À la cantine d’un lycée, dans une soirée d’entreprise, dans un bar, trois vidéos présentent des scènes du quotidien ; à chaque fois, un petit twist nous montre une personne valide percevoir une personne handicapée pour ce qu’elle est, et non pour son handicap.
Sur le papier, on pourrait se dire que l’intention est louable. Pour Les Dévalideuses, c’est un loupé total :
L’association féministe et antivalidiste développe pourquoi cette idée de changer le regard est très limitée en termes d’impact et que cette déconstruction ne doit pas être un enjeu individuel :
« Dire qu’il faut “changer de regard sur le handicap”, cela sous-entend qu’il n’y a pas de problème structurel, et que la majorité des problèmes viennent de l’absence de sensibilisation du public aux questions du handicap. De fait, on individualise le problème du validisme, et on le dépolitise.
Alors effectivement, il y a des trucs à changer dans les mentalités, et on espère y participer à notre échelle. Mais vous savez comment ça se produit ? Par la loi et par l’action. »
Le gouvernement espère-t-il faire oublier sa position sur l’AAH ?
C’est notamment l’un des spots qui a suscité le plus de critiques : en mettant en scène un rencard entre un homme valide et une femme en fauteuil, comment le ministère n’a-t-il pas pu anticiper les réactions des activistes mobilisées pour la déconjugalisation de l’Allocation Adulte Handicapé ?
Pour rappel, cette prestation sociale est versée aux personnes handicapées en France pour compenser l’inaccessibilité du monde du travail. À l’heure actuelle, son calcul prend en compte les revenus du ou de la partenaire de l’allocataire. Et cela pose un réel problème : si une personne handicapée vit avec une personne qui travaille, elle verra son AAH diminuer, voire disparaître, ce qui a pour conséquence de la placer dans une situation de dépendance économique.
C’est notamment ce qu’a souligné Florence Thune, la directrice de Sidaction, une des nombreuses organisations engagées dans ce combat.
La mobilisation pour la déconjugalisation de l’AAH est bien loin d’être terminée. Si le Sénat a approuvé la mesure ce mardi 12 octobre, le gouvernement y reste fermement opposé. Et préfère donc nous proposer de charmants spots de prévention.
Encore une campagne pleine de bonnes intentions, mais qui sonne creux
Réfléchir aux clichés, dire qu’on ne voit pas le handicap, faire des vœux pieux pour appeler à changer de regard… tout cela sonne comme de bonnes intentions. Et c’est insuffisant.
Car en attendant la France est toujours mauvaise élève quand il s’agit de respecter les droits des personnes handicapées. Pour faire des petits films, il y a du monde. Pour des mesures concrètes, on repassera.
Ce n’est ni plus, ni moins ce qu’a dit le producteur et humoriste Dominique Farrugia qui n’a pas fait mystère de son agacement à propos de la campagne sur RTL : « Je pense qu’on aurait mieux fait de mettre un peu d’argent dans l’accessibilité que dans un film, ou trois, qui vont nous sensibiliser », a-t-il déploré.
« Est-ce qu’on a pensé à demander aux handicapés de réfléchir à cette campagne ? Je ne pense pas. On a demandé à une agence, on a fait un appel d’offres, on a été vers cette agence qui l’a fait, on a fait appel à un très bon réalisateur… mais qui est valide. »
Une semaine après ces « bonnes habitudes » et autres gestes du quotidien auxquels on nous invite pour sauver la planète, sans prendre à parti les industries les plus polluantes, autant dire que la communication gouvernementale, qu’elle aborde l’environnement ou la laïcité, tombe toujours à côté de la plaque.
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Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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