Alors que les violences gynécologiques et obstétricales sont de plus en plus dénoncées dans les médias, et que certaines têtes tombent, comme celle d’Émile Daraï à l’hôpital Tenon, c’est maintenant dans le domaine de la création artistique qu’on s’empare de ce sujet, avec notamment cette pièce de théâtre sur la maternité mais surtout sur la naissance.
Dans le dispositif ingénieux de mise en scène abordant avec finesse divers sujets liés à la naissance, qui a remporté d’admirables critiques de féministes à ne plus présenter – de Lauren Bastide à Judith Aquien en passant par Aurélia Blanc –, on assiste à des consultations pré et post-natales, à des accouchements. C’est à la fois beau car on voit la puissance des femmes, et effrayant car on entrevoit la répression de cette même force. Le très instructif compte Instagram Le Rôle de mère l’exprime ainsi :
« Et le fait que cette pièce existe nous montre que quelque part, cette expérience peut être entendue et aujourd’hui montrée.
Je n’aurais jamais pensé prendre tant de plaisir à l’évocation de la mort, de l’angoisse, de tout ce que j’ai vécu à l’époque en silence. »
On suit également l’histoire de la créatrice de la pièce, Nathalie Matti, comme un fil rouge, qui nous raconte comment la peur de la mort de son bébé, qui ne la quitte plus, provient d’une histoire familiale complexe.
L’accouchement : ce catalyseur d’émotions
Peu après son accouchement, alors qu’elle est dans une chambre seule avec son bébé, Nathalie Matti, la créatrice de cette pièce, entend un cri strident de femme, des portes qui claquent. Elle a alors la certitude viscérale qu’un bébé est mort, dans le service. Son post-partum sera marqué par la peur de la mort de son petit garçon.
L’angoisse est terrible et elle en viendra à placer des appareils dans le berceau pour vérifier que le petit respire encore quand il dort : une plaque sous le matelas qui est censée l’alerter si le bébé a une problème. La psychose est en route.
La quête de l’origine de cette angoisse a donné lieu à cette pièce, qui est donc un récit des origines, une quête des traumatismes familiaux mais aussi un éclairage sur ce que vivent les femmes enceintes, les parturientes et les mères en France.
La créatrice a en effet voulu enquêter, en suivant des sages-femmes dans leurs consultations. Elle s’est immergée dans une maternité et a recueilli des témoignages, s’est nourrie des expériences de toutes ces femmes. Nathalie Matti explique :
« En retournant en maternité pour mon travail d’enquête deux ans après avoir moi-même accouché, j’aimais dire que je retournais sur « les lieux du crime », cela en choquait certains et en faisait rire d’autres. Je ne saisissais pas tout à fait la portée de mes mots. J’ai découvert récemment qu’un accouchement ressenti comme violent peut être la cause d’un état de stress post-traumatique.
Ce sont des images qui submergent, des sensations inconnues, des mots que l’on entend, des souvenirs répétitifs et envahissants. La mise en scène de mon texte reflète cet état-là, la forme s’est imposée en miroir de l’espace mental du personnage de la narratrice. »
Se mêlent donc dans cette pièce les souvenirs de ce qu’elle a vécu, son histoire familiale et les expériences auxquelles elle a assisté.
Des récits multiples et des expériences de maternités variées
On reçoit avec empathie les récits des femmes battues, des mères avec des addictions… mais aussi les bonheurs, la puissance de l’accouchement et de la maternité, à quel point cet événement chamboule. Les patientes sont suivies par Madeleine, sage-femme à l’écoute inspirée d’une certaine Martine V., rencontrée à la maternité Louis-Mourier, à Colombes, près de Paris.
Nous écoutons les histoires de femmes qui consultent. Certaines parlent des violences gynécologiques et obstétricales qu’elles ont pu subir, celles qu’elles disent à demi-mots, qui font frémir le public.
On assiste à la consultation d’une femme à qui l’on a cousu les lèvres intimes. Alors enceinte, on lui explique ce problème qu’elle ignorait. Elle comprend enfin l’origine des douleurs endurées. Une autre ne veut pas de péridurale mais doit batailler pour qu’on ne lui administre pas. Et toutes ces autres à qui l’on a fait des toucher vaginaux et des épisiotomies sans le dire.
Les phrases de la pièce qui marquent
« Le cœur du bébé, c’est comme un cheval au galop »
Tant de poésie et de belles images.
« Le sang, les larmes, le lait »
Un bon résumé des débuts de la maternité !
« Ne vous inquiétez pas, c’est votre sang, pas celui du bébé »
Une phrase souvent répétée durant la pièce – certes rassurante mais qui indiquerait presque que seul le bébé compte.
« La grossesse, c’est parfois une thérapie accélérée »
Des bouleversements hormonaux, l’anticipation des changements à venir, le lien parfois renoué plus intensément avec sa famille, le retour sur son passé et sa généalogie… tout ça peut entraîner la mise au jour de problèmes ainsi que leur résolution.
« Mes deux filles sont les seules capables de me mettre à genoux et me relever »
Une belle sentence qui résume toute l’ambivalence maternelle.
« Avant la naissance, je pensais que mon enfant allait s’ajouter à ma vie, mais en fait il la remplace »
Quand l’enfant prend toute la place, pour le meilleur et le pire.
La mise en scène, avec un fin rideau transparent, grâce auquel on pénètre dans l’intimité d’un cabinet de sage-femme, d’une salle d’accouchement, tout en pudeur et en suggestions, nous plonge dans l’intimité de scènes auxquelles on n’a pas l’habitude d’assister. L’écriture précise et vivante fait résonner des mots si justes, interprétés par un quatuor d’actrices exceptionnelles – Marie Bringuier, Lucile Chevalier, Charlotte Dupont, Marie-Emilie Michel.
Lors de la représentation que j’ai vue, à Arcueil, en banlieue parisienne, la créatrice a salué à la fin, les larmes aux yeux, remerciant Martine, la sage-femme qu’elle avait eu la chance d’accompagner pendant quelques mois, actuellement en burn-out. Dans le public et parmi les actrices, l’émotion était palpable, les yeux rougis. Ce thème peut résonner avec brutalité chez les femmes qui ont vécu des expériences fortes et difficiles lors de leur accouchement.
Cette pièce fait écho au mouvement actuel des sages-femmes qui réclament des conditions de travail moins pénibles pour avoir la possibilité d’accompagner les femmes plus dignement. Elles ont obtenu une revalorisation salariale récemment mais celle-ci ne concerne pas toutes les sages-femmes et cela ne change pas la charge de travail et la pénibilité. Le très bon documentaire À la vie suit la sage-femme iconique Chantal Birman, féministe de 70 ans, et montre l’importance de cette profession !
Prochaines représentations de la pièce :
La pièce sera également jouée le vendredi 18 mars 2022 à 20h à la MJC Théâtre de Colombes, 96−98 rue Saint-Denis, 92700 Colombes.
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Image en une : © collectif Lilalune
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