Addictif, doux, parfois torturé. Something, a su s’armer des meilleurs éléments pour faire de la musique de Chairlift une musique qui se bonifie avec le temps : le producteur Dan Carey (qui a également travaillé avec Kylie Minogue) et les sonorités pop 80’s.
La voix aérienne et vaporeuse de Caroline rejoint à la perfection les claviers de Patrick. Rencontre avec deux personnages aussi antithétiques que complémentaires : Caroline s’épanche et théorise quand Patrick sourit et pèse ses mots.
Vous vous connaissez depuis vos années fac à Colorado. Comment s’est formé le groupe ? Via une annonce manuscrite placardée sur les casiers de l’université ?
Caroline : En fait, Patrick est la première personne que j’ai rencontré à la fac.
Patrick : Et j’avais un groupe. Après un concert, Caroline est venue nous voir. On l’a alors intégré au groupe. Puis le groupe a splitté. Puis quelques années ont passé. Puis on s’est revus à New-York. Puis Chairlift est né.
Caroline : Au début, il y avait Aaron. Chairlift, c’était nous trois. Mais il est parti. Alors voilà où nous en sommes : Patrick et moi.
Le grand public a commencé à vous connaître avec Bruises. Est-ce que cette chanson vous sort aujourd’hui par les trous de nez ?
Patrick : Quand on passe beaucoup de temps à bosser sur un album, une fois qu’il est terminé, on ne l’écoute plus. Les seules fois où on l’écoute à nouveau, c’est pendant le live. Alors ça va, je ne pâtis pas trop de la redondance.
Y’a un truc qu’on entend souvent à votre propos : « ils étaient plus cool avant ». Selon vous, à quoi s’explique cette espèce de passéisme qu’une partie de votre fanorat ressent ?
Caroline : Je crois que tout dépend de l’approche que tu as par rapport à la musique. Certains la « consomment » : the next big thing, la chose underground, la caution nouveauté.. c’est ce qui les intéressent. D’autres sont dans une approche plus « l’art pour l’art » : ils aiment la musique quelque soit ce qu’on en dit, quelque soit la réputation et la popularité changeante d’un groupe. Les gens qui nous trouvaient plus cool avant nous reprochent sans doute notre médiatisation soudaine. Ils prennent ça comme preuve que l’on est devenu grand public, mainstream, et donc moins pointus, moins fins. C’est dommage, parce que nous, on n’a pas changé.
Vous avez joué au Silencio [le club designé par le cinéaste David Lynch, se trouvant à Paris, juste en dessous du Social Club]. Je n’ai pas pu venir vous voir, mais beaucoup m’ont rapporté que tu es très « sensuelle » sur scène, Caroline.
Caroline : En fait, je dois t’avouer que c’est un truc très récent… Sur l’album précédent, j’avais toujours les mains coincées sur mon synthé. Mais quand on a composé ce nouvel album, certaines des chansons supposaient l’utilisation de deux synthés en même temps. Et comme je ne voulais pas me retrouver cachée derrière deux machines, les yeux baissés, à être loin du public, j’ai choisi de ne pas jouer du tout. Alors on a trouvé cette fille fantastique qui joue à ma place sur scène : elle joue sur les deux synthés à la fois, ce qui me permet de ne faire que chanter. Dans la foulée, je me suis donc aussi mise à danser.
Et tu es réputée plutôt à l’aise !
Caroline : L’ironie veut que si l’on m’avait dit « écoute, maintenant tu vas danser sur scène » il y a quelques mois, j’aurais été terrifiée. Mais avant notre tournée live sur cet album, on a enregistré le clip de Amanaemonesia. Et à cette occasion, j’ai eu beaucoup de cours de danse. J’ai appris à danser en public, en présence de gens que je connais ou non. Ça m’a carrément décomplexé !
Vous avez pensé quoi du Silencio ?
Patrick : C’est un endroit magnifique.
Caroline : Oui. Mais je dois avouer qu’au tout début, j’ai été un peu déçue. Je m’attendais à une ambiance plus exubérante encore, des rideaux très vifs, des paillettes, un ensemble très kitsch. Ceci dit, après mûre réflexion, j’ai réalisé que ce qui fait que les films de David Lynch sont effectivement « lynchéens », ce n’est pas tant les décors que cette étrange interaction qu’il y a entre la pop culture et le chaos. Auquel cas, le Silencio répond complètement à ce défi. On ne va pas au Silencio pour retrouver une atmosphère singeant celle des films de Lynch : on y va pour être confronté à une ambiance étrange, qui interagit avec nos situations contemporaines (une fille qui se remet du rouge à lèvre, un mec qui gratte une clope…).
Patrick, tu as aussi produit Das Racist. J’adore ce groupe.
Patrick : Ah, moi aussi, tellement ! Je n’ai pas toujours été le genre de mecs à écouter du hip hop. Je crois que tout a commencé il y a 4 ans. Avec Das Racist, justement – c’est eux qui m’ont mis dans le bain !
Tu écoutes quoi d’autre, depuis ?
Patrick : Public Enemy. Et dans un registre plus commercial : j’avoue être fan de Jay-Z.
Quelle est votre chanson préférée sur ce dernier album ?
Patrick : Je dirais Guilty as charged
.
http://www.youtube.com/watch?v=ayb1oEwRKDA
Caroline : Oh, c’est une chouette question. Je réponds Take it out on me sans hésitation.
http://www.youtube.com/watch?v=HNBFw-MhJQ0
Ahhh, mais Take it out on me m’a retourné le cerveau pendant plusieurs jours : y’a un sample dans le morceau que je n’arrive pas à retrouver.
Patrick : C’est amusant, plein de gens ont cru à un sample !
Caroline : Oui en fait, il n’y a pas de sample. Mais le même beat que celui dans Juicy Fruit des Mtume.
Hmm, attendez : morceau qui lui, a été samplé par…
Caroline : The Notorious B.I.G., oui !
Dans Juicy ! Cette chanson est géniale.
Patrick : Mais on ne l’a pas exactement samplé. On a juste imité une partie de la structure du beat. Les percussions sont les mêmes. C’est amusant, en matière de pop, les beats sont toujours recyclés. Mais personne n’avait pensé à ré-utiliser ceux-là avant.
C’est quoi le mieux et le pire dans la vie de musiciens comme vous ?
Caroline : Le mieux, c’est la musique. C’est la raison pour laquelle on fait tout ça. Le pire, c’est le manque de vie privée. Je ne suis jamais seule. Je ne me sens jamais isolée avec moi-même. Même à la maison : je vis avec mon petit ami, qui est aussi musicien, alors notre appart ressemble à un grand studio. Le seul endroit où je suis véritablement seule, c’est quand je me douche, vais aux toilettes et me brosse les dents. Ça fait de ma salle de bain un endroit très intense !
Patrick : Le mieux, ce sont les gens. Et le pire, ce sont les gens aussi.
Caroline, quels sont tes thèmes de prédilection quand tu écris ?
Caroline : Sur le précédent album, j’ai été l’unique « parolière » mais sur celui-ci, Patrick m’a beaucoup aidé à écrire. Disons que Does You Inspire You a été un album très « macro-sociologie » : on y a parlé d’éducation, de la place dans la société, de champs, de télécommunication, d’ordures… Et en même temps, Bruises est paradoxalement un morceau très personnel. Ouais, cet album est étrange.
Dans ce nouvel album, on zoom un peu plus sur le genre humain et on va plus dans l’introspection. C’est un album presque anti-social : refermé sur lui-même, sur l’intériorité d’un individu, sur son aliénation, son impossibilité d’exprimer l’amour qu’il ressent.
Frigid Spring est un morceau très personnel, par exemple. Il peut évoquer un trip sous champignon, un moment où tu es bien, et soudain tout s’arrête, tu réalises que ta vie est ce qu’elle est, dans toute sa banalité, et que l’interaction quotidienne que tu as avec cette personne que tu es censé aimer est pesante.
Pour terminer, dites moi un truc que vous n’avez encore jamais dit à aucun journaliste.
Caroline : Mon pied gauche est plus grand que mon pied droit. Mais genre, de beaucoup ! Je suis obligée de porter des pointures différentes..
Patrick : Dans 7 ans, j’arrêterai la musique. Je deviendrai scientifique.
— Interview et photos réalisées à l’Hôtel Amour.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Je pense pas que le groupe ai changé, généralement les gens qui disent "c'était mieux avant" m'agacent, je trouve qu'il a évolué. Dans le bon sens.
Les mélodies donnent toujours cette impression d'être tout droit sorties des années 80, sauf que là, la technique est irréprochable, le son est propre, nickel.