Le festival de Cannes 2024 bat actuellement son plein, avec trois films produits par Saint Laurent en compétition : Emilia Perez, de Jacques Audiard, Parthenope, de Paolo Sorrentino, et Les Linceuls, de David Cronenberg. Anthony Vaccarello (directeur artistique de Saint Laurent) a donc pu participer aux discussions sur le scénario, le casting, et bien sûr les costumes. De quoi s’interroger sur les conséquences du financement grandissant par des grands noms du luxe du cinéma. Et même si ce genre de partenariats ne date pas d’hier, l’accélération de la prise de pouvoir de la mode sur le cinéma a de quoi inquiéter.
Pourquoi la mode se met à co-produire des films de cinéma ?
Une véritable amitié unissait par exemple Catherine Deneuve et Yves Saint Laurent qui s’est donc fait un plaisir de l’habiller dans Belle de jour de Luis Buñuel (sorti en 1967). Au même titre que le film qui est devenu culte, les tenues que l’actrice française y porte aussi sont restés gravés dans bien des rétines. C’est pour ce genre de publicités indirectes que les grandes maisons se battent pour habiller des célébrités dans le petit et grand écran, voire sont prêtes à payer pour cela, y compris au-delà des caméras.
Pour des événements hyper-médiatisés comme les César et les Oscars, pour des shootings dans des magazines, et même dans leur vie quotidienne… Les célébrités peuvent servir de star-sandwich pour qui en a les moyens, et le luxe ne le sait que trop bien. C’est pourquoi, plus que des sponsors de films ou de festivals, ainsi que des juteux contrats d’égérie, de grandes maisons sont prêtes à (co)produire films et séries. Et même à représenter les plus grands talents de l’audiovisuel.
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Du mécénat de Chanel, Miu Miu et Prada…
Si Chanel habille des ballets depuis 1924, au point d’être le premier mécène de l’Opéra de Paris aujourd’hui, c’est un partenariat beaucoup plus confidentiel que ce qui est en train de se mener entre le reste du luxe et le cinéma. Dès 2005, Prada a proposé à des cinéastes comme Ridley Scott ou Wes Anderson de leur produire des courts métrages.
Depuis 2011, c’est une autre maison dirigée artistiquement par Miuccia Prada qui s’y colle, avec Miu Miu qui a aussi bien commandé des œuvres à Zoe Cassavetes et Agnès Varda, que la nouvelle garde du cinéma. Par exemple, Miranda July a réalisé Somebody en 2014, Alice Rohrwacher De Djess en 2015, et Mati Diop In My Room en 2020.
… À la co-production et représentation chez Kering
De son côté, François-Henri Pinault, PDG de Kering, s’est montré beaucoup plus offensif. Depuis 2015, le groupe de luxe tient le programme « Women in Motion » censé mettre en lumière les inégalités femmes-hommes dans les domaines des arts et de la culture et faire évoluer les mentalités ». Pour cela, il récompense chaque année des femmes du septième art en grandes pompes. Kering détient aussi la maison Saint Laurent qui a annoncé en avril 2023 qu’elle produirait dorénavant des cinéastes comme Paolo Sorrentino, David Cronenberg, Abel Ferrara, Wong Kar Wai, Jim Jarmusch ou encore Gaspar Noé.
Pour bien marquer le coup, Pedro Almodóvar a même réalisé la première production Saint Laurent, présentéee au festival de Cannes le mois suivant cette annonce surprenante : Strange Way of Life, avec Ethan Hawke et Pedro Pascal.
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LVMH ouvre aussi sa propre société de production, 22 Montaigne Entertainment
Le PDG de Kering détient aussi la holding Artémis, à travers laquelle il a pris le pouvoir sur l’agence de talents Creative Artists Agency en septembre 2023. Celle-ci représente tout le gratin hollywoodien, comme Salma Hayek (accessoirement épouse de François-Henri Pinault), Brad Pitt, ou encore Scarlett Johansson. Bref, le milliardaire français va non seulement produire des films, mais aussi représenter les gens qui y jouent, ce qui ne fera des contrats d’égéries pour les maisons qu’il détient également (Gucci, Bottega Veneta, Balenciaga, Brioni…) que des formalités.
Face à tout cela, Bernard Arnault et son groupe LVMH ne sont évidemment pas en reste. Après avoir contribué à la production d’un documentaire sur l’une de ses maisons (le somptueux Dior and I, réalisé par Frédéric Tcheng et sorti en 2015), le leader mondial du luxe a annoncé fin février 2024 la création de sa propre société de production : 22 Montaigne Entertainment. Celle-ci aura pour mission de co-développer, co-produire et co-financer des contenus liés aux 75 maisons du groupe (comme Louis Vuitton, Guerlain, Ruinart, ou encore Tiffany & Co).
Mais pourquoi le luxe se rue ainsi pour contrôler le cinéma ?
Pour vous donner une idée des budgets (jamais communiqués) des géants du luxe, Chanel a récemment retourné une scène du film Un homme et une femme (Palme d’or à Cannes en 1966) avec ses égéries maisons Penelope Cruz et Brad Pitt. Et ce, en guise de teaser pour son défilé automne-hiver 2024-2025, où le réalisateur originel, Claude Lelouch, était au premier rang. C’est dire combien cette industrie regorge de moyens. On peut donc s’interroger sur cette prise de pouvoir grandissante de celle-ci sur le cinéma. Plus qu’une question de placements de produits dans des films et des tapis rouges, le luxe est lentement mais sûrement en train de prendre le contrôle des caméras pour mieux diriger les images, raconter des histoires, et ainsi façonner nos imaginaires.
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