C’était à la rentrée 2021. Gabby Petito, jeune influenceuse de 22 ans, qui documentait depuis plusieurs mois son voyage en van avec son petit ami, Brian Laundrie, 23 ans, ne donnait subitement plus signe de vie. Ce dernier rentrait alors de leur périple seul, refusant d’indiquer où se trouvait la jeune femme, malgré les sollicitations de sa famille et de la police. Après plusieurs semaines de recherches, le corps de Gabby Petito était finalement retrouvé au parc national de Grand Teton, et la police concluait à un homicide par strangulation. Un mois plus tard, c’est Brian Laundrie qui se donnait la mort en Floride, laissant derrière lui une lettre avouant le féminicide de sa petite amie.
À l’époque, l’affaire avait largement dépassé les frontières des États-Unis, fascinant les influenceurs passionnés de true crime, dont les vidéos sur la disparition de la jeune femme cumulaient des millions de vues. Un emballement médiatique dont le site Mitú, média dédié aux questions qui touchent les communautés latinos aux États-Unis, proposait très vite une lecture mitigée. Pourquoi les victimes qui ne sont pas blanches ne reçoivent-elles pas un quart de la visibilité accordée à la disparition de Gabby Petito ? Loin de soutenir qu’il fallait accorder moins d’importance à cette affaire, le site invitait à réfléchir aux mécanismes qui conduisent à effacer les autres drames, mettant implicitement le doigt sur ce que l’on nomme le « syndrome de la femme blanche disparue ».
C’est quoi le « syndrome de la femme blanche disparue » ?
Dimanche 9 juin 2024, ce sujet a refait irruption dans le discours public, porté par Joe Petito, père de la victime, au cours d’une interview accordée au magazine People. Joe Petito y explique qu’il a d’abord eu beaucoup de mal à entendre les critiques selon lesquelles la réaction médiatique à la disparition de sa fille était enracinée dans le « syndrome de la femme blanche disparue ». Ce syndrome désigne l’attention sélective et exacerbée accordée aux cas de personnes disparues impliquant des femmes ou des filles jeunes, blanches et appartenant à la classe moyenne supérieure.
Il confie à People avoir fini par constater la réalité derrière ce terme. « Il existe une hiérarchie lorsqu’il s’agit de diffuser des avis de disparition. Les enfants passent en premier, puis les femmes blanches et enfin les femmes de couleur » a-t-il déploré auprès du tabloïd.
L’invisibilisation de certaines victimes
Ce double standard conduit à l’invisibilisation médiatique des victimes de crimes violents qui ne remplissent pas les critères susmentionnés, comme le démontre le média Jezebel :
L’expression « syndrome de la femme blanche disparue » ne signifie pas que l’on dévalorise la vie des femmes blanches disparues, mais que l’on reconnaît l’existence d’un double standard racialisé concernant les personnes dont la vie est valorisée et jugée digne d’attention et de soins. Par exemple, rien que dans l’État du Wyoming, où Petito a été tuée, 710 autochtones – principalement des femmes et des filles – sont portés disparus. Selon le Centre national d’information sur la criminalité, le taux de disparition des Amérindiens est plus élevé que celui du grand public américain, avec au moins 9 575 cas de disparition signalés en 2020, selon le Centre national d’information sur la criminalité.
Fort de ce constat, Joe Petito détaille auprès de People le travail de soutien mis en place par la Fondation Gabby Petito ces dernières années : « Nous voulons aider toutes les personnes disparues. Si les médias ne continuent pas à le faire pour toutes les personnes, c’est une honte, car Gabby n’est pas la seule à mériter [cette visibilité]. » En 2022, la Fondation a ainsi fait un don de 100 000 dollars aux Black and Missing Foundation, Missing and Murdered Indigenous Women & Relatives, et à la ligne d’écoute nationale dédiée aux victimes de violences domestiques, rapporte People.
Comment expliquer ce double standard ? « Une bonne victime est une victime qui ressemble au journaliste », expliquait à la BBC Charlton McIlwain en 2013. « Les recherches montrent qu’en termes de victimes de crimes, il y a des gens qui sont vus comme étant comme nous – comme ceux qui couvrent les infos ou qui les lisent. Notre idéal national de qui est vulnérable – et qui détient le statut de victime – ce sont les victimes qui sont blanches et qui sont des femmes. » C’est pour cette raison qu’il est primordial d’interroger la manière dont ce type d’affaires absorbe notre attention, nous émeut, nous mobilise, tandis que d’autres cas similaires passent tout bonnement à la trappe.
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