« Le problème avec la représentation biaisée des musulmans dans les films ne peut plus être ignoré », s’indigne Riz Ahmed dans un discours diffusé le 10 juin dernier. L’acteur — croisé dans Venom, Rogue One: A Star Wars Story ou encore récemment nommé aux Oscars pour son rôle dans Sound of Metal — se mobilise pour faire parler d’une étude qui a examiné la représentation des musulmans dans les films populaires.
Publiée le vendredi 11 juin, cette étude intitulée Missing & Maligned: The Reality of Muslims in Popular Global Movies (Absents et dénigrés : la réalité sur les musulmans et musulmanes dans les films populaires) a été réalisée par USC Annenberg Inclusion Initiative, un think tank de l’université de Californie du Sud (USC). Ce groupe de réflexion se concentre sur les questions de diversités et d’inclusion dans le divertissement.
200 films populaires sortis entre 2017 et 2019 ont été sélectionnés dans 4 pays : les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Tous les personnages qui prennent la parole dans ces films ont été analysés.
Une absence notoire des musulmans et surtout des musulmanes au cinéma
L’un des chiffres les plus sidérants de cette étude est celui qui montre l’absence des personnages musulmans dans la plupart des films : sur les 200 longs-métrages étudiés, seuls 19 en mettaient en scène. Parmi presque 9.000 personnages, on compte 1,6% de musulmans, alors qu’ils représentent plutôt 24% de la population d’après le Pew Research Center, soit presque un quart de la population mondiale.
D’autre part, les personnages musulmans des 200 films étudiés sont le plus souvent des hommes : seul un quart sont des femmes et elles sont souvent représentées comme une forme de soutien pour le protagoniste masculin ou comme une partenaire romantique. Le ratio homme musulmans pour femme musulmane dans les 200 films est de 175 pour 1… Difficile alors de se sentir représentée quand on est une femme musulmane.
Les enfants musulmans ne sont quasiment pas représentés non plus : aucun personnage de ce type n’est présent dans les dessins animés, et sur les 9000 personnages étudiés par l’USC, on compte 7 enfants de cette confession seulement.
Enfin, comme s’il était impossible de présenter des personnages appartenant à deux minorités à la fois, l’université a compté un seul homme musulman et appartenant à la communauté LGBTI+, et un autre musulman et porteur d’un handicap…
Pour Mihaela-Alexandra Tudor, maître de conférences à l’Université Paul Valéry Montpellier 3, spécialiste des médias, de la religion, de la communication publique et politique, ces résultats ne sont pas très étonnants : « La culture populaire mainstream est restée en arrière par rapport à la complexité de nos sociétés actuelles »
, affirme-t-elle à Madmoizelle.
La représentation biaisée des musulmans au cinéma
Les personnages musulmans sont aussi très rarement dans des positions avantageuses. Sur les 200 films, six d’entre eux seulement mettaient en scène un personnage principal musulman. D’autre part, ils sont toujours liés à la violence. Sur les 41 personnages principaux ou secondaires, plus de la moitié sont victimes de violence et près de 40% en sont à l’origine.
En plus, ces 41 personnages principaux ou secondaires sont, la plupart du temps, montrés comme des outsiders. Près de 60% d’entre eux sont des immigrés, des migrants ou des réfugiés, les trois quarts portent des vêtements liés à leur religion et surtout, presque 90% ne parlent pas anglais (dans des films anglophones) ou le parlent avec un accent.
Cet énorme décalage entre la réalité et la représentation dans les films peut avoir une véritable influence sur la société. Mihaela-Alexandra Tudor aimerait voir plus de diversité dans les rôles attribués aux musulmans et détaille son raisonnement pour Madmoizelle :
« L’Américain lambda se forge une opinion avec la télévision, les réseaux sociaux et le voisinage. C’est pour cela que ce serait important de diversifier ces contenus. Il faudrait montrer que les musulmans peuvent produire d’autres storytellings, où il sont d’honnêtes dirigeants politiques, des voisins sympathiques, des militants pour les droits de l’homme, etc. »
Pour Riz Ahmed, cette représentation erronée des musulmans dans les films peut avoir un impact jusque sur leur vie : « On sait que quand les gens ne connaissent pas une minorité, les représentations à l’écran ont beaucoup d’impact, et 62% des Américains ne connaissent pas de musulmans », explique-t-il.
L’étude de l’USC rappelle qu’en 2019, il y a eu plus de 500 crimes islamophobes aux États-Unis et que 47% des crimes en Angleterre et aux Pays de Galles étaient dirigés contre des musulmans. En mars 2019, 51 personnes ont été tuées lors d’un attentat à la mosquée de Christchurch en Nouvelle-Zélande.
Une bourse de 25.000$ pour des artistes musulmans
Après avoir exposé les chiffres révélateurs de cette étude vient bien sûr la question des solutions. Que faire pour régler ce problème de représentation ? En partenariat avec la Fondation Ford et le Pillars Fund, Riz Ahmed a expliqué que deux actions allaient être lancées.
D’une part, un plan pour participer à l’inclusion des musulmans dans les films va être créé. Il comprendra des solutions à court, moyen et long termes, des ressources et des contacts adéquats pour tous les domaines de l’industrie du film. D’autre part, une bourse sera attribuée à des artistes musulmans aux États-Unis et au Royaume-Uni au début de leur carrière. Cette bourse comprendra une dotation de 25 000$ pour le développement de leurs projets.
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Mihaela-Alexandra Tudor voit quelques limites à cette étude : elle regrette que les productions des plateformes comme Netflix n’aient pas été prises en compte et que les films viennent de pays dont la culture vis-à-vis des musulmans est très différente. Toutefois, elle salue l’action engagée qu’il y a derrière cette étude, qui prend la forme du plan et de la bourse : selon les recherches qu’elle a effectuées, elle affirme que c’est grâce à ce genre de choix pédagogiques que les choses peuvent bouger !
Concernant la France, la professeure déclare que les personnages musulmans sont plus nombreux mais malheureusement, ils ne sont pas toujours mieux représentés. « On est sur un rapport mitigé entre les thématiques abordées, les stéréotypes et l’utilisation de la violence dans les rôles des musulmans », dit-elle. En revanche, « des productions comme Arte ou France Télévisions participent à cette pédagogie et montrent des musulmans dans des rôles plus divers ».
Espérons que cette évolution positive se poursuive !
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Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Je pense qu'on touche là une facette de la laïcité telle qu'elle était voulue à la base : ne pas nier que les citoyens soient croyants mais ne pas en favoriser la représentation d'une religion/confession par dessus les autres (et même par dessus l'athéisme et l'agnosticisme) par les pouvoirs publics donc par ricochet des sociétés de production de films.
Les croyants voudraient donc que des persos de leur religion soient présents dans des films pour que cette image de croyants soient aussi positive qu'ils le vivent eux-mêmes. Sans que ça soit envahissant pour les non-croyants.
Je pense qu'on veut tout-e-s de la SUBTILITE et de la LEGERETE.
On aimerait que quand on apprend que Machine est *insérer ici une religion/croyance/culte/philosophie/confession*, on se dise tous "ok, j'en sais plus sur elle mais je n'ai pas de moyen pour autant de TOUT savoir sur elle, elle va peut-être suivre certains rites, certaines coutumes, certains sujets, mais il y a tellement de diversité de pratiques au sein d'une même religion que ça ne me permet pas pour autant d'en tirer tant d'informations que ça"
Bref aimer un peu plus les gens avant de les juger, quelles que soient leurs pratiques ou leurs non pratiques.
(Commencez mon procès en béatification, je parle comme Mère Thérésa )